Les statues de la discorde : Joséphine de Beauharnais, Colbert et Pierre Belain d’Esnambuc<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 11 juin 2020 à Paris montre une statue représentant Jean-Baptiste Colbert sur le frontispice du Palais Bourbon où se trouve l'Assemblée nationale.
Une photo prise le 11 juin 2020 à Paris montre une statue représentant Jean-Baptiste Colbert sur le frontispice du Palais Bourbon où se trouve l'Assemblée nationale.
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Jacqueline Lalouette a publié Les Statues de la discorde aux éditions Passés / Composés. Le 22 mai 2020, deux statues martiniquaises de Victor Schoelcher furent brisées. Le bruit provoqué par ces destructions fut vite couvert par le fracas médiatique suscité par la mort de George Floyd tué à Minneapolis, par la police, le 25 mai. Les images de son agonie déchaînèrent dans le monde des actes iconoclastes contre les statues glorifiant de « grands hommes ». Extrait 2/2.

Jacqueline Lalouette

Jacqueline Lalouette

Jacqueline Lalouette est professeur d'histoire contemporaine à l'université Lille III.

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Joséphine de Beauharnais et Pierre Belain d’Esnambuc (Fort-de-France)

Née le 23  juin  1763 aux Trois-Îlets, Marie Josèphe Rose Tascher de la Pagerie, dite Joséphine, appartenait à une famille de planteurs installée en Martinique depuis 1726. Mariée en 1787 à Alexandre de Beauharnais, elle en eut deux enfants, Eugène et Hortense. Veuve après l’exécution de son époux, guillotiné le 23 juillet 1794, elle épousa Bonaparte le 9 mars 1796, fut couronnée par lui le 2  décembre  1804, dut accepter le divorce en 1810 et mourut à La Malmaison en 1814.

En 1837, il fut envisagé de lui dresser une statue à Fortde-France, mais le projet ne démarra vraiment qu’après le rétablissement de l’Empire par Napoléon  III, fils d’Hortense et de Louis Bonaparte, frère de Napoléon. Une souscription fut ouverte, sous la présidence du maire de Fort-de-France ; le sculpteur choisi, Vital Dubray, alla lui-même chercher son bloc de marbre à Carrare. Pour le visage de Joséphine, il s’inspira de deux bustes de Canova et de Bosio et la représenta, couronnée d’un diadème et manteau impérial fixé aux épaules, la main gauche posée sur un médaillon placé sur une console, montrant en relief les traits de Napoléon. L’œuvre figura au Salon de 1857 ; Théophile Gautier la décrivit comme « élégante, gracieuse et simple » et Nadar estima qu’il s’agissait d’« une des plus belles œuvres que nous connaissions dans la sculpture moderne ». Le 12 juillet 1856, la première pierre fut posée à La Savane, immense espace au cœur de Fort-de-France. La statue fut placée sur un beau piédestal orné de pilastres corinthiens et portant la date de MDCCCLVIII (1858), alors que l’inauguration eut lieu le 29  août  1859 ; sur la façade antérieure, un bas-relief de bonze reproduit le célèbre tableau du sacre de David. En 1864, une seconde statue, identique, fut commandée pour le musée d’histoire de Versailles. En 1865, la Ville de Paris commanda une troisième statue, légèrement différente –  le médaillon de Napoléon est remplacé par une couronne impériale  –, qui fut inaugurée en 1867, remisée dans une réserve après 1870, puis transférée au Petit Palais et enfin installée dans le parc de Bois-Préau à Rueil-Malmaison.

Dans le contexte militant antimétropolitain décrit plus haut, comment la statue de cette fille de planteurs, de cette épouse de l’homme qui signa le décret du 30  floréal an  X (20  mai  1802, qui réintroduisit le droit antérieur à la Révolution dans les colonies tombées sous la domination anglaise en 1794, et où l’esclavage n’avait d’ailleurs pas été supprimé) – d’aucuns prétendent qu’elle inspira ce texte – n’aurait-elle pas été menacée ? Maire de Fort-de-France, Aimé Césaire la fit déplacer en 1974 vers la périphérie de La Savane, où elle fut nuitamment décapitée en septembre 1991. Un moulage de la tête réalisé par Mme de Castelbajac, restauratrice d’art, à partir de la statue de Bois-Préau, arriva à Fort-de-France en février 1992, mais ne fut pas mis en place « par crainte d’une nouvelle décapitation » et fut rangé dans un entrepôt. Le 31 décembre de la même année, le monument fut replacé au centre de La Savane et inscrit à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques. Depuis, Joséphine demeura sans sa tête sur un piédestal souvent tagué ; une photographie la montre maculée de coulures rouges parties du point de décollation, une inscription, rouge elle aussi, étant peinte sur l’une des faces du piédestal : « Respé/Ba/22 mé » (« Respect pour le 22  mai »). En 2017, le MIR réclama le retrait de cette statue et de celle de Pierre Belain d’Esnambuc – dont il sera question ci-dessous –, deux œuvres accusées de faire « l’apologie de crimes contre l’humanité ».

