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Les mystères de la productivité : les raisons pour lesquelles nos économies ne parviennent pas à retrouver le véritable moteur de la croissance
©Reuters

Panne

La croissance de l'activité des pays européens est en berne depuis huit ans maintenant. Au-delà de la crise, le problème pourrait venir d'une faiblesse structurelle de la productivité qui affecte nos économies.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : D'après une étude de Diego Comin pour le Dartmouth College, la productivité américaine ralentit, voire diminue, depuis 2005. Deux raisons sont mises en évidence : la baisse de la productivité des activités de R&D entre 2001 et 2004, puis le recul de la vitesse de l'adoption de nouvelles technologies, dû à la crise. Comment expliquer un tel phénomène ? Cette situation est-elle également observable en France ?

Sarah Guillou :La croissance de la productivité ralentit en effet depuis le début des années 2000 aux Etats-Unis. C’est également le cas en Europe où la baisse des taux de croissance de la productivité apparaît dès les années 2000. La persistance d’une faible croissance de la productivité voire de croissance nulle malgré la reprise interroge. En France, la croissance de la productivité du travail (PIB par heure) a été en moyenne de 0,4% sur la période 2007-2013, elle chute en 2014 et remonte à 0,8% en 2015. L’Allemagne présente une croissance moyenne de 0,7% (2007-2013) mais des taux de 0,4 et 0,5% en 2014 et 2015. 

Certains argumentent qu’existent des causes structurelles indépendantes de la conjoncture - donc antérieures à la crise - qui tiennent aux moindres aptitudes des technologies contemporaines à se transformer en gains de productivité. C’est notamment la thèse de R. Gordon. La désindustrialisation participe également à l’explication structurelle.

Une autre thèse incrimine les comportements des entreprises pendant la crise, qui ralentissent leurs investissements mais aussi le rythme de l’adoption des technologies. En période de crise, moins d’entreprises adoptent des comportements innovants et risqués, moins d’entreprises se contraignent à se rapprocher de la frontière technologique : c’est comme si les entreprises étaient comme paralysées par l’incertitude. On observe notamment un ralentissement des dépenses de R&D en période de crise mais aussi d’adoption des technologies. Or, ce sont ces comportements qui seront déterminants pour engranger des gains de productivité futurs. 

Quelle thèse est la plus valable ? L’étude que vous citez montre que pour les Etats-Unis, la deuxième thèse est plus explicative depuis 2000. Pour la France, il n’existe pas d’études comparables. Cependant, une étude de l’OFCE (2015) a montré que le rendement d’un euro d’investissement a diminué pendant la crise, ce qui valide aussi la seconde hypothèse.

Existe-t-il des moyens de contrer le phénomène ? Quels sont les moteurs essentiels permettant d'inverser cette situation ? 

Il faudrait pouvoir enrayer ces comportements de frilosité face à l’innovation et à l’adoption des technologies. La politique économique française n’est pas toujours cohérente à cet égard.

La compression des marges que suscite la crise est un obstacle majeur à l’adoption de comportements innovants. La fiscalité des entreprises doit donc être accommodante afin de ne pas comprimer les marges des entreprises déjà touchées par la crise. Mais éviter les politiques qui compriment les marges n’assure pas forcément que les marges seront utilisées en investissement productif, d’où l’orientation des politiques vers un ciblage des comportements innovants.

De nombreuses politiques depuis 2009 satisfont cet objectif. Ainsi, le plan de soutien à l’automobile de 2009 conditionnait l’aide financière aux dépenses de R&D ; la réforme de 2009 du Crédit Impôt Recherche a fait gonflé le montant d’aides indirectes (fiscales) à la R&D ; plus récemment, le dispositif de "sur-armortissement" depuis avril 2015 cible les investissements productifs ; enfin les dispositifs d’incitation aux investissements dans le numérique et les TIC ("Investissements d’avenir" et Stratégie pour les nouvelles opportunités économiques, NOE) cherchent à combler le retard dans les TIC et offrent une marge de gains de productivité future. Afin d’intensifier l’adoption des technologies, il n’est pas inutile de poursuivre la mobilisation des entreprises vers leur modernisation numérique comme le font les Allemands avec leur plan "industrie 4.0".

Toutefois, il est difficile de contrer l’incertitude mondiale qui fige les comportements des entreprises. Et la politique des gouvernements se doit alors de créer les conditions macroéconomiques d’une reprise afin d’écourter le plus possible la période de torpeur qui handicape les gains de productivité futurs. Les gouvernements européens n’ont, pour la plupart, pas rempli cette mission au plus fort de la crise, aggravant le ralentissement de la productivité.

Quelles sont les conséquences sur l'économie réelle d'un tel ralentissement prolongé de la productivité ?

La conséquence majeure de la faiblesse de la productivité est le ralentissement de la croissance, la faiblesse des créations d’emplois à salaires élevés et la perte de compétitivité. L’absence de gain de productivité bloque les moteurs de la croissance : emplois, salaires et exportations. De plus, l’absence de gains de productivité marque une absence d’amélioration qualitative de la production.

Par ailleurs, ce ralentissement renforce les inégalités. La crise a polarisé les profils d’entreprises : celles qui sont proches de la frontière technologique et celles qui suivent. Les plus innovantes et donc les plus productives sont les moins aptes à adopter un comportement attentiste. Ayant une culture de rupture et appartenant à des secteurs en forte turbulence, elles sont promptes à s’adapter et à se créer des occasions de croissance. L’écart se creuse entre ces deux grands types d’entreprises. Ce phénomène est une autre explication de l’accroissement des inégalités au cours du 21ème siècle, car les inégalités de productivité se traduisent en inégalités de salaires.

Bien sûr, ce ralentissement prolongé est sans doute moins inquiétant qu’il n’y paraît car il signale également le changement des économies industrielles vers des économies de services. Et la mesure, tout comme l’interprétation, de la productivité des services appellent de nouveaux indicateurs. Autrement dit, l’amélioration qualitative aurait bien lieu mais elle ne se mesure plus en termes de productivité. Pour finir, les progrès des technologies du futur, des biotechnologies à l’intelligence artificielle en passant par la robotisation, laissent entrevoir une nouvelle étape du capitalisme productif, dont les nouveaux enjeux pourraient éclairer différemment les interrogations sur la productivité.

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