Livret A ou l’euthanasie des petites gens<!-- --> | Atlantico.fr
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L’une des mesures les plus symboliques qui résume la politique actuelle, c’est la fixation du taux de rémunération de l’épargne populaire à 1%.
L’une des mesures les plus symboliques qui résume la politique actuelle, c’est la fixation du taux de rémunération de l’épargne populaire à 1%.
©Reuters

Spoliation

Le taux de rémunération de l’épargne populaire a été fixé à 1%, constituant un élément d’une politique des revenus qui ne dit pas son nom.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Y a-t-il un journaliste dans la salle? Un syndicaliste ? Un corps constitué qui se préoccupe de la réalité, de la vie concrète des gens ? C’est la question qui nous est venue à l’esprit en écoutant Hollande à l’occasion du 14 juillet. 

Le vide, le creux, la propagande à peine habile et surtout le mépris. Le mépris pour le peuple, la démocratie. La presse en France n’est pas intermédiaire entre les Pouvoirs et les citoyens, non, elle est courroie de transmission des puissants. Tout se passe comme si tout était pollué, par l’esprit de la publicité. On est là pour assurer la promotion, pour faire vendre. La presse vit dans le monde du pouvoir, elle pense comme lui, que ce soit en positif pour approuver ou en négatif pour critiquer. 

Elle est prisonnière du champ dans lequel les jeux de pouvoir l’enferment. Elle a les mêmes structures mentales, la même absence d’expérience de la vie des gens. Nous insistons, nous mettons les points sur les "i", le problème n’est pas d’être "pour" ou "contre" ; qu’ils soient pour ou contre, on s’en fiche ; non, le problème, c’est qu’ils sont inadéquats, à côté de la plaque. 

Pas étonnant que les journalistes soient toujours premiers au palmarès de la flagornerie que constituent les promotions de Légion d’Honneur ! L’horizon du journaliste, c’est le pouvoir, il est soit complice, soit rival. Le drame des journalistes économiques et politiques, c’est de ne pas être Inspecteurs des Finances, de ne pas avoir tous fait l’ENA ;  ils sont, ils se vivent roturiers face aux nobles de notre époque. 

Passons, glissons, car là n’est pas notre propos. Il s’agissait d’une digression. 

L’une des mesures les plus symboliques qui résume la politique actuelle, c’est la fixation du taux de rémunération de l’épargne populaire à 1%. La mesure est passée, comme on dit, comme une lettre à la Poste, tout le monde la trouve normale. Il est vrai que la propagande a bien préparé le terrain, martelant l’imbécillité centrale, à savoir que l’inflation officielle étant faible, alors la rémunération de l’épargne des petites gens doit être nulle. 

Personne ne s’est avisé de remarquer que c’est une entourloupe. J’aimerais que l’on m’explique en quoi la rémunération de l’épargne doit être nulle quand l’inflation est nulle. Le sacrifice de l’épargne et de la prévoyance existe, quelle que soit l’inflation. Le report de la consommation des uns qui permet l’investissement des autres est toujours aussi vital quelle que soit la hausse officielle des prix. Et plus généralement, "un tu l’as aujourd’hui vaut toujours plus que un tu l’auras demain". La préférence pour le présent est éternelle et si on accepte de se priver dans le présent, alors c’est pour en être dédommagé. L’escroquerie intellectuelle qui consiste à fixer le taux de rémunération de l’épargne longue, stable, que constitue le Livret, sur l’inflation courte, présente, n’est dénoncée par personne, intoxiqué que le public est par les banquiers et leurs larbins économistes. 

Il faut oser dire la vérité, à savoir que la fixation du taux du Livret est un élément d’une politique des revenus qui ne dit pas son nom. C’est un élément d’une politique de transfert de richesse au profit de l’Etat, de ses comparses banquiers, et au détriment de la classe des épargnants, le plus souvent petites gens. La privation de revenus complémentaires de ces petites gens, alors qu’on les a incités à compléter leur retraite obligatoire, est une paupérisation délibérée. On prive de revenus le petit épargnant afin que les banques puissent, soit permettre aux kleptocrates de faire levier pour gonfler leur patrimoine, soit reconstituer les fonds propres qu’ils ont perdus, et que les ploutocrates ne veulent pas reconstituer. Qu’ils ne veulent pas reconstituer tout en gardant les avantages du Pouvoir qui y est associé, bien sûr.

La spoliation délibérée de l’épargne populaire et des classes moyennes fait partie intégrante, consciente, de la politique de constitution, de renforcement des inégalités contre lesquelles on prétend lutter ! La collecte à taux zéro de l’épargne longue, stable, peu exigeante en frais, que constituent les économies du peuple permet de faire levier, de leverager les spéculations de la classe klepto ; avec un levier de 20, ce qui est le minimum actuel, une rentabilité primaire de 2% devient 40%, de quoi rafler et concentrer tout le patrimoine d’un pays ! De quoi garder le contrôle d’empires entiers, sans même disposer des capitaux propres correspondants. Et le comble est que lorsque la spéculation idiote perd, comme par exemple celle du Crédit Agricole français sur les actions du Groupe Espirito Santo – après les spéculations grecques –,  eh bien, c’est le public ou sa Banque Centrale qui paie! L’argent populaire gratuit, voilà à quoi il sert, aux aventures et aux alliances ploutocratiques.

On veut faire croire que le taux de rémunération de l’épargne des petites gens tombe du ciel, qu’il est produit par une Loi qui ne dépend de personne, une Loi qui fixerait un taux dit réel, c’est une baliverne. Ce taux est un taux politique, c’est le choix de spolier les pauvres pour enrichir les ultras riches… en donnant quelques miettes aux alibis que constitue toujours "le social". Car le social, c’est un alibi, un gigantesque alibi. 

Les petites gens n’ont pas accès à la manne du crédit. Si un commerçant veut un crédit pour embellir, innover, alors il doit : 

- Donner sa garantie personnelle sur son patrimoine.

- Accepter de donner son fonds en nantissement.

- Son immobilier en hypothèque.

- Montrer son bilan, se mettre à nu.

- Prouver le bien-fondé de son investissement. 

Le tout pour payer au minimum un taux de près de 5% ! Ce crédit, qui va ensuite figurer à l’actif du bilan de sa banque, est financé par l’épargne de ses parents – non rémunérée – et leveragée, grâce à la BCE, plus de 20 fois. Voilà ce que c’est que la politique des revenus, un revenu nul pour les uns et un pactole pour les autres. Et pendant ce temps, notre pauvre épargnant est abreuvé de publicité, c’est lui qui la paie, qui lui dit qu’il faut qu’il pense à sa retraite parce que sa pension va être rabotée. 

Les petites gens, ce sont souvent des entrepreneurs individuels, agriculteurs, artisans, commerçants qui, en vertu de l’idée que l’on se fait en France de la justice sociale, n’ont que des retraites misérables, indécentes. Le capital qu’ils croyaient avoir, leur boutique, leur petite entreprise, ne trouvent guère repreneurs, ils se retrouvent sans rien d’autre que leurs économies. Ils comptaient sur un complément de revenu, on les en prive, on leur supprime. Aux Etats-Unis au moins, ils peuvent s’employer, vendre ce qui leur reste, leur force de travail prolétarisée, pour subsister. Qui sait que les populations de plus de 55 ans d’âge sont celles, aux USA, où le chômage ne cesse de régresser ! Les vieux, pour éviter la déchéance, se remettent au travail, ils font du dumping, acceptent des salaires de misère, évincent les jeunes du marché du travail… et ils la bouclent, ce qui est un gros avantage ! En France, on paupérise, mais la soupape du retour à l’emploi prolétarisé n’est même pas possible, les syndicats veillent au grain, ils interdisent l’accès. 

Les plus naïfs, les victimes désignées de banques, sont canalisés vers l’abattoir, on leur dit : "Les placements sans risque ne rapportent plus rien, mon brave monsieur, vous n’avez qu’à accepter de prendre des risques, accepter de risquer de tout perdre  en échange d’un taux de rendement après impôt et CSG et frais, qui sera à peine la moitié de ce que rapportaient, avant, les placements sans risque". Et les malheureux y vont, ils suivent le chemin balisé par les fils barbelés qui les conduira à l’abattoir. Chemin à sens unique, au bout duquel, ils vont, pour échapper à la répression financière, à la politique des revenus scélérate, au bout duquel ils vont trouver l’euthanazi.

Cet article a été initialement publié sur le blog A Lupus

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