Photo12/Alamy/Paul Thompson Images

Joséphine de Beauharnais

Cette statue en marbre représentant Joséphine de Beauharnais, œuvre de Vital Gabriel Dubray, inaugurée le 26 août 1859, fut décapitée en 1991 et vandalisée par la suite comme le montrent les coulures de peinture rouge en haut du buste et sur le ventre, donnant l’impression qu’une véritable décapitation avait eu lieu, et l’inscription en créole tracée sur le piédestal, qui fait référence au 22 mai. La Savane, Fort-de-France (Martinique).

DR

Joséphine de Beauharnais

Les débris de la statue de marbre de Joséphine enveloppés dans des palmes pour être brûlés, un piédestal éventré : voilà ce qui restait, le 26 juillet 2020, de la statue en marbre représentant Joséphine de Beauharnais, œuvre de Vital Dubray, inaugurée le 26  août 1859, classée monument historique en 1992. La Savane, Fort-de-France (Martinique).

Le coup fatal fut porté à l’effigie de Joséphine en juillet 2020, dans un climat marqué par les contestations liées à l’emploi du chlordécone et à ses conséquences. Après une manifestation houleuse le 17 juillet – au cours de laquelle un jeune homme fut violemment frappé puis arrêté par des gendarmes –, un message appelant à la destruction des deux effigies fut lancé sur les réseaux sociaux ; porté au maire par Alexane Ozier Lafontaine, un ultimatum exigea le retrait des deux statues au plus tard le 26 juillet. Dans un communiqué daté du 24, Didier Laguerre dit entendre « le cri de cette jeunesse », percevoir « le cri de celles et ceux qui se sentent agressés dans leur âme, dans leur être », mais avoir « du mal à entrevoir ce que veulent certains ! Le chaos ? Le désordre pour notre pays ? ». Il refusa de répondre « à l’injonction de qui que ce soit » et affirma sa volonté « de dialoguer, d’écouter et de construire tous ensemble, dans la plus large concertation ». D’ailleurs, ajouta-t-il, une commission Mémoire et Transmission venait d’être installée, le 20 juillet. Paroles inutiles : à la date fixée par l’ultimatum, la statue de Joséphine – autour de laquelle aucun dispositif de protection n’avait été établi  – fut abattue par quelques dizaines de militants indépendantistes se réclamant du mouvement Rouge-Vert-Noir [RVN], ainsi désigné d’après les couleurs du drapeau proposé comme emblème pour la Martinique ; le piédestal fut éventré, les débris de marbre enveloppés dans des palmes et incendiés.

Né en 1585, en Normandie, près d’Yvetot, Pierre Belain d’Esnambuc commença à naviguer en 1603 et obtint son brevet de capitaine en 1610. En octobre 1626, à l’instar d’Urbain de Russey, il reçut du cardinal de Richelieu, co-fondateur de la Compagnie Saint-Christophe, la mission de peupler et de mettre en valeur l’île du même nom, la Barbade et quelques autres îles, et de convertir les natifs à la religion catholique ; un texte de 1627 note l’existence d’esclaves. En 1635, la Compagnie Saint-Christophe fut dissoute par Richelieu et remplacée par la Compagnie des îles d’Amérique, dont d’Esnambuc devint le gouverneur. Il entreprit de coloniser la Dominique, la Guadeloupe et la Martinique, où il fonda un établissement le 15 septembre 1635. Il mourut des fièvres en juin 1637. En 1863, son nom fut tiré de l’oubli quasi complet dans lequel il était tombé grâce à Pierre Margry qui lui consacra une étude.

