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Les obsédés de la (dénonciation) de la course derrière le FN : la démocratie française gagne-t-elle vraiment à faire la course opposée ?
©Reuters

Mauvaises courses

Nicolas Sarkozy a été fortement critiqué par ses adversaires pour ses sorties. Il ferait "la course au FN" selon le Monde. Mais qu'est-ce que donnerait une attitude inverse. Il y a fort à parier qu'il s'agirait d'une vision complètement coupée du réel.

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Les attaques et critiques contre Nicolas Sarkozy ou même Manuel Valls ces dernières semaines dénoncent leur "course au FN" à travers le durcissement de leurs discours. D'autres personnalités sont-elles accusées de participer à cette "course FN" ? Qu'aurait-on à gagner à faire la course opposée ?

Philippe Bilger : Rien évidemment. Ce que l'on appelle "course au FN", la plupart du temps, est une appréciation lucide du réel. On peut ne jamais voter pour le FN, comme c'est mon cas, mais être obligé de reconnaître que depuis quelques temps la réalité ressemble quelque peu à ses analyses. Alors on peut évidemment lui reprocher une forme excessive, abrupte, sommaire. Mais on ne peut guère dire que des prévisions du FN faites il y a longtemps et qui à l'époque avaient scandalisé ne se sont pas d'une certaine manière réalisées !

Autrement dit, reprocher à des hommes politiques classiques leur "course au FN", c'est une absurdité ! C'est au fond comme leur reprocher de tenir compte d'un certain réel. Je trouve que c'est absurde ; il faut reconnaitre qu'il arrive même au FN, qui est aujourd'hui intégré dans le jeu politique classique de dire des évidences et des banalités. Et parce qu'elles sont prononcées par le FN, il faudrait les récuser parce qu'elles sont vraies ? C'est une ânerie.

Dominique Jamet : Effectivement ! Je crois qu'on peut, après les avoir rapproché dans un premier temps, distinguer les cas de Manuel Valls et Nicolas Sarkozy. On parle, à juste raison, depuis quelques temps, d'une droitisation générale des Français et des politiques Français. C'est indiscutable, et il est clair en effet que la menace et les actions terroristes ont entrainé et suscité des réactions qui vont toutes dans le même sens chez la quasi-totalité des politiques français, notamment du côté du gouvernement – et au gouvernement, tout particulièrement du côté de Manuel Valls – et naturellement du côté de l'opposition ;  c'est-à-dire, pour essayer de synthétiser, que la menace du terrorisme islamiste a amené la quasi-totalité de la classe politique à durcir leurs positions. Il a été question de la déchéance de nationalité par exemple, et même si cette solution a été écartée, c'est peut-être temporaire. Mais presque tous ont considéré qu'il fallait organiser une riposte adaptée et dure au terrorisme. De ce point de vue-là, c'est assez ironique de voir Nicolas Sarkozy et Manuel Valls tenir des discours qu'ils auraient, il n'y a pas si longtemps, tout simplement pas tenus ou bien condamnés comme résultant d'une rhétorique et de l'idéologie du Front National. Le terrorisme a provoqué ce rapprochement général de la classe politique et du Front National sur le terrain de la riposte au terrorisme. Cela ne vaut pas sur tous les autres domaines.

Mais la distinction entre Nicolas Sarkozy et Manuel Valls n'en subsiste pas moins : le gouvernement  socialiste peut avoir une attitude légèrement ou sensiblement modifiée par rapport au terrorisme qui n'est pas sans évoquer la rhétorique ou la pensée du Front National dans certains cas. Mais la visée de Nicolas Sarkozy est bien différente. Il espère, comme il l'avait fait en 2012, siphonner les voix du Front National, arracher cet électorat à la droite nationale et profonde, et essayer d'arriver ainsi en tête au premier tour. Dans sa stratégie, Hollande serait le candidat idéal et probable. Il doit pour cela convaincre une partie de l'électorat du FN qu'il est aussi fiable que Marine Le Pen dans la lutte contre le terrorisme.

Quel impact politique implique cette dénonciation de la "course au FN" ? Qu'a véritablement gagné la société française à entretenir un certain déni de réalité à ne pas vouloir parler comme le FN ?

Philippe Bilger : L'impact est contre-productif. C'est qu'imposer en permanence sur la réalité une sorte de label éthique qui interdirait parce que "c'est pas bien !" de révéler le réel, de l'analyser ou de l'énoncer, aboutit à mon avis à l'inverse auprès des citoyens. Je pense qu'occulter, masquer, dissimuler au prétexte que le FN l'a dit, ou le dira c'est au contraire favoriser la montée de celui-ci auprès des citoyens.

