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Les think tanks servent-ils à quelque chose en France ?
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Ce lundi, ont lieu les premières Assises nationales des think tanks au Palais du Luxembourg à Paris. La France a vu apparaître autant de think tanks depuis les années 2000 que lors des cinquante années précédentes, le signe d’une envie de la société civile de participer à la redéfinition du modèle politique français. Néanmoins, plusieurs obstacles continuent de freiner leur développement.

Olivier  Urrutia

Olivier Urrutia

Olivier Urrutia, doctorant en science politique à l’Université de Barcelone, est Délégué général de l’Observatoire des Think Tanks. Il est également directeur associé du cabinet ID+, spécialisé en conseil en management, communication et innovation. 

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Atlantico : Ce lundi ont lieu les premières Assises nationals des think tanks au Palais du Luxembourg, à Paris. Comment a évolué le paysage français des think tanks au cours des quinze dernières années ? 

Olivier Urrutia : L’écosystème des think tanks en France connaît un essor d’une ampleur considérable depuis les années 2000. Ce phénomène, qui n’est pas exclusivement propre à la France, est fortement lié à la congruence de trois facteurs en particulier : l’avènement des technologies de l’information et de la communication qui facilitent la création et l’animation d’organisations dédiées à la réflexion, à la production et à la circulation d’idées dans le champ du débat public ; la multiplication et la complexité technique croissante des problématiques de politiques publiques qui se présentent à des pouvoirs publics dépassés, requérant dés lors des expertises spécifiques et complémentaires ;  la "dépolitisation" des partis politiques et, en conséquence, du personnel politique, dont la vocation programmatique initiale laisse place à une action de gestion qui coïncide pleinement avec la transformation du modèle classique de gouvernement en un modèle de gouvernance qui promeut l’émergence d’une société civile composée essentiellement de parties prenantes.

Au regard de ces évolutions, les think tanks occupent une place croissante dans le débat public et dans les processus d’élaboration des politiques publiques. Il faut toutefois préciser que si l’appellation "think tank" s’est très largement propagée – pour ne pas dire galvaudée  le hiatus entre cet engouement qui relève d’un effet de mode récent et la réalité de l’écosystème français est grand. En conclusion, si le paysage français  des think tanks depuis les années 2000 s’est considérablement développé au point de doubler en nombre, une majorité d’organisations auto-proclamées "think tanks" sont en fait des blogs d’opinion, des plateformes d’autopromotion de personnalités politiques, voire le plus souvent des coquilles vides. 

Quelle est la vocation des think tanks ? Dans quelle mesure sont-ils utiles au débat démocratique ?

L’objectif principal de ces organisations est principalement de contribuer activement à la réflexion, à l’évaluation et à l’orientation des politiques publiques. Les moyens sont clairs : réunir une expertise pointue à destination des décideurs politiques et, un sens de la pédagogie à destination du débat public. L’influence exercée par les think tanks, directe ou indirecte, assumée ou pas, est évidente mais difficilement quantifiable. Au-delà de leur utilité pour le débat démocratique, les think tanks sont le produit direct notre modèle démocratique contemporain, des lois sur le droit d’association et de réunion qui permettent à la société civile d’exister.

Terra Nova, qui a beaucoup fait pour la mise en place de primaires de gauche en 2012, aura contribué, en partie, à une transformation profonde des modalités de désignation des candidats, de droite et de gauche, à la présidentielle. Qu’on le regrette ou qu’on y soit favorable, il s’agit là d’un bouleversement majeur dans la Ve République. Nous pourrions également citer les questions relatives à l’agriculture, ô combien essentielles et depuis si longtemps méprisées par les pouvoirs publics et les médias, portées par Saf agr’iDées et la Fondation FARM, ou les enjeux liés au numérique dans le champ des politiques éducatives, culturelles, économiques ou de santé publique promus par Renaissance Numérique et la FING depuis, notamment, 2012 à travers le Pacte du numérique. Enfin, l’actualité politique européenne liée au Brexit souligne un peu plus le rôle dynamique dans le débat public français d’organisations telles que Confrontations Europe, la Fondation Schuman ou l’Institut Jacques-Delors Notre Europe. 

Pour quelles raisons les think tanks sont-ils beaucoup moins développés et puissants en France que dans les pays anglo-saxons ? Est-ce uniquement un problème de culture politique ? Quel est leur avenir en France ? 

Les raisons sont d’abord d’ordre culturel. Les modalités très jacobines de gestion des politiques publiques constituent l’obstacle principal. L’appareil politique et les pouvoirs publics français, dont les élites sont formées au culte de l’omniscience et se reproduisent de manière consanguine, continuent de les marginaliser quand ils ne les utilisent pas de façon opportuniste et erratique.  Le cloisonnement entre le public et le privé reste très prégnant contrairement aux Etats-Unis où le phénomène dit du revolving door permet une porosité salutaire.  L’Etat français manque de souplesse ce qui se traduit par une carence alarmante dans ce qui relève d’une vision stratégique. Comment expliquer que les Etats-Unis, l’Angleterre et l’Allemagne voient dans les think tanks des acteurs majeurs de la diplomatie publique quand en France, les élites polico-administratives les considèrent avec condescendance ? On peut également souligner qu’en France la connotation péjorative liée à tout ce qui a trait à l’influence, associée à la promotion d’intérêts privés au détriment de l’intérêt général, freinent considérablement la montée en puissance des think tanks français, finalement peu soutenus à quelques exceptions prés.  Il faut reconnaître que cette vision négative des think tanks est bien servie par les effets de clientélisme et de "pantouflage" dont bénéficient certaines organisations auprès des pouvoirs publics. Il existe dans notre pays un manque de transparence patent et délétère de la part des pouvoirs publics et de certains acteurs de la société civile qui nuit à l’ensemble de l’écosystème.

Pourtant, la France, dont l’histoire est marquée par l’existence de clubs, de cercles et de salons, n’est pas hostile par principe aux think tanks. Pour preuve, le baromètre de l’image des think tanks réalisé par l’Observatoire des think tanks, en partenariat avec l’Institut Think, auprès de cadres des secteurs public et privé dont les résultats sur les questions de notoriété, de légitimité et de crédibilité sont sans équivoque : les think tanks sont très largement plébiscités dans le cadre de leur participation au débat public, loin devant les médias, les grandes entreprises et les partis politiques. 

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