Le projet de lui ériger une statue fut lancé en 1931 par le Syndicat d’initiative de la Martinique. La réalisation du monument fut confiée au sculpteur Marcel Gaumont et à l’architecte Pierre Leprince-Ringuet. Primitivement prévu pour Saint-Pierre, il fut en fait inauguré à Fort-de-France le 15 septembre 1935, à l’occasion du tricentenaire de la prise de possession de la Martinique par la France, qui vit aussi l’érection de la  Porte du Tricentenaire, laquelle échappa à la destruction en  2020. La statue de bronze représente d’Esnambuc en pied, scrutant l’horizon, une main en visière ; à l’arrière de la terrasse, à ses pieds, est posée une ancre de marine, symbole habituel sur les statues de marins. Sur le piédestal, un bas-relief de bronze représente une caravelle, ses voiles gonflées de  vent, et une inscription proclame  : « À/Pierre/Belain d’Esnambuc/Fondateur/De la puissance française/Aux Antilles »56. Sur le site intitulé « Une autre histoire. Histoires oubliées. Histoires occultées », un texte non signé et non daté affirme ironiquement que ce monument vise à « pérenniser la mémoire de la colonisation de l’île, le massacre de ses habitants et l’introduction de l’esclavage raciste ». Un internaute ajouta ce commentaire : « Il faut diffuser largement cette information dans toute la Caraïbe et faire en sorte que partout les statues de ce criminelgénocidaire-négrophobe cessent de polluer le paysage. »

À une date inconnue, la caravelle fut peinte en rouge, vert et noir. Contesté par le MIR en 2018, le monument fut tagué dans la nuit du 23 au 24  février 2020, un certain nombre d’inscriptions en créole étant tracées sur le piédestal : « An nou brile missié » (« Brûlons ce type-là »), « Nou pa lé Djol misié kay nou » (« Nous ne voulons pas voir la “gueule” de ce type chez nous »), etc. Comme celle de Joséphine, la statue fut abattue le 26 juillet ; une vidéo montre des dizaines de jeunes gens tirant au son des tambours sur une corde passée autour de la statue et accueillant la chute du bronze par des hurlements et des chants. La tête de Belain fut découpée et traînée dans les rues de Fort-de-France.

(…)

Colbert (Paris et Reims)

Contrôleur général des Finances, surintendant des Bâtiments du roi, surintendant des Eaux et Forêts, secrétaire d’État à la Marine, Grand Maître des Mines : à l’exclusion de la Guerre, Colbert eut la haute main sur toute l’administration et les finances de la France pendant plus de deux décennies. De même que Sully, Michel de L’Hospital, Richelieu, d’Aguesseau ou Turgot, il appartient au groupe des grands ministres de l’Ancien Régime. C’est d’ailleurs aux côtés des statues de trois d’entre eux – Sully, L’Hospital et d’Aguesseau – que, sous l’Empire, sa colossale statue assise, œuvre de Jacques-Edme Dumont, fut installée devant « le palais du Corps législatif, ci-devant Palais-Bourbon », après avoir été exposée au Salon de 1808, dont le catalogue précise que Colbert est représenté en tant que « ministre des Finances et surintendant des Bâtiments » en train d’examiner « le plan de l’hôtel des Invalides ». L’œuvre présentée était une terre cuite de six pieds devant « être exécuté[e] dans la proportion de douze pieds », ce qui fut réalisé par des praticiens, comme à l’accoutumée. Gustave Vattier, historien de la dynastie des Dumont, considérait cette statue comme « un [des] meilleurs ouvrages » de Jacques-Edme Dumont, et ajoutait que celui-ci « avait pour cette statue la tendresse d’un père envers son enfant ».

