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Lourdes : ce qui permet de discerner les vrais des faux miracles
©Flickr Lawrence OP

Bonnes feuilles

Ce livre de Laetitia Ogorzelec-Guinchard permet de mieux comprendre le travail d’enquête et d’expertise assuré par les médecins du sanctuaire de Lourdes dans la production des miracles. Extrait de "Le miracle et l'enquête. Les guérisons inexpliquées à l'épreuve de la médecine", publié chez PUF (1/2).

Laetitia  Ogorzelec-Guinchard

Laetitia Ogorzelec-Guinchard

Laetitia Ogorzelec-Guinchard, sociologue et anthropologue, est chercheur rattachée au LASA-UFC (Laboratoire de sociologie et d'anthropologie de l'université de Franche-Comté).

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Des médecins appelés à se prononcer sur les « guérisons miraculeuses » à Lourdes ! Ne faut-il pas s'étonner de cette curieuse rencontre ? En réalité, le recours à l'expertise médicale dans le cadre d'enquêtes ecclésiastiques n'est pas un phénomène nouveau. Dès 1563, Jean Wier, médecin rhénan et auteur des Cinq livres de l'imposture et tromperie des diables, en avait clairement posé le principe en demandant qu'il soit fait appel à la compétence médicale dans les procès de sorcellerie : « Premièrement et devant toute chose que l'on s'aperçoit de quelque mal engendré contre l'ordre de la nature, écrit-il, il faut avoir recours selon l'ordonnance de Dieu à celui qui, étant célèbre par doctrine, profession et usage, entend fort bien les maladies, leurs différences, leurs signes et leurs causes : c'est à savoir au médecin qui soit de bonne conscience » (cité dans Castel, 1976 : 61). Moins d'un siècle plus tard, au printemps 1634, dans le cadre des manifestations de possession à Loudun, en tant que détenteurs d'un savoir laïc, les médecins sont amenés à se substituer aux théologiens. Chargés avant tout d'ausculter et d'observer, « ils semblent oublier qu'ils ont à soigner, tellement il leur importe de diagnostiquer, tellement il leur est demandé de se prononcer, de désigner le vrai. Les actes thérapeutiques laissent alors paraître une finalité cachée. Ils prennent le relais d'un objectif qui n'était pas immédiatement le leur mais que leur fonctionnement normal impliquait : poser une certitude sociale, assurer un savoir » (De Certeau, 2005 : 237). En 1656, lors des épisodes du « miracle de la Sainte Épine1 », cescompétences sont à nouveau mobilisées. Des médecins sont consultés par l'autorité ecclésiastique souhaitant « s'informer plus particulièrement de la vérité du fait ». Et ce n'est qu'au terme d'une multiplication de « certificats médicaux de miracles » que l'évêque et les théologiens se considèrent aptes à déclarer le miracle « vérifié ».

Au cours du XVIIe siècle, l'association de la médecine et de l'Église sur la question des phénomènes de possessions et de miracles semble consacrer la mutation de la conscience épistémologique issue de la révolution mécaniste. Les « possessions » de Loudun et « le miracle de la Sainte Épine » appartiennent en effet aux années marquées par la parution du Novum organum de Francis Bacon (1620) et du Discours de la méthode de René Descartes (1637).

Si les renaissants et leurs prédécesseurs, au Moyen Âge, vivaient à l'aise dans un monde où les phénomènes n'étaient pas perçus avec exactitude et où la providence vigilante de Dieu demeurait souverainement présente à l'arrière-plan de toute perception, au fondement de l'induction, la science mécaniste s'efforce de rassembler le monde dans une cohérence nouvelle. « L'expérience mécaniste est scientifique, écrit Georges Gusdorf, dans la mesure où elle isole le phénomène à connaître, et formule d'une manière précise le cadre ainsi que les voies et moyens d'une nouvelle intelligibilité » (1969 : 154). Cherchant à dissiper les mirages, à dénoncer les confusions et à exclure les spéculations aventureuses, elle borne progressivement les exigences du savoir aux seuls éléments contrôlables et vérifiables permettant de mettre en lumière l'objectivité de ses objets.

Ce nouveau rapport de la pensée avec la réalité des choses se communique progressivement de la connaissance scientifique à la pratique religieuse. En la matière, l'intégration de ce nouvel esprit va notamment se traduire par une révision majeure de la posture de l'Église à l'égard des miracles et des possessions. Concrètement, il va susciter un discours théologique critique et une volonté de contrôle rationnel de ces phénomènes. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre l'application des procédures de l'investigation baconienne à la réalité religieuse, commandant, face à tout événement apparemment prodigieux, un examen systématique des faits concernés avant toute interprétation.

N'est-ce pas dans le prolongement de ces transformations que des critères permettant à l'Église de juger qu'une guérison physique peut être considérée comme « miraculeuse » seront explicités et formalisés en 1734 par le cardinal Lambertini dans son Traité sur les causes de béatification et de canonisation ? Pour le futur pape Benoît XIV, les « faux miracles doivent être discernés des vrais » et, dans ce but, il faut :

1. que la maladie soit grave et impossible ou difficile à guérir ;

2. que la maladie dont on guérit ne soit pas arrivée à son dernier stade, de telle façon que, peu après, elle aurait dû décliner ;

3. que des médicaments n'aient pas été pris ou qu'ils se soient avérés inefficaces ;

4. que la guérison soit soudaine et instantanée ;

5. que la guérison soit parfaite ;

6. qu'elle ne soit précédée ni d'une évacuation notable ni d'une crise ;

7. enfin, que la maladie effacée ne revienne pas.

Ainsi, ces critères doivent permettre d'établir la vérité de la maladie, puis de la guérison, avant de tenter d'en établir les causes.

Extrait de "Le miracle et l'enquête. Les guérisons inexpliquées à l'épreuve de la médecine", Laetitia Ogorzelec-Guinchard, PUF, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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