Lois sur le numérique : trop de « bonnes » intentions tuent les bonnes intentions <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
High-tech
De nombreuses législations sur le numérique sont en cours d’élaboration au Parlement français et en France également.
De nombreuses législations sur le numérique sont en cours d’élaboration au Parlement français et en France également.
©JUSTIN TALLIS / AFP

Régulation

De nombreuses législations sont en cours d’élaboration, tant au Parlement français qu'au Parlement européen. Mais la protection de nos données personnelles, de notre souveraineté ou de la santé de nos enfants et ados en sera-t-elle garantie pour autant ?

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

Voir la bio »

Atlantico : De nombreuses législations sont en cours d’élaboration, tant au Parlement français qu'au Parlement européen sur le numérique. Est-ce une bonne chose que les décideurs s’emparent de ces questions ?

Pierre Beyssac : Sur le fond, il est légitime et souvent utile que le législateur s'intéresse au numérique. Cependant, malgré ses bonnes intentions, avec une compréhension parfois approximative des impacts et effets de bord néfastes de certaines mesures, il peut avoir la main trop lourde.

La protection de nos données personnelles, de notre souveraineté ou de la santé de nos enfants et ados sera-t-elle pour autant garantie par la multiplication de ces lois ?

Probablement pas : le RGPD (règlement général sur la protection des données) prévoit des exceptions pour le respect des autres obligations légales. Il est donc inopérant lorsque c'est la loi elle-même qui introduit une intrusion dans notre vie privée.

Notre souveraineté est souvent protégée par de la législation de citadelle assiégée : entérinant le manque d'acteurs européens en matière de technologie, elle cherche à gêner les grands acteurs étrangers. En introduisant de nombreuses exigences difficiles à respecter par des TPE/PME naissantes, elle peut même entraver l'émergence de futurs acteurs locaux.

Quant à la santé de nos enfants, on légifère sur des sujets dont la nocivité est vite exagérée. Les effets des écrans ont ainsi pu être comparés à ceux du tabac ou de l'alcool, ce qui laisse pantois. On en est réduit à espérer que la loi sur l'exposition aux écrans, dont les effets positifs sont peu tangibles, ne fera pas plus de mal que de bien.

Selon une enquête européenne, les adolescents ne veulent pas être "protégés" par des applications de chat ou de messagerie qui scannent les messages ou incluent des restrictions d'âge. Pourquoi accepte-t-on ces renoncements sans broncher ?

Les lois sont prévues pour avoir un effet bénéfique, mais comme pour un médicament, il faut aussi en considérer les effets néfastes pour estimer le "bénéfice thérapeutique" global.

ChatControl (régulation européenne contre les abus sur mineurs) souhaite ainsi surveiller l'ensemble de nos communications privées, un domaine jusque-là préservé des intrusions policières. Cela constituerait un précédent dangereux qui sera inévitablement élargi dans le futur.

Qui peut s'opposer à la protection des mineurs, objectif éminemment louable ? Mais à quel prix ? Sommes-nous prêts pour cela à accepter d'avoir un policier derrière nous, pour vérifier ce que nous écrivons sur les réseaux ? Probablement pas. Le législateur français, de son côté, propose d'imposer à tous les utilisateurs des réseaux sociaux une vérification d'âge. N'est-ce pas déjà disproportionné avec le but recherché, dont l'utilité réelle n'est pas évaluée ? Où placer la limite, celle-ci risquant d'ailleurs d'être repoussée au fil du temps ?

Cette loi française visant à vérifier l'âge des utilisateurs des réseaux sociaux, faute d'une rédaction suffisamment précise, pourrait s'appliquer à l'encyclopédie Wikipédia, à des forums de discussion, ou à d'autres services sans rapport. Est-il vraiment sain d'avoir à prouver notre âge pour accéder à une encyclopédie, et d'en interdire l'accès aux moins de 15 ans sans autorisation des parents ?

Wikipédia a déjà failli être victime de plusieurs "balles perdues" législatives, aussi bien en France qu'à l'UE, provenant de différents textes de régulation des contenus (directive copyright, règlement terrorisme, etc). Site contributif à but non lucratif, l'encyclopédie dispose de peu de ressources pour respecter des législations exigeantes taillées pour les grandes plateformes commerciales.

Les lois en préparation recèlent d'autres "balles perdues" potentielles, et de petits renoncements à la protection de nos droits fondamentaux. Ceux-ci sont ainsi érodés année après année.

Les promoteurs des lois se gardent d'insister sur les effets indésirables des textes qu'ils proposent, et le débat parlementaire, en manque d'écoute des experts et de la société civile, n'est pas toujours suffisant pour en éliminer les écueils. Nos concitoyens, peu sensibilisés aux sujets technologiques, ne sont pas tous conscients des lois qui se préparent. Il est donc important d'en parler. Nos habitudes veulent enfin que nous déléguions trop souvent à l'État le rôle de protecteur, y compris pour censurer voire aseptiser les contenus et endosser à notre place le rôle de parent.

La technologie numérique permet une surveillance de plus en plus serrée de nos vies. Il est très tentant pour les États d'en exploiter les capacités dans un but policier, mais nos droits fondamentaux se réduisent comme peau de chagrin.

Ces lois sont-elles un bon exemple de l’adage que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » ?

Hélas oui : petite brique par petite brique, nous construisons une dystopie technologique. Il n'existe jamais de retour en arrière : chaque parcelle de liberté perdue est définitive, les États et polices étant évidemment réticents à réduire ensuite leurs prérogatives.

Il est donc crucial de rester vigilants et informés, et de lutter contre les mesures disproportionnées avec les buts recherchés.

À Lire Aussi

Certification d’âge sur les sites porno : mauvaise réponse à une vraie bonne question

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !