LFI co-artisan d’un front républicain anti RN… ou pas : petits éléments pour mieux comprendre la vraie stratégie de Jean-Luc Mélenchon<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard et Rima Hassan le soir du premier tour des élections législatives.
Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard et Rima Hassan le soir du premier tour des élections législatives.
©DIMITAR DILKOFF AFP

Barrage au RN

Malgré les déclarations de Jean-Luc Mélenchon, les candidats LFI arrivés en troisième position ne se désisteront pas systématiquement lors du second tour des législatives.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Baptiste Ménard

Baptiste Ménard

Baptiste Ménard est adjoint au maire à Mons-En-Baroeul, membre du Bureau National du Parti Socialiste et président de l'association "Lueurs Républicaines"

 

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Atlantico : La France insoumise « retirera » ses candidatures dans les circonscriptions où elle est arrivée en 3e position et où le Rassemblement national est en tête en vue du second tour des législatives, a précisé Jean-Luc Mélenchon. Mais dans certaines circonscriptions, le rapport de force ne justifie pas nécessairement, aux yeux des Insoumis, le retrait des candidats LFI. Quels sont les principaux exemples de circonscriptions où des candidats LFI se maintiennent et pourraient faire gagner le RN ?
Baptiste Ménard : Les socialistes ont eu une parole limpide au soir du premier tour. La position est claire, nous appelons au désistement républicain, ce qui signifie - dans le cadre des triangulaires, que le candidat placé en troisième position se désiste et appelle à voter pour le candidat républicain encore en lice face au Rassemblement national.
Je suis encore plus précis, cela signifie qu'au delà de nos désaccords avec les candidats Renaissance, LR ou même LFI, nous appelons à voter pour eux afin d'empêcher la victoire d'un candidat RN. Ce front républicain est nécessaire. Nous devons à tout prix éviter la victoire de Jordan Bardella et ses amis. Le rassemblement autour des candidats républicains et démocrates est un impératif politique tout autant qu'un devoir moral. 

A ma connaissance, les candidats insoumis que vous évoquez ont retiré leur candidature dans les circonscriptions concernées. En tout état de cause, s'ils devaient tenir la position que vous développez, il s'agirait d'une faute politique et surtout morale. 

Toutes celles et ceux qui mettent sur un même plan le vote RN et le vote LFI commettent à mon sens une erreur. J'ai de nombreux désaccords avec La France Insoumise - même si je constate qu'elle n'est plus un bloc monolithique (les prises de distances de Clémentine Autain, Alexis Corbière ou bien encore François Ruffin sont notables) - la stratégie du bruit et de la fureur, les outrances, la radicalité, les ambiguïtés sur la République, les compromissions sur le communautarisme, ou la relativisation de l'antisémitisme sont insupportables et condamnables à bien des égards. 

Je pense que Jean-Luc Mélenchon est un problème pour la Gauche, mais le Rassemblement National est un danger pour la France !

Dans le contexte que nous traversons, il faut savoir hiérarchiser les périls. Jean-Luc Mélenchon est un adversaire mais Jordan Bardella est un ennemi de la République. Il faut faire barrage au RN. 

La libération de la parole et des actes racistes à l'œuvre actuellement dans notre pays ne sont que les prémices de ce qu'il se passerait tous les jours, et de manière décomplexée s'ils arrivent au pouvoir dimanche prochain. Je demande à chacune et à chacun de prendre la mesure de la situation politique de notre pays. 

Les négociations entamées par LFI, le PS et les écologistes pour les circonscriptions et les sièges à l’Assemblée ne se sont-elles pas faites très favorablement au profit de La France Insoumise ?

Baptiste Ménard : Je n'ai jamais caché que j'aurais préféré la création d'une nouvelle alliance politique de gauche, cohérente et claire, c'est à dire sur la base du score, et du projet de Raphaël Glucksmann, et autour de lui, de rassembler, les radicaux de gauche, les écologistes, les communistes, des insoumis en rupture de ban avec Jean-Luc Mélenchon et ses outrances, et même des centristes humanistes sincères. 