Or il existe un rapport entre Colbert et l’histoire de l’esclavage par le biais du Code noir, « titre brutal et lapidaire » donné aux alentours de 1718 à un texte de 1685, dont la version originelle demeure incertaine, et dont nous ne pouvons reprendre ici toute la problématique. À la suite de Jean-François Niort –  qui a voulu démonter un certain nombre d’idées reçues, notamment celle d’après laquelle l’esclave était « une chose » –, nous rappellerons seulement quelques points. Jean-Baptiste Colbert fut bien l’initiateur de ce Code puisque, le 30  avril  1681, au nom du roi, il ordonna à l’intendant de la Martinique, Jean-Baptiste Patoulet, d’examiner « avec soin les arrêts et règlements » existant relativement aux « Nègres », d’en dresser « des mémoires exacts » permettant de rédiger « une ordonnance telle que cette jurisprudence puisse être établie sur l’autorité de Sa Majesté ». Patoulet envoya un mémoire le 20  mai  1682. Déplacé vers un autre poste, il fut remplacé par l’intendant Michel Bégon, auteur d’un mémoire daté du 13 février 1683, qui servit de base à l’ordonnance de mars  1685. Ente temps, Colbert était mort le 6 septembre 1683 : il ne fut donc ni le rédacteur, ni le signataire de cette ordonnance, la signature de Colbert figurant sur ce document, après celle de Louis XIV, étant celle de son fils, Jean-Baptiste Antoine Colbert, marquis de Seignelay. Cette ordonnance codificatrice appartient à un ensemble de Codes élaborés à la même époque, le Code criminel de 1670, le Code marchand de 1673, l’Ordonnance de la Marine de 1681,  etc. Dans sa préface au livre de Jean-François Niort, Marcel Dorigny, historien spécialiste de l’esclavage et de l’abolition, insiste sur le fait que le Code noir est « l’incarnation de la souveraineté de l’État » et que, à partir de ce texte, « la loi, c’est-à-dire le roi, s’interpose entre l’esclave et le maître, limitant le pouvoir arbitraire de ce dernier […] en contrôlant le pouvoir de répression que s’étaient attribué les propriétaires ». De même, pour Robert Badinter, le Code noir fut « moins l’expression d’un racisme particulier à Colbert et aux juristes qui l’entouraient que d’une volonté de tout réglementer dans la monarchie absolue. L’époque était alors à la codification. À l’époque, rien ne codifiait l’esclavage qui régnait outre-mer. Ce vide juridique était insupportable aux tenants du colbertisme ». Très sévère envers Colbert, homme d’après lui privé de cœur, Lucien Peytraud remarquait lui aussi que, par rapport à la situation antérieure, « la promulgation du Code noir fut un bienfait pour les esclaves » ; il aurait fallu écrire qu’il « aurait dû être un bienfait », car, faute de contrôles, le sort des esclaves ne s’améliora pas. Mais, à la suite de Louis Sala-Molins, cette analyse du Code noir est totalement réfutée par l’anthropologue Christine Chivallon, pour laquelle on ne peut reconnaître « une certaine bonté » à des maîtres qui accordent les soins « les plus élémentaires » à leurs esclaves après les avoir dépouillés de tout. Par ailleurs, la comparaison entre les peines prévues par le Code noir et les châtiments corporels appliqués en France aux militaires, aux marins et aux auteurs de délits et de crimes – auxquels il n’est bien sûr pas question de comparer les esclaves  – amène à considérer le Code noir sous l’angle d’une violence extrême et généralisée infligée aux corps.

Après avoir été pendant longtemps une « personne relativement consensuelle » pour les Français – les reproches que lui adressèrent certains auteurs, Daniel Dessert notamment, visaient ses pratiques clientélistes et concussionnaires et son attitude envers Fouquet  –, Colbert devint dans les années 2000 le visage même de la négrophobie. La vue de sa statue, à laquelle personne, ou presque, ne fit attention pendant longtemps, devint un objet de scandale pour toute personne se réclamant des luttes antiracistes, anticolonialistes ou décoloniales. Il convient de préciser que les statues actuellement en place devant l’Assemblée sont des copies en résine ; en 1988, les dégâts provoqués par la pollution amenèrent le retrait des œuvres originelles. Trois d’entre elles furent envoyées dans la ville natale des statufiés ; pour Colbert, ce fut Reims.

Bien que le document déplié sur les genoux de Colbert n’ait strictement aucun rapport avec le Code noir, l’existence de cette monumentale effigie est dénoncée depuis au moins 2017. Cette année-là, le 28 août, Libération publia un texte de Louis-Georges Tin, président du CRAN, intitulé « Vos héros sont parfois nos bourreaux » ; la présence de Colbert, présenté comme « l’auteur » du Code noir, dans l’espace public français y est dénoncée, à commencer par celle de sa statue devant l’Assemblée nationale. En 2018, puis 2019, le Martiniquais Gilles Dégras, rédacteur d’un journal satirique, Bondamanjak, lança plusieurs pétitions visant à faire retirer la statue, la dernière le 1er juin 202082, période où les véritables attaques contre elles se produisirent. Une vidéo tournée le 6  juin 2020 par Jonathan Moadab –  qui se présente comme un journaliste indépendant  – lors d’une manifestation organisée contre les violences policières et en hommage à George Floyd, à laquelle appelèrent la Ligue de défense noire africaine et la Brigade anti-négrophobie [BAN], montre un homme désignant la statue de Colbert à la vindicte de la foule, au sein de laquelle flottait le drapeau vert de l’Union africaine :