Dominique Jamet : Exactement ! Il est certain que le Front National, qui est taxé d'être obsessionnel sur l'immigration et sur les conséquences de l'immigration notamment le terrorisme, peut triompher car il voit son discours repris par la plus grande partie des autres partis politiques. Et on assiste d'ailleurs à une espèce de décalage assez habituel mais qui continue à être surprenant dans le fait qu'on a un langage, des pensées, des propositions, une idéologie qui sont plus proches du Front National qu'ils n'ont jamais été. Néanmoins, la plupart des médias continuent à faire une distinction entre le Front National qui dirait des choses inadmissibles intolérables, et les autres partis qui disent sensiblement la même chose et qui pourtant ne sont pas condamnés de la même manière.

Qu'ont véritablement gagné ceux qui accusaient le FN de "fasciste" sur des thématiques comme Schengen, l'intégration, les risques liés au terrorisme, etc. ? 

Philippe Bilger :Rien ! La faiblesse de ces gens-là, et je ne leur reproche pas, c'est qu'aujourd'hui, sur les domaines de sécurité, de justice, de terrorisme et de diplomatie internationale liés aux domaines précédents, ces gens donnent non seulement l'impression mais la certitude qu'ils suivent le Front National. Ils n'ont pas d'autre moyen, à partir du moment où ils tentent d'être lucides, que de montrer qu'ils suivent le Front National dès lors que celui-ci a perçu avant d'autres, peut-être, un certain danger. Ils ne pouvaient pas faire autrement, mais on ne peut pas leur reprocher cette lucidité tardive. Cela ne veut pas dire qu'ils adhèrent soudainement au FN, mais bien que des réalités que FN a perçues avant eux sont celles que d'autres partis aujourd'hui croient percevoir. Ces questions sont celles du terrorisme, de Schengen, de la justice, tout ce qu'a évoqué Nicolas Sarkozy et qu'il a été le premier à évoquer, cette zone grise dans laquelle fleurit le terrorisme, entre l'innocence et la culpabilité. 

Autrement dit, on n'a plus le temps aujourd'hui à passer 6 heures par jour à dénoncer moralement le FN. On a peut-être plutôt à se préoccuper des maux que le parti nationaliste a dénoncé avant lui et qu'on dénonce aujourd'hui avec lui. Le terrorisme n'est pas un domaine spécifique au FN. On peut s'y attaquer vigoureusement sans prendre sa carte dans le parti de Marine Le Pen. Il faut arrêter de perdre son temps dans des arguties sur l'Etat de droit ou sur la légitimité ou non de certaines dénonciations au prétexte qu'elles auraient été proférées en premier lieu par le FN !

En déconsidérant le discours du FN, ne prend-on pas le risque de renoncer à près du tiers du corps électoral ? Cela ne traduit-il pas une certaine incompréhension de ce tiers d'électeurs sur des thématiques comme la sécurité, le terrorisme, l'Etat de droit, etc. ?

Philippe Bilger : Je regrette que François Hollande – même si je comprends très bien pourquoi il ne le fait plus – n'ait pas tenu sa promesse sur la proportionnelle. Je trouve tout de même qu'il est extravagant que 25% ou 30% des votants soient éliminés du débat parlementaire. Je suis certain que la proportionnelle aurait certainement entrainé l'élection d'un certain nombre de députés FN. Mais je pense aussi que ceux-ci auraient alors montré leurs limites, et cela aurait de plus permis au débat parlementaire d'intégrer des choses qui aujourd'hui, dans le débat démocratique, apparaissent sulfureuses ou scandaleuses. 

Et donc il est évident que tout ce qui conduit à intégrer le FN, dès lors que le discours ne tombe pas sous le coup de la loi et manifeste un véritable débat politique m'aurait semblé tout à fait valable.

Et entendons-nous bien : tout ce que je vous dis-là viens de quelqu'un qui continue à manifester une opposition politique totale au FN. Le fait de souhaiter une équipée républicaine au FN n'est pas le signe d'une adhésion politique à ce parti. Je dirai même que cela pourrait être l'inverse.

Dominique JametBien sûr, c'est vieux comme le Front National ! La plupart des médias ne semblent pas vouloir sortir de son vieux discours, quand ils s'alignent eux-mêmes sur le Front National. Et la condamnation du Front National a porté sur le fait qu'il s'agissait d'un parti fasciste ou fascistoïde. C'est-à-dire que tout ce que disait le Front National était entaché d'une suspicion liée à cette nature propre et particulière que l'on lui prêtait. C'est pour cela qu'il est étonnant d'entendre encore que le Front National n'est pas un parti comme les autres, que ses électeurs ne sont pas des électeurs comme les autres. Il y a une forte contradiction. On peut vraiment se demander pourquoi on continue aujourd'hui à diaboliser comme hier alors que l'actualité le dédiabolise.

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