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Les ravages de Tchoupi et ses collègues : quand les mascottes des classes de maternelle rendent fous les parents d'élèves
©REUTERS/Alexander Demianchuk

Peluche infernale

Intégrer une mascotte en peluche en classe et permettre aux enfants de s'en occuper à tour de rôle le week-end : une "bonne idée" qui peut tourner à la bataille rangée entre parents d’élèves en pleine compétition. Mais au fait, à quoi sert une mascotte ? Favorise-t-elle le langage comme certains spécialistes l'affirment ?

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Certains enseignants en France choisissent, comme cela se fait par exemple en Angleterre, d'introduire une mascotte dans leur classe de maternelle. A tour de rôle, les enfants emmènent la peluche chez eux pour s'en occuper le temps d'un week-end. Certaines écoles en Grande-Bretagne ont finalement choisi de mettre fin à cette pratique qui tournait à la compétition entre les parents. Que révèle cette attitude quant aux rapports qu'entretiennent les parents à l'école ?

Pierre Duriot : Elle ne révèle rien, elle confirme simplement ce que l’on savait déjà, à savoir une forme de dérive affective, sentimentale, basée sur le plaisir et la mise en valeur de l’ego, mais pas seulement à l’école, laquelle suit un mouvement général. Cette entité scolaire vécue trop souvent à notre époque comme frustrante, rigide, « pas cool », adopte la plus mauvaise posture qui soit dans cette dérive sociétale qu’elle est censée plus ou moins combattre en permettant l’apprentissage collectif de la vie en société et le rapport humain basé non pas sur le principe de plaisir, mais sur la connaissance et la capacité à l’échange argumenté entre pairs et avec les adultes des générations précédentes.

L’institution scolaire, comme une pratique sportive ou un travail en entreprise, est un lieu de contraintes et de compromis acceptables par tous et cela va évidemment à l’encontre du principe relativement généralisé dans la société dans son ensemble de satisfaction sans contrainte et sans peine, à l’image de tout un univers médiatique sensé vous rendre la vie « facile », « sans effort », organiser et rendre possible « vos désirs » et « vos plaisirs »… univers médiatique omniprésent mais totalement artificiel, sans aucun rapport avec la vie réelle que tout le monde connaît, plutôt difficile et générant des frustrations à chaque tournant.

L’école en oublie au passage sa mission cachée, au-delà de l’instruction, celle qu’on n’évoque jamais, de décentrer l’enfant du cocon familial pour le former, le préparer au monde réel, pas parfait, mais le seul dont nous disposons. Enlever l’enfant à sa famille, non pas pour le formater mais pour lui donner cette instruction et ces codes de comportements sociaux qui vont permettre à l’enfant de s’éloigner de ses parents en toute sécurité pour faire son apprentissage du monde.

A travers cette histoire de mascotte, l’école retarde la préparation au monde adulte, prolonge l’enfance et le cocon familial, perd son statut de lieu d’apprentissage… en étant plus dur, elle bêtifie en rond et s’éloigne de ce qui est attendu d’un enfant en termes de posture et d’engagement face à la lecture au début du CP.

Dans quelle mesure cela influence-t-il le rapport à l'école des enfants ? 

Les influences sont déjà connues, l’enfant casse la distance aux adultes et les adultes font de même, tout le monde se mélange, parents, enfants, enseignants, dans un joyeux melting-pot affectif où tout le monde se fait plaisir, discute à égalité, fait les choses pour se faire plaisir et pour faire plaisir aux enfants, parce qu’on s’aime et qu’on est cool. On y perd la distance nécessaire à l’enseignement, l’asymétrie entre adultes qui « savent » et enfants en construction regardant vers le haut ces adultes qui les amènent à eux au lieu de s’abaisser à leur niveau comme ils le font dans cette histoire. Bien sûr tout cela est gradué, mais on a des classes maternelles où parents et enfants appellent la maîtresse par son prénom, se tutoient plus ou moins, où la maîtresse et les enfants se font des bises, où l’enseignant câline, prend sur ses genoux et appelle « mon chéri », comme maman, avec le risque que les apprentissages ne passent plus, que l’autorité soit inexistante et qu’au final on propose à l’issue de l’école des jeunes sans règles de conduite et sans distance, ce que notent d’ailleurs de nombreux chefs d’entreprises et recruteurs lors du premier emploi. Encore une fois, tout cela est gradué mais suffisamment palpable pour qu’en soient modifiées de manière conséquente les méthodes de management et les gestions des personnels.

Quels sont les avantages et les limites pédagogiques à l'introduction d'une mascotte ? 

Question très particulière tellement en « pédagogie », tout est plus ou moins justifiable ou du moins sujet à possibilité d’argumentation tangible. Vous allez trouver assez aisément des pédagogues qui vont justifier de la valeur pédagogique de l’introduction d’une mascotte, sur le mode « favoriser le langage », « se décentrer », « lever les inhibitions », « introduire un tiers » et d’autres qui vont expliquer que ça n’a aucun intérêt, que cela revient à bêtifier, prolonger à l’école l’illusion de l’enfance vécue à la maison et s’amuser de manière inconséquente dans un lieu où, si l’apprentissage se doit d’être attractif, il peut ne pas être pour autant « infantile ».

L’introduction d'une mascotte peut-elle favoriser le développement de l'expression orale des enfants à qui l'ont demande de raconter les activités de la mascotte ? 

Clairement non, raconter, favoriser l’expression orale passe par d’autres supports, plus caractéristiques de l’école et surtout par l’apprentissage de la relation à l’adulte et aux autres. Si la mascotte a son utilité, elle est dans le traitement du trouble de la relation et va être utilisée par un thérapeute. Les marionnettes sont depuis longtemps un outil de travail des psychologues mais la mascotte qui nous concerne, confiée aux parents et exhibée sur les réseaux sociaux, appartient à un autre registre relevant à la limite du centre de loisirs mais pas de l’école, fusse-t-elle maternelle.

Ces activités permettent-elles réellement aux parents de s'investir davantage dans le quotidien de leurs enfants ? Quelles sont les alternatives ? 

La question ne se pose pas exactement est ces termes, tout est dans la signification que l’on place sur le mot « s’investir ». Si s’investir c’est jouer tous ensemble à égalité, sur le mode, « on va faire un truc qui va épater les autres parents », on fait fausse route. S’investir dans le quotidien des enfants, c’est les sortir, leur montrer et leur faire vivre des expériences nouvelles, s’intéresser à leur travail scolaire, répondre à leurs questions, être fier de leur engagement dans une discipline sportive… et bien d’autres choses encore. Nous glissons globalement, avec nos enfants jeunes et de plus en plus tard en âge, d’une relation éducative à une relation affective, d’une relation d’imposition de contraintes et de codes, à une relation de plaisirs partagés, d’un papa bienveillant qui tient la selle du vélo pour les premiers tours de roues, à un papa qui filme les premiers tours de roues d’un gamin bardé de protections en plastique, pour les mettre sur Facebook, d’une après-midi livres à la médiathèque municipale à une soirée câlins devant la télévision… dans un paysage très gradué, où l’on trouve certaines familles, gardant une forme éducative « traditionnelle » et d’autres où tout le monde se gère en tribu, au jour le jour, sans réelle ligne éducative, avec entre les deux toutes les graduations possibles.  

Je crains qu’il n’y ait pas d’alternative, il s’agit en fait d’une évolution sociétale massive engendrant de nouveaux rapports humains et de nouvelles formes de personnalités avec lesquels il va falloir faire.

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