LeWeb 2013 : la France a toutes les clés pour devenir un acteur majeur de l'Internet de demain mais la tentation de tout gâcher est forte<!-- --> | Atlantico.fr
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La France a toutes les clés pour devenir un acteur majeur de l'Internet.
La France a toutes les clés pour devenir un acteur majeur de l'Internet.
©Reuters

L'avenir de l'économie

Aujourd'hui est le dernier jour de l'édition 2013 de l’événement LeWeb, qui rassemble depuis mardi à Paris tous les acteurs de l'économie de l'Internet. L'occasion de faire le point sur les actions menées par la France en vue de relever le défi du numérique.

Matthieu Chéreau

Matthieu Chéreau

Matthieu Chéreau est le co-fondateur et pdg de Tigerlily, une suite logicielle de marketing social qui permet aux grandes marques et aux institutions de gérer et d'optimiser leurs actions de communication, marketing, service client et vente sur les média sociaux. Matthieu est l'auteur d'un livre sur le community management paru aux éditions Dunod. Il intervient régulièrement à Sciences-Po et HEC, ainsi qu'à l'EBG sur le marketing social et le community management. Vous pouvez le suivre sur twitter : @matthieuchereau

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Atlantico : Vous participez à l'édition 2013 de l’événement LeWeb qui se tient à Paris du 10 au 12 décembre, dont le thème général est "The Next 10 years". Le plan du gouvernement pour le numérique (développement du très haut débit, de l'économie des objets connectés, du cloud computing ou encore des big data)vous parait-il à la hauteur des enjeux pour la prochaine décennie ? 

Matthieu Chéreau : Il serait présomptueux de ma part de répondre que non. Les 6 ou 7 axes identifiés par ce plan font depuis longtemps consensus à l’échelle internationale. Le big data, les objets connectés…profitent d’un fort niveau d’investissements aux Etats-Unis, en Europe, en Israël, et en Asie déjà à l’heure actuelle. Des secteurs entiers, comme la médecine seront bouleversés par les innovations des prochaines décennies.

L’enjeu en France est toujours le même: contribuer à l’émergence de champions nationaux dans chacun des axes identifiés, à l’instar de Criteo entré au Nasdaq et qui réalise un chiffre d’affaires de plusieurs centaines de millions d’euros. Ce type de structures se compte sur les doigts d’une main en France. Il convient donc de s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre afin de capter l’innovation en France, également de la faire rayonner à l’international. Ce dernier point est précisément la principale faiblesse de la France. A l’inverse, notre niveau d’innovation est satisfaisant, et notre tissu de laboratoires de recherche est très compétitif. Le problème posé est donc celui de la monétisation de ces innovations et des start-ups qui les développent. 

L'activité économique semble en passe de se numériser massivement. Dans quelle mesure la France peut-elle tirer son épingle du jeu ? 

Il s’agit pour la France de tirer profit de ses talents historiques. Un important réseau de bassins de recherchesexiste, dans la France entière, sur l’essentiel des axes listes par le rapport « Innovation 2030 ». Les plus importants pôles d'innovation, comme Sofia Antipolis,  ont déjà contribué à la création nombreuses entreprises de renommée internationale.

Aux Etats-Unis, on commence à voir émerger des acteurs capables de monétiser leurs contenus à l’instar de Netflix, qui incarne l’exemple même du business autour du contenu. La France doit aussi tirer parti de ses richesses et de sa forte culture en terme de contenus. On a un vrai patrimoine, qui jusqu’à présent n’a jamais pu être monétisé. Aujourd’hui encore, le numérique, pour tous les acteurs du patrimoine de contenu en France, est identifié comme quelque chose allant à l’encontre des intérêts des producteurs de contenu. Cela n’est pas aussi tranché dans les autres pays, d’autant plus que des modèles de croissance, comme Spotify, ont pu être mis en place. Il faut simplement revoir les modèles de distribution. Des acteurs comme Deezer l’ont bien compris, qui du coup d’exportent très bien à l’étranger.

Concernant certains des axes identifiés dans le plan du gouvernement pour le numérique, à l’instar des objets connectés, certains leaders français et européens se dégagent, comme Withings, qui explose et a déjà la moitié de ses revenus aux Etats-Unis. L’émergence de telles entreprises va être favorisée, grâce au développement de capacités de financement tant privées (avec l’emergence de nombreux incubateurs comme The Family) que public (voire les dernières annonces de Fleur Pellerin, sur le programme French Tech). Dans ce cadre, la BPI (Banque Publique d’Investissement) va bien plus participer à l’émergence et à la croissance des sociétés innovantes. Le volontarisme étatique va que jamais dans ce sens. Ce n’était pas acquis d’avance, et il faut s’en féliciter.

Quelle part de l'activité économique représente Internet aujourd'hui en France ? 

Il y a quelques années, LeWeb avait organisé, avec l’ancien président Nicolas Sarkozy, une soirée réunissant tous les acteurs français de l’Internet. A cette occasion, quelques chiffres avaient été annoncés, en se basant sur la part de croissance du PIB imputé au numérique et la part d’emplois générés par le secteur. Les données avancées sont significatives : Internet a généré la création de 25% des emplois en France depuis 1995, tandis que le numérique représentait 3,7% du PIB en 2010.

