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Jean Garrigues publie « Élysée contre Matignon Le couple infernal De 1958 à nos jours » aux éditions Tallandier.
Jean Garrigues publie « Élysée contre Matignon Le couple infernal De 1958 à nos jours » aux éditions Tallandier.
©Eric Feferberg

Elysée contre Matignon

Jean Garrigues publie « Élysée contre Matignon Le couple infernal De 1958 à nos jours » aux éditions Tallandier. Comment De Gaulle et Debré, Giscard d’Estaing et Chirac, Mitterrand et Balladur, Sarkozy et Fillon ou encore Macron et Philippe ont-ils cohabité ? Ce couple exécutif, unique au monde, engendre une infinité de configurations qui vont de la soumission à la collaboration amicale ou plus tumultueuse, jusqu’à la guerre de succession. Extrait 1/2

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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« Lui, c’est les jambes et moi, la tête. » C’est ainsi que Nicolas Sarkozy s’amuse devant des journalistes à décrire le couple exécutif qu’il forme avec François Fillon. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il faut une bonne dose de sangfroid ou de résignation au Premier ministre pour supporter ce genre de piques, mais aussi les foucades, les colères et l’autoritarisme de « l’hyper-président ». À vrai dire, ce dernier ne s’est jamais caché de vouloir bousculer les usages en empiétant sur le domaine de Matignon. Il le disait à Dominique de Villepin, le 31  janvier 2006  : « Tout ça, c’est complètement dépassé ! On ne peut pas avoir le président arbitre et le Premier ministre qui fait tout ! Il faut que le président soit responsable. » Il persiste et signe dans ses Mémoires, plus d’une décennie après son accession au pouvoir  : « À tort ou à raison, j’étais décidé à être “omniprésident”, comme m’avaient pertinemment dénommé certains observateurs. La conséquence de ce choix était de faire reposer l’ensemble du système sur mes épaules. »

Le « collaborateur » de l’« omniprésident »

Force est de constater que François Fillon partage a priori la même volonté de présidentialiser le régime, lui qui a validé par avance cette situation de subordination dans son ouvrage prospectif, La France peut supporter la vérité, publié en 2006. Il y souligne que « depuis la réforme du quinquennat, l’élection présidentielle est plus que jamais le principal rendez-vous politique » et que, par conséquent, « il est impensable que le président ne gouverne pas réellement », que ce dernier « doit diriger le gouvernement, expliquer régulièrement ses choix au pays, rendre des comptes devant le Parlement ». François Fillon a donc justifié un détournement présidentialiste de la Constitution, c’est-à-dire sa propre vassalisation. « Je suis, avec le président, dans une relation de totale confiance », déclare-t-il au Parisien, peu de temps après sa nomination.

Il est vrai que les deux hommes ont appris à travailler ensemble dès 1997 pour permettre l’accession de Philippe Séguin à la présidence du RPR. Quand ce dernier avait démissionné de son poste au printemps 1999, Fillon avait soutenu la présidence par intérim de Sarkozy avant de se présenter lui-même en novembre, mais uniquement parce que le maire de Neuilly avait lui-même renoncé à candidater. Puis en 2002, ils ont à nouveau œuvré de concert pour la réélection de Jacques Chirac, auprès duquel ils essayaient de rentrer en grâce, et enfin en 2004 lorsque Sarkozy s’est emparé de l’UMP. Il y a donc tout un passé de collaboration entre les deux hommes, qui représentent pourtant deux familles de pensée différentes au sein de la droite, François Fillon portant avec son mentor Philippe Séguin l’héritage du gaullisme social et dirigiste, Nicolas Sarkozy incarnant au contraire avec Édouard Balladur une forme de néolibéralisme décomplexé. D’ailleurs, la campagne présidentielle de 2007 a fait définitivement exploser les digues idéologiques qui semblaient les séparer. Les propositions de Fillon, converti au néolibéralisme, ont constitué l’axe majeur du programme présidentiel de Sarkozy. Ils étaient faits pour s’entendre.

