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Les non-lieux de la lutte féministe : des triomphes en trompe-l’œil des réseaux sociaux contre le harcèlement sexuel
©Reuters

#BalanceTonPorc

Sur Twitter, la vague d’indignation a été sporadique, irrégulière et surtout inefficace.

Maya Khadra

Maya Khadra

Maya Khadra est membre exécutif et coordinatrice de projets du Forum académique chrétien de la citoyenneté dans le monde arabe (CAFCAW), lauréate du Prix du journalisme francophone en zones de conflits en 2013 et ancienne journaliste à L'Orient-Le Jour.

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L’espace est la structure où se traduit la parole, l’action et l’interaction entre les individus. C’est l’univers matriciel de tout changement et l’assise de tout phénomène. C’est un lieu de rencontre aussi aux contours bien définis. L’inverse serait le non-lieu ; c’est là où l’être humain reste anonyme ; étranger à lui-même et aux autres. La notion du non-lieu n’est pas la mienne. L’anthropologue Marc Augé  en a jeté les bases. Le non-lieu serait un symptôme de la post-modernité et un espace où les crises existentielles, identitaires, et autres se concrétisent.

La dernière campagne #Balancetonporc est l’expression parfaite de cette crise féminine manifestée sur les réseaux sociaux. Ces non-lieux. Les femmes ont brisé le mur de la peur et leur audace mérite l’admiration. Les agressions sexuelles, les attouchements, les violences verbales, les situations humiliantes, les malaises longtemps passés sous silence et les viols ont été dénoncés notamment sur Twitter. Les remous d’un souvenir d’agression ont été vidés d’un coup sur la toile. On a balancé des porcs en l’air. On a relaté des histoires douloureuses. Puis la toile, ingrate qu’elle est, a noyé ces témoignages avec la déferlante d’infos encombrant le fil d’actualité. Nous avons vu un tweet #Balancetonporc suivi d’un autre très trivial #ONPC, par exemple. La vague d’indignation a été sporadique, irrégulière et surtout inefficace. La voix des femmes n’a pas eu d’échos dans cet espace fourbe, dans ce non-lieu où l’humain n’est qu’avatar et où la victime et l’agresseur ne comparaissent pas dans un moment de grande vérité devant un tribunal. Combien de femmes ont-elles été déterminées à intenter un procès contre leur agresseur plutôt que de le balancer : où concrètement ? dans le trou noir des réseaux sociaux ?. Les actes d’agression n’ont pas été inhibés par cette initiative. Il y a eu une catharsis, une accalmie au niveau de la houle des malaises refoulés et longtemps étouffés par la peur et la honte. 

Cependant, le slogan adopté est peu flatteur pour la cause féminine et pour la femme. En désignant l’agresseur par le mot « porc » la femme se réduit elle-même, indirectement, au statut de chair fraîche convoitée par un animal libidineux. Elle assume inconsciemment un statut de proie sexuelle plutôt que de victime. Le choix donc du mot est inopportun et surtout dangereux et épidermique. Outre le problème de la terminologie mal adaptée à la situation, vient le sentiment d’une victoire en trompe-l’œil. Que de femmes se sont senties triomphantes après leurs prouesses de délation sur les réseaux sociaux. Cependant, aucun agresseur n’a été déféré au parquet. La Présidente du syndicat de la magistrature l’a bien dit d’ailleurs : « Il est plus facile de s’exprimer sur la toile que de signaler une agression au procureur. » Le véritable problème réside alors dans l’incapacité à dénoncer, pas dans l’aptitude de s’exprimer publiquement. Les réseaux sociaux seraient alors ce subterfuge infidèle qui détourne les femmes du problème principal. Aux vrais problèmes, les vraies solutions. Les demi-mesures, les solutions tronquées, la délation inutile ne sont que des leurres qui procurent aux femmes, l’instant éphémère de leur expression sur les réseaux sociaux, un sentiment de fierté…. Puis, de nouveau s’ensuit un silence assourdissant. 

Un champ de bataille est un lieu où l’on retrousse les manches et où l’on se mette à l’œuvre pour vaincre un ennemi. Sur Twitter, les femmes ont été orientées dans le mauvais sens. Elles ont cru affronter leur bourreau, mais ce n’était qu’un avatar. Elles ont cru le dénoncer, mais leurs plaintes n’ont pas eu de suites pénales. Elles ont cru que le mot porc les exemptait de la honte qu’elles portaient comme un lourd fardeau. Mais elles se sont trouvées dans une position encore plus humiliante ; celle de l’objet sexuel appartenant à un porc, « leur porc » ! Les femmes ne sont pas des objets, ce sont des victimes et l’agresseur n’est pas un porc mais un être pervers. Le problème de cette campagne réside dans la terminologie adoptée et dans l’usage outrancier des réseaux sociaux et de l’abus du concept du « hashtag ».

Du non-lieu au lieu, de l’obéissance à des slogans qui desservent la cause féminine à la lutte digne et pondérée comme celle de la grande Simone Veil, il faut édifier des lieux de véritables luttes et des projets porteurs de vrais espoirs pour la femme.

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