Ce n'est pas le chemin qui a été choisi. Dès lors, il n'est plus l'heure de refaire le film, car nous devons nous battre pour éviter le pire, à savoir que le RN obtienne la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Il s'agirait d'une véritable catastrophe pour notre République, ainsi que pour les français les plus modestes, et même issus des classes moyennes. 

Cela marquerait une rupture avec cette France universaliste que nous chérissons, que nous aimons, et qui fait sa singularité à l'échelle internationale. 

Voilà pourquoi, nous devons mener la bataille, et faire en sorte qu'un maximum d'élus de gauche - et en particulier de socialistes - entrent à l'Assemblée nationale pour réorienter la politique à conduire pour notre pays. 

L'enjeu sera ensuite de constituer sans doute une coalition nouvelle - de tous les républicains sincères - guidée par le seul intérêt du pays et des Français, sur des bases politiques claires permettant d'une part d'éviter l'émergence d'un gouvernement d'extrême-droite, et d'autre part de conduire des politiques attendues par nos concitoyens, en faveur de la justice sociale et fiscale, du pouvoir d'achat, des transitions écologiques et démocratiques.... 

Après l'élection viendra le temps nécessaire de l'introspection, il nous faudra tirer toutes les leçons de cette phase politique, et enfin jeter les bases de la reconstruction d'une gauche démocrate et républicaine, profondément européenne, écologiste, responsable et solidaire. 

La stratégie de Jean-Luc Mélenchon, illustrée par la présence clivante de Rima Hassan (avec un keffieh) lors de sa prise de parole dimanche soir, ne cherche-t-elle pas en réalité à voir le RN arriver au pouvoir et bénéficier ensuite des troubles liés à la gouvernance du RN au cœur de la société pour conquérir le pouvoir ensuite avec LFI ?

Christophe de Voogd : Il faut éviter deux écueils : d’abord, prendre Mélenchon pour un incapable. Cet homme connaît sur le bout des doigts la politique française et ses rapports de force. Ensuite, prendre nos propres vœux pour des réalités. Mélenchon sait parfaitement qu’il n’a aucune chance aujourd’hui par la voie des urnes. Seuls les bobos des métropoles et les islamistes (et encore) croient à sa possible victoire. Sa stratégie est donc la politique du pire en multipliant les provocations comme la mise en vedette de Rima Hassan (ce qui est en plus un clin d’œil aux « quartiers ») : favoriser ainsi, par réaction, la victoire du RN ; incarner ensuite « la résistance », appuyée sur la force colossale du secteur public, très acquis dans ses profondeurs à LFI (regardez ses élus et son électorat) ; tenter alors de conquérir le pouvoir dans la confusion générale et dans le discrédit des autres partis. Mélenchon a annoncé ce programme à maintes reprises mais les observateurs refusent d’y croire. Voici ce qu’il écrivait par exemple sur son blog en avril 2023 après avoir décrit une première phase de manifestations: « La phase suivante est « destituante ». La forme est une mise en cause générale de la légitimité des autorités politiques (« qu’ils s’en aillent tous », « dégage » en Argentine, Tunisie, Égypte, Burkina, Thaïlande). Souvent graduellement, toutes les autorités sont remises en cause chaque fois que les actions en percutent sur leur chemin. Cette phase est caractérisée par l’affrontement plus ou moins violent avec les personnages représentant le monde politique gouvernemental, les médias, mais aussi parfois les élus en général pris à partie comme « complices » du système. Dans l’élan, des formes de double pouvoir s instituent. En face de la décision venue des pouvoirs officiels, se déroulent des actes de désobéissance frontale : occupation de ronds-points (France), de places publiques (Espagne, Irak, Tunisie, France, Egypte…) de bâtiments officiels (France, Soudan, Espagne), empêchement de visites gouvernementales (Équateur, Tunisie), manifestations interdites et ainsi de suite. Je ne détaille pas davantage ». N’oublions pas que l’homme n’est guère adepte de la démocratie : son parti n’a ni membres ni élections. Exactement comme le parti d’extrême-droite, le PVV de Wilders aux Pays-Bas. Ce qui, en passant, rend assez comiques les protestations « antifascistes » de LFI. 