Néanmoins, dès sa nomination, le 17 mai 2007, le Premier ministre est confronté au tempérament autoritaire du chef de l’État. « De quelle marge de manœuvre disposait François Fillon à Matignon ? s’interroge son collaborateur Jean de Boishue. À mon avis, d’aucune. Avec un président boulimique et soupe au lait, l’horizon était bouché en permanence. On a connu mille exemples où déclarations, propositions ou prises de position de Fillon ont été contredites, démenties, voire moquées. […] En petit chef de rayon, Sarkozy prenait un malin plaisir à casser Fillon. » Il semble d’ailleurs que ce dernier ait beaucoup somatisé sous forme de mal de dos ou de colites néphrétiques, à l’instar de Michel Rocard sous François Mitterrand. D’ailleurs, le neveu de ce dernier, ministre de la Culture du gouvernement Fillon, se souvient du Premier ministre « le visage décomposé par la douleur » lors d’une visite à la Villa Médicis à Rome. « Bien sûr, c’était psychosomatique, c’est un environnement, analyse François Baroin. Il s’était préparé pour être Premier ministre, il ne s’était pas programmé pour subir matin, midi et soir une forme d’addition d’humiliations. »

D’emblée, pour marquer son territoire, le président accapare la Lanterne, résidence versaillaise dévolue jusque-là aux Premiers ministres. En guise de boutade, Jean-Pierre Raffarin dit à François Fillon qu’il a laissé filer le meilleur de son job. Par ailleurs, Nicolas Sarkozy s’empresse de faire changer les statuts de l’UMP de manière que le poste de président du parti soit suspendu tant que le président de la République en est issu. Ce qui veut dire en clair qu’il reste le véritable chef du parti, flanqué d’un secrétaire général élu par le bureau politique, et donc que François Fillon ne saurait prétendre à être le chef de la majorité. C’est contraire au dogme de la Ve République, mais c’est ainsi que Nicolas Sarkozy conçoit l’hyperprésidence.

Alors que le Premier ministre a prévu de donner une interview au Figaro le 7 juin 2007, le chef de l’État s’invite dans le même journal deux jours plus tôt, obligeant François Fillon à se rapatrier sur Le  Parisien un peu plus tard. « C’est le seul type que je connaisse qui a voulu se faire élire président pour être Premier ministre », s’amuse Jean-Louis Borloo. On peut même se demander pourquoi il se refuse à supprimer la fonction elle-même, ce qui est l’une des pistes évoquées dans les discussions du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve république, présidé par Édouard Balladur. « J’étais déjà à chaque instant accusé d’être caricaturalement omniprésident », écrit Nicolas Sarkozy dans ses Mémoires, estimant que « toucher à la fonction du locataire de Matignon n’aurait fait qu’aggraver les choses ». Mais il ajoute que « la fonction a perdu beaucoup de son utilité avec le quinquennat » et que « Matignon est devenu un obstacle plutôt qu’une aide pour l’Élysée ».

C’est pourquoi il monte d’emblée en première ligne sur les dossiers brûlants comme celui de la restructuration d’Airbus, ou la relance de la réforme constitutionnelle européenne. Le 20 juin 2007, il s’invite au 20 heures de TF1 devant près de 12 millions de téléspectateurs. Avec un chef de l’État aussi omniprésent et hyperactif, le champ d’action de Matignon apparaît bien restreint. C’est d’autant plus difficile pour lui que le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, se pose clairement en rival du Premier ministre. C’est par exemple dans son bureau à l’Élysée que sont négociés les décrets d’attributions des ministres à l’issue du remaniement du 19  juin 2007. La veille du discours de politique générale du Premier ministre à l’Assemblée nationale, qui devait marquer sa véritable entrée en scène, le 2 juillet 2007, Claude Guéant lui coupe l’herbe sous le pied en dévoilant dans le journal La Tribune les grands axes de sa déclaration. François Fillon estime alors qu’il y a « sûrement quelques réglages à faire avec des collaborateurs du président qui parlent trop ». David Martinon, porte-parole de l’Élysée, visé lui aussi par le Premier ministre, lui répond : « C’est à Fillon de trouver sa place, pas à moi. » Ce à quoi le locataire de Matignon réplique en off : « Quel petit con, ce Martinon. » Il se plaint surtout que Claude Guéant court-circuite sans cesse les relations entre le Premier ministre et le chef de l’État. En témoigne un ministre : « La présence de Guéant inhibait François. Aucun vrai dialogue n’était possible. Sans doute Nicolas le voulait-il ainsi. »