De tels évènements comme LeWeb ont pour objectif notamment d’interpeller les pouvoirs publics, en vue d’établir une communication avec les acteurs du numérique et de montrer l’intérêt représenté économiquement par le secteur. Cette communication à l’adresse des politiques doit être amplifiée, de même que le dialogue des pouvoirs publics avec ces acteurs. L’Etat reconnaît que le numérique est un secteur en constante mutation, impactant toutes les industries. C’est précisément sur ce dernier point qu’il faut abondamment communiquer  auprès des politiques. La compétitivité de chaque filière de l’économie dépend de cette prise en considération des enjeux du numérique par les pouvoirs publics. Ces enjeux ne peuvent donc pas être ignorés au cours des dix prochaines années, au risque d’en payer le prix. 

Loïc Le Meur, cofondateur de LeWeb, confiait récemment dans une interview aux Echos, que l’affaire Yahoo-Dailymotion avait refroidi les investisseurs du numérique vis-à-vis de la France. Un tel comportement est-il préjudiciable pour l’avenir numérique de l’économie française ?

La perception générale, c’est que l’Etat s’est prononcé sur un dossier où il était actionnaire minoritaire, via Orange, et ce plus fort qu’il n’aurait dû. Ceci est une situation relativement inédite dans le cadre de discussions d’acquisition, généralement menées de façon assez secrète. Cela surprend forcément les investisseurs étrangers qui peuventêtre refroidis désormais par l’acquisition de structures innovantes où l’Etat serait actionnaire, majoritaire ou non. Cette affaire pourrait potentiellement aussi faire réfléchir une start-up quant à une éventuelle demande d’entrée à leur capital d’une entreprise comme Orange par exemple. En effet, ceci signifierait donc que l’Etat prendrait part aux décisions stratégiques de la structure, pouvant ainsi polluer de futures discussions d’acquisition, au plus grand préjudice de l’entreprise, comme cela a été le cas pour Dailymotion. Cet épisode montre également que les entreprises dont l’Etat est actionnaire ne font pas toujours des choix économiques rationnels, ce qui peut nuire au devenir stratégique de l’entreprise. Bien sûr, il existe des contre-exemples. Prenez Deezer, une réussite éclatante. Il faut donc rester nuancé, et se garder de faire des généralités.

Les sénateurs ont débattu ce mardi de la Loi de programmation militaire dont l'article 13 autorise, sous couvert d'une lutte généralisée contre la délinquance, toutes forces de police et de gendarmerie ou agent habilité par ces forces à avoir accès aux données numériques de tous les internautes, et ce sans droit de regard de la Justice. Cela représente-t-il une menace pour l'avenir du secteur ? Avec quelles conséquences pour l'avenir si cette loi venait à être votée ? 

Cela fait dix ans que la situation est ainsi aux Etats-Unis en vertu du Patriot Act. On nous apprend aujourd’hui que même les données localisées en dehors des Etats-Unis sont récupérées par ces derniers. Quoi qu’en dise la NSA sur la légalité de ses actes, le constat est qu’un individu partage des informations via Facebook, Google…auxquelles ont de toute façon accès les Américains. Que les autorités françaises y aient également accès n’est pas en soi une grande nouvelle.

Ce qui est plus choquant, c’est le cadre d’application de la loi. Aux Etats-Unis, le Patriot Act est limité à la lutte contre le terrorisme, même si l’on peut entendre la définition du terme dans un sens très large. La notion de « lutte contre la délinquance » dans le cadre français me paraît encore plus large, et donc bien plus gênante sur le principe. J’ai le sentiment que l’Histoire ne fait que bégayer depuis 40 ans. La CNIL avait été créée suite à un scandale dans les années 1970 après qu’on ait découvert que des informations personnelles sur des individus avaient été collectées. On va encore une fois dans le sens de la constitution de dossiers élargis sur les individus. La situation aujourd’hui est ubuesque : on passe des lois donnant tous les droits à l’Etat d’accéder et de gérer des données privées, tout en laissant perdurer des institutions telles que la CNIL, qui ne protège plus les utilisateurs que des acteurs privés qui pourraient abuser de leurs données. Sa mission en ce sens est bien plus limitée qu’à l’origine, et elle est en passe de ne plus pouvoir nous protéger contre l’Etat.

De tels actes législatifs plaident en faveur de la création d’un numérique parallèle où les données resteraientstrictement privées. Les services gratuits sont aujourd’hui prépondérants, comme Google, et utilisés donc par le plus grand nombre. Rares sont encore ceux qui se soustraient à leur utilisation, bien qu’il soit envisageable de considérer, dans le futur, la multiplication de services garantissant la sécurité de données si ce type d’actes législatifs tendaient à se généraliser.

Le web parallèle n’est pas forcément caché, mais consiste plutôt en la mise en place d’alternatives encore peu connues et développées permettant d’utiliser des services de messagerie n’accédant pas les données privées. App.net est par exemple une initiative intéressante à cet égard. Il y a peut-être un business à faire là-dessus, même si aujourd’hui la plupart des individus se tournent vers les solutions les plus mainstream. La véritable question de fond est de savoir si les gens seraient prêts à payer pour un service garantissant la sécurité des données.

Propos recueillis par Thomas Sila

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