« Là-bas il y a l’Assemblée nationale et devant l’Assemblée nationale, il y a la statue de Colbert, ce gros fils de p*** (cris et applaudissements), ce gros fils de p*** qui a écrit le Code noir, le Code noir qui a décrété que les Noirs n’étaient pas des êtres humains. » Le 20 juin, muni d’une bombe spray, Franco Lollia, porte-parole de la BAN, se rendit devant la statue, déjà maculée de peinture rouge, et inscrivit sur le piédestal, en grosses lettres rouges « Négrophobie/d’État ». La scène fut filmée par des membres de la BAN, de même que l’épisode qui suivit. Trois gendarmes sortirent du poste de garde pour appréhender le tagueur, qui se lança dans un discours destiné aux futurs auditeurs, entrecoupé de paroles lénifiantes adressées aux gendarmes, et de quelques interventions de ces derniers :

Je vous explique, les racistes sont de l’autre côté de l’Assemblée, ça c’est une statue qui vient prôner la négrophobie, le meurtre des noirs, le viol des noirs, la torture des noirs, et pourtant, vous voyez, au lieu d’arrêter les gens qui cautionnent cette cruauté, ils viennent m’arrêter moi, vous protégez le peuple ou vous protégez les gens ? – (Monsieur, c’est interdit s’il vous plaît, c’est interdit) –, non ce qui est interdit c’est le racisme, cet homme-là est l’apologie de la négrophobie – (Appelle des renforts, vite). Je suis tout seul, vous inquiétez pas, Je me laisse faire. Écoutez, écoutez – (On est gendarmes, y’aura pas de violence)  – Ce qui se passe, ce qui se passe, M. Macron nous a traités de séparatistes, et il se fait passer pour le bon, alors que la réalité, c’est que la France est un État négrophobe, ça la patrie de Colbert qui a industrialisé et institutionnalisé la négrophobie et le meurtre des noirs est la preuve de ce que j’avance, vous entendez, et après on va dire que le racisme systémique n’existe pas, que la négrophobie systémique n’existe pas, mais attendez, attendez, je suis pas violent je vous assure et j’aime tout le monde en plus, non, mais je vais vous suivre, et je vais vous suivre, vous comprenez bien, il faut qu’on résiste partout où on est, nous on parle à visage découvert parce que le procès qui va se dérouler sera notre tribune, puisque les médias ils organisent des faux, des faux débats démocratiques avec des gens, j’arrive, j’arrive, je vous promets que j’arrive, je vous promets que j’arrive, vous inquiétez pas, tout va bien se passer.

Franco Lollia est ensuite menotté. Suit un passage de la vidéo assez confus. Tandis que les gendarmes l’emmènent, ses amis discutent entre eux, et avec des passants, semble-t-il ; on entend : « Les Français, ils aiment pas les Noirs et ils veulent pas assumer, ils assument pas, qu’ils assument. On peut pas le faire tomber celui-là [Colbert], il veut pas tomber, on peut lui couper la tête par contre. »

Le nettoyage de la statue et de son piédestal fut assuré par « l’entreprise titulaire du marché pluriannuel de peinture de l’Assemblée nationale », qui porta plainte pour atteinte à son patrimoine. Convoqué par la justice le 14  août, Franco Lollia se rendit au tribunal correctionnel, mais demanda un report de son procès en raison de l’absence de son avocat, retenu en Martinique ; l’audience fut renvoyée au 18 janvier 2021. Avant de se retirer, Lollia fit des déclarations à la presse :

Pour nous, ce n’est pas un acte de vandalisme. […] Colbert est un criminel contre l’humanité et notamment contre l’humanité négro-africaine et afro-descendante. […] Ça fait deux décennies qu’on demande des comptes à l’État français, il reste silencieux et ce silence est très bavard. Il semble dire qu’il ne nous respecte pas. L’État est dans le rôle de maintenir un ordre qui privilégie toujours les mêmes, on appelle ça le privilège blanc.

À Reims, la statue originelle placée devant le rectorat ne subit ni dommages ni contestations. Il en alla de même pour une autre statue, œuvre d’Eugène Guillaume, inaugurée dans le quartier de la gare le 5 décembre 1860 et restaurée en 2019, année du 400e anniversaire de la naissance de Colbert. Interrogé par France-Bleu le 13 juin, Arnaud Robinet, maire LR de Reims, souligna tout ce que Colbert fit pour la grandeur de la France et sa place dans la mémoire rémoise ; il reconnut que « l’esclavage est une blessure qui doit faire l’objet d’un travail de mémoire », mais affirma : « L’esclavage ce n’est pas Colbert et Colbert ce n’est pas l’esclavage. »

A lire aussi : Les statues de la discorde : tour du monde des statues vandalisées ou détruites

Extrait du livre de Jacqueline Lalouette, « Les Statues de la discorde », publié aux éditions Passés / Composés

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