Il n’est d’ailleurs pas le seul car Henri Guaino, conseiller spécial et « plume » du président, est lui aussi un adversaire de François Fillon, qu’il considère, dixit un conseiller de Matignon, comme « une erreur de casting ». Quant à Raymond Soubie, conseiller de Nicolas Sarkozy en matière sociale, il est aussi défavorable au Premier ministre, dont il dit : « Fillon, il est plus réformateur en paroles qu’en actes. Je ne l’ai jamais vu se battre pour imposer son point de vue face au président. » On a rarement vu dans l’histoire de la Ve République une équipe élyséenne aussi hostile et insoumise au chef du gouvernement. C’est aussi le cas de Rama Yade, secrétaire d’État aux droits de l’homme, qui se fait tirer les oreilles par François Fillon après qu’elle a rendu une visite aussi spectaculaire qu’intempestive à un squat d’Aubervilliers en voie d’évacuation, le 6  septembre 2007. Interrogée sur la réprimande du Premier ministre au 20  heures de TF1, elle ose répondre, sans vergogne  : « Tout ira bien tant que je bénéficie de la confiance du président. » C’est un camouflet pour François Fillon, quelques jours après que Nicolas Sarkozy lui-même l’a humilié dans son interview au quotidien Sud-Ouest du 21 août 2007, le qualifiant de « collaborateur ».

« Un collaborateur est appointé par un patron, réagit François Fillon sur France Inter. Moi je suis un homme politique, quelqu’un qui a des convictions et une légitimité, le suffrage universel. » Mais Libération n’hésite pas à titrer « À quoi sert Fillon ? » et certains le surnomment « Mr. Nobody ». Pour Laurent Wauquiez, le Premier ministre aurait très mal vécu cette « relégation », et c’est ainsi que se serait « noué en lui un ressort d’humiliation », que Nicolas Sarkozy n’aurait pas vraiment compris. « Mais qu’est-ce qu’il a ? Pourquoi il se plaint ? C’est formidable, il est Premier ministre, c’est une chance extraordinaire, qu’est-ce qui ne va pas ? », demande le président à son ami Brice Hortefeux. Dans ses Mémoires, Nicolas Sarkozy observe que François Fillon ne se plaignait jamais des réunions qu’il organisait sans lui avec les députés de la majorité. « Il avait assez habilement choisi d’endosser le costume de l’homme qui souffrait en silence, avec dignité », s’amuse l’ex-président. À l’en croire, il ne découvre les réticences de son Premier ministre que par « des confidences des uns et des autres, ou plus souvent par des “sorties de route” de tel ou tel de ses proches qui, avec son accord tacite plus souvent qu’explicite, se charge de donner son opinion réelle en critiquant la dernière de mes initiatives ». Ce rôle du spadassin filloniste est souvent tenu par Jean de Boishue, collaborateur de Matignon, dont le travail « consiste à expliquer que, dans le couple exécutif, il y a un méchant et un gentil ».

Parfois, François Fillon se permet néanmoins de décocher quelques critiques à l’encontre de l’hyperprésident. C’est ainsi que lors d’un déjeuner privé il confie son agacement face à la timidité réformatrice dont l’Élysée fait montre à ses yeux, par exemple à propos du projet sur le service minimum dans transports. Il n’hésite pas à le dire  : « Nous n’avons pas été élus pour réformer à coups de petites réformettes. »

De même exprime-t-il son mécontentement vis-à-vis du projet loi de réforme des universités qui renonce à la sélection ainsi qu’à l’entrée de non-universitaires, dites « personnalités qualifiées », dans les conseils d’administration. Ancien ministre de l’Enseignement supérieur, François Fillon tient à ces réformes, qu’il avait lui-même incluses dans le programme de campagne de Nicolas Sarkozy. Leur abandon, concédé aux syndicats enseignants et étudiants, lui apparaît comme un manque de courage. C’est pourquoi il se rebelle, prônant par exemple le 17 juillet 2007 un service minimum des professeurs. Mais David Martinon lui répond au nom du président que le seul projet de service minimum est celui qui concerne les transports terrestres de voyageurs.

