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LR : Marion Maréchal Le Pen ou l’inconscient filloniste revenant hanter Laurent Wauquiez
©ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Mauvais rêve ?

Le baromètre Ipsos pour le Point montre que pour la première fois, la cote de popularité de Marion Maréchal Le Pen devance celle de Laurent Wauquiez chez les sympathisants LR

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico :  Le baromètre Ipsos pour le Point montre que pour la première fois, la cote de popularité de Marion Maréchal Le Pen devance celle de Laurent Wauquiez chez les sympathisants LR. Ne faut-il pas y voir l'incapacité qu'à le président du parti de droite à susciter l'enthousiasme et l'adhésion sur la ligne filloniste qui avait rassemblé la droite en 2016 ?

Christophe Boutin : Qu’était la ligne filloniste ? Globalement, pour schématiser, une ligne que l’on pourrait qualifier de libérale-conservatrice, en expliquant ces deux termes.

Libérale, elle l’est en économie, sans être pour autant « ultralibérale ». Il s’agit d’un libéralisme d’entrepreneurs et non de financiers, de propriétaires et non de nomades. D’un libéralisme qui se tempère même, à la française, du maintien de certains services publics et évite la dérégulation outrancière. Un libéralisme social pourrait-on dire, où la main invisible du marché n’est jamais considérée comme la garantie des libertés mais où l’État, et l’État-nation, reste l’ultime garant de ces dernières.

Conservatrice ensuite, mais pas figée, cette ligne est surtout opposée à la moderne expression de l’idéologie révolutionnaire de la « table rase » qui passe par la négation de valeurs – hiérarchie, autorité – ou de structures – familles, corps intermédiaires, nations -  qui, pour elle, ont permis de construire cet espace de liberté et de tolérance dans lequel nous vivons – ou vivions…

Cette ligne libérale-conservatrice est donc l’exact opposé du progressisme moderne, ultralibéral en économie et dont le libertarisme absolu sur le plan sociétal réduit l’homme à n’être, selon la formule bien connue de Renan, que cet être « né orphelin, vivant célibataire et mort sans enfants », cette monade égoïste dont Alexis de Tocqueville et tant d’autres ont démontré qu’elle était surtout destinée à servir d’esclave zélé à un pouvoir omnipotent.

Pour autant, le fillonisme, s’il était porté par une majorité des électeurs de LR, ne représentait qu’une partie de ses cadres, un autre courant penchant clairement pour le progressisme, notamment sur le plan sociétal. Et la tourmente de 2017 a laissé les choses en l’état puisque, même si certains LR ont traduit leur ralliement intellectuel à cette idéologie progressiste par un ralliement politique à LaREM et au macronisme, d’autres, restés à l’intérieur d’un parti en ruines, mènent une guerre sans relâche à la ligne maintenue défendue, depuis le départ forcé de François Fillon, par Laurent Wauquiez.

Pour autant les choses ont changé, et pas seulement avec l’arrivée au pouvoir de Jupiter, car, parallèlement, et pas seulement en France, nationalisme et souverainisme, mais aussi populisme sont des courants qui comptent.  Si François Fillon pouvait rassembler sur une image, d’ailleurs intéressante, d’une France des notables, avec sa part de réalité et de nostalgie, la question est maintenant de savoir comment regrouper dans un même électorat les classes moyennes et l’électorat populaire. Or trois questions les obsèdent aujourd’hui, les « trois I » de l’Identité, de l’Immigration et de l’Insécurité.

Que manque-t-il à Laurent Wauquiez aujourd'hui pour conquérir cet électorat ?

Laurent Wauquiez représente un intéressant cas d’école, celui du politique qui « n’imprime pas », comme on dit parfois, qui n’arrive pas à imposer une image. Et tout n’est pas du ici aux faiblesses des choix qu’il a pu faire.

Certes, on peut relever des faiblesses dans son discours. Produit d’une culture élitiste, il n’arrive pas à avoir un discours anti-oligarchique, confondant malgré lui les deux termes, et le « techno » qu’il est reste souvent entre deux eaux. Il est ensuite fluctuant sur l’identitaire, affirmant un jour des convictions fortes et se refusant le lendemain à en tirer les conclusions. Il est fluctuant sur le souverainisme, on le voit actuellement dans son incapacité à bâtir un discours – et une liste – de LR pour les prochaines élections européennes.

On peut aussi relever ses faiblesses comme chef de parti. Certes, lors des dernières élections internes, il a imposé ses hommes ou ses alliés dans de nombreux départements, mais c’était presque par défaut, ses principaux adversaires parmi les cadres n’ayant pas souhaité risquer le désaveu des militants. Or les médias ne se font pas faute de faire largement entendre ces mêmes cadres « progressistes », dont on finit pas se demander quelle est la véritable légitimité, pour le fragiliser, une situation qui durera tant qu’il n’aura pas vidé l’abcès dont meurt LR.