D’aucuns affirment que Jean-Luc Mélenchon aurait pu être l’artisan de la défaite de Fabien Roussel lors du premier tour des législatives. Faut-il craindre dans ce cas que François Ruffin ou d’autres candidats ayant contesté l’autorité de Jean-Luc Mélenchon au sein de LFI ou du NFP soient menacés pour le second tour des législatives ?

Baptiste Ménard : Pour être honnête avec vous, nous passons toutes et tous beaucoup trop de temps à commenter les faits et gestes de Jean-Luc Mélenchon - pour son plus grand plaisir - alors même que l'urgence est à la lutte contre l'arrivée au pouvoir de la coalition Bardella-Ciotti. Le leader de LFI n'est pas l'alpha et l'oméga de la gauche de notre pays, et fort heureusement.

Pour revenir à votre interrogation, les élections législatives, c'est 577 élections locales dans les territoires métropolitains et ultra-marins de notre pays. 

Je regrette sincèrement la défaite de Fabien Roussel, et souhaite la réélection de François Ruffin. Nous aurons besoin de la gauche dans toute sa diversité pour l'emporter demain, avec des femmes et des hommes de parole et d'engagement afin de reconstruire cette gauche républicaine et démocrate à laquelle j'aspire comme tant d'autres de nos concitoyens. Le score réalisé par Raphaël Glucksmann et les socialistes le 9 juin dernier en témoigne. 

Je le dis à toutes et tous, s'extraire de cette nécessité, dévier de cette ligne, jouer à des calculs politiciens de petites boutiques politiques, ce n'est pas à la hauteur de la période que nous traversons, c'est cornériser la gauche dans son ensemble, c'est la condamner à l'opposition, et donc à l'inaction, or plus que jamais, il y a besoin d'une gauche républicaine dans ce pays. Les Français l'attendent et la méritent. J'y prendrai ma part, dans la clarté, en cohérence et avec conviction. 

Les autres forces de gauche au sein du Nouveau Front Populaire comme le PS ou les écologistes ne seront-elles pas dépassées politiquement et sous l’emprise de Jean-Luc Mélenchon et de LFI après le second tour ?

Christophe de Voogd : Il y a en effet ce que j’appellerai un grand malentendu historique. Historiquement, les socialistes ont su nouer des accords avec l’extrême gauche (le PC à l’époque), mais uniquement quand ils étaient en position de force : Le (vrai) Front populaire en 1936 ou « le Programme commun » du temps de Mitterrand en sont les meilleures preuves. Entre les deux, et une fois passées les années d’union nationale de la libération/reconstruction, face à un PC très puissant (30% des voix), le PS a cherché d’autres alliances. Notamment au sein de « la Troisième Force » avec les démocrates-chrétiens et les radicaux sous la IVe république, farouchement anti-communiste (et antigaulliste).

Cette fois-ci, c’est l’extrême gauche qui domine, de la tête et des épaules, et à tous égards – sur les plans idéologique, programmatique et plus encore charismatique - la coalition du « Nouveau Front populaire ». Cette appellation est donc un contresens historique : Blum et Mitterrand doivent se retourner dans leurs tombes ! 

D’autant que le PS a cédé le leadership à LFI dès l’annonce de la dissolution, alors qu’il avait fait un bon score aux Européennes et qu’il était donc en position de force. Et cela, le même jour, circonstance favorable plutôt rare en politique. Cette situation avantageuse a visiblement échappé à Raphaël Gluksmann. A fortiori donc, le PS cédera à nouveau quand LFI, qui s’est déjà taillé la part du lion en matière de circonscriptions, exigera Matignon. Sophia Chikirou vient de le rappeler : là encore les alliés font semblant de ne pas l’entendre et se bercent d’illusions sur un premier ministre venu de leurs propres rangs. 

Mais la prochaine issue des législatives donnera évidemment une tout autre configuration. Mais peut-on écarter le risque d’une tentation insurrectionnelle au lendemain du scrutin ? 

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