Autre signe de rébellion, le 9 septembre 2007, lorsque le Premier ministre, invité à la télévision, affirme que l’explosive réforme des régimes spéciaux est prête, qu’elle « est simple à faire » et que « le gouvernement attend le signal du président de la République ». Le problème, c’est que Nicolas Sarkozy n’a pas été prévenu de cette annonce prématurée. Le 11 septembre, en déplacement en Bretagne, il lance : « Un peu de méthode ne nuit pas quand on cherche la résolution d’un problème. » Avant le Conseil des ministres suivant, les deux hommes ont ce que l’on appelle pudiquement une franche explication. Les journalistes observent que le 18 septembre, prononçant un discours sur les réformes sociales, le chef de l’État ne cite pas une seule fois le nom de François Fillon, et qu’en revanche il couvre d’éloges Xavier Bertrand, ministre du Travail. Cela dit, comme pour calmer le jeu, Nicolas Sarkozy affirme deux jours plus tard à la télévision que son Premier ministre « fait son travail de façon remarquable », qu’ils travaillent « main dans la main » et même qu’ils sont tous deux « parfaitement interchangeables ». Sauf que le lendemain même, le 21 septembre 2007, François Fillon, interpellé en Corse par des agriculteurs en colère, fait exploser une nouvelle bombe à la face de l’Élysée : « Moi, je suis à la tête d’un État en faillite sur le plan financier, dit-il, je suis à la tête d’un État qui est depuis quinze ans en déficit chronique, et ça ne peut pas durer. »

« Il n’y a pas de place pour deux à la tête de l’exécutif »

La colère du chef de l’État est à la mesure de la provocation du Premier ministre, convoqué à l’Élysée pour une séance de réprimandes : « Qu’est-ce que tu es allé raconter ? Tu peux dire que l’État est endetté, mais pas en faillite. » Le Premier ministre, impassible, rétorque alors : « Écoute, Nicolas, si je te gêne, tu as ma démission. » La discussion n’ira pas plus loin mais la tempête menace. D’autant plus qu’un article du Monde du 23 septembre 2007 jette de l’huile sur le feu en titrant que « François Fillon se pose en garant des réformes », ce qui marginalise le rôle du chef de l’État. Le Premier ministre l’appelle aussitôt pour apaiser la tension, mais Sarkozy, furieux, lui raccroche au nez. « J’essaie, peut-être pas toujours adroitement, de peser de tout mon poids pour que les réformes se fassent », répond François Fillon à une journaliste qui l’interroge sur ces tensions avec l’hyperprésident. « Je sais, ajoute-t-il, que je prends des risques en attaquant de mon côté. » Il reconnaît que ses relations avec Nicolas Sarkozy sont parfois orageuses, mais, dit-il, « chaque épreuve traversée renforce le tandem ». À la question de sa démission en cas de désaccord avec le chef de l’État, il répond sans hésiter par l’affirmative  : « Je considère que, dans la Ve République, le Premier ministre ne peut pas s’opposer au président. S’il est en désaccord ou inversement, il n’a pas d’autre option que de démissionner. J’espère, conclut-il néanmoins, qu’il n’y aura rien qui nous amènera à cette solution. » Il peut compter sur le soutien des députés de la majorité qui l’ovationnent le 24 septembre 2007 lors des journées parlementaires de l’UMP à Strasbourg, tandis que montent les critiques contre Nicolas Sarkozy, accusé d’avoir privilégié l’ouverture à gauche au lieu de s’occuper de son propre camp. Cette fois, c’en est vraiment trop pour l’hyperprésident, qui explose quelques jours plus tard lors d’une réunion des chefs de l’UMP à l’Élysée : « Il n’y a pas de place pour deux à la tête de l’exécutif. » Mais Fillon ne cède pas : « Écoute, Nicolas, si tu décides de supprimer le poste de Premier ministre, je m’en vais, pas de problème. » Et Sarkozy de répondre : « Mais non, ce n’est pas le sujet ».

L’animosité présidentielle n’en est pas moins entretenue par les mauvais sondages qui ne lui donnent en février 2008 que 33 % d’opinions favorables tandis que François Fillon caracole à presque 60 %. « Fillon ne me protège pas, il ne monte pas assez au créneau, il n’est pas courageux », vitupère le chef de l’État. « Plus les sondages baissent, plus il est difficile de lui parler », constate de son côté le Premier ministre. Et lorsque survient le désastre des élections municipales