On peut relever encore ses faiblesses à dépasser le cadre de son parti. Son choix de refuser le dépassement des clivages, de refuser « l’union des droites », est sans doute, vu de son point de vue, un choix tactiquement compréhensible, puisque cela pourrait conduire à cet éclatement de LR auquel il se refuse. Mais il donne en même temps l’impression de céder aux diktats du politiquement correct, de rester dans cette impasse dans laquelle le Florentin Mitterrand a su engager la droite française.

On peut relever enfin ses faiblesses stratégiques, comme la volonté de ne pas trop être présent dans les médias. Il dit privilégier le « temps long », mais un chef de l’opposition, s’il peut mettre en place à ses côtés des instances qui bâtissent un projet à long terme, doit aussi être médiatiquement présent. Or, en préférant une présidence de région à un siège au Parlement, Laurent Wauquiez est tout naturellement moins présent dans ces joutes quotidiennes qui font le pain des médias. Quant à espérer faire de sa région un laboratoire de ses idées de réforme qui servirait à séduire l’électorat, si tant est qu’il y parvienne, il peut compter sur une grande partie de ces médias pour l’empêcher de le faire savoir.

Mais, au-delà de ces faiblesses structurelles, on ne peut nier un problème de personne. Laurent Wauquiez n’est certes pas sot, ce qu’il dit est souvent cohérent, ses prestations télévisées sont bien faites et, pourtant, manifestement, les gens « ne mordent pas », ils n’ont finalement pas vraiment confiance non seulement en ses capacités à changer les choses mais aussi en sa volonté de le faire. Il y a peut-être chez lui quelque chose de trop apprêté, de la veste rouge au sourire affiché en permanence, du ton doucereux utilisé envers ses adversaires à sa manière quasi-obséquieuse de saluer les journalistes qui le reçoivent. Laurent Wauquiez, c’est, naturellement ou de manière construite, le « pas de vagues » érigé en dogme de communication politique, c’est la hantise du « transgressif ». Mais les temps ne s’y prêtent pas, et en agissant ainsi il affaiblit plus encore son image et sa légitimité.

Pourquoi est-ce que Marion-Maréchal Le Pen suscite-t-elle plus cette adhésion aujourd'hui qu'hier au sein de la droite ?

Plus aujourd’hui qu’hier ? Soyons clairs, elle l’a toujours suscité. Elle l’a suscitée dès son apparition sur la scène politique, comme jeune députée, quand les LR du Midi la regardaient avec envie. Elle l’a suscité en 2017, quand, en juillet, elle obtenait déjà 39% d’opinions favorables chez les électeurs LR – elle est maintenant à 44%.

On peut évoquer pour l’expliquer l’attrait de la nouveauté, le charme de la jeunesse, la séduction de la femme, voire le fait qu’elle soit absente du débat politique, ayant choisi de se consacrer à son école, et que cet éloignement la nimbe d’une certaine aura. Mais ce serait être bien réducteur et passer à côté de réalités très politiques.

Première réalité, les qualités de la femme politique. Nombre de journalistes ou d’opposants politiques qui pensaient la manger toute crue lors de débats ou d’entretiens sont repartis Gros-Jean comme devant. Intelligente, vive, très charpentée et structurée, capable de répondre clairement au débotté et maniant bien l’humour, ce « bon client » comme disent les journalistes s’est révélé bien difficile à prendre en défaut.

Deuxième réalité, la cohérence du discours qu’elle tient depuis le début, résolument libéral-conservateur au sens où nous l‘avons défini plus haut. Un discours qui a aussi conscience des impératifs actuels, et qui fait par exemple primer l’identité sur la souveraineté, expliquant qu’il est ridicule de se prétendre souverain quand on ne sait plus qui l’on est, à rebours de certains excès commis, par exemple, par Florian Philippot.

Troisième réalité, la prise de conscience qu’a Marion Maréchal que le débat ne peut être uniquement politique mais qu’il faut engager une reconstruction intellectuelle qui permette à terme de remplacer les oligarchies en place par de véritables élites.

Le résultat est là : 44% d’opinions favorables chez les électeurs de LR, 85% chez ceux du FN, où elle talonne Marine Le Pen à 89%, une détestation absolue chez LaREM (94% de défavorables) mais… 12% d’opinions favorables chez les électeurs de LFI, ce qui, malgré une baisse (elle était à 18%), la place devant Laurent Wauquiez mais aussi… Christophe Castaner.

Mais nous parlons bien aujourd’hui non d’un chef de parti lancé à la conquête du pouvoir, mais d’une ancienne femme politique, devenue directrice d’un établissement d’enseignement. Et s’il est certain qu’elle puisse bâtir un discours de rassemblement des droites, que les dites droites, et donc leurs leaders, se laissent rassembler derrière elle est bien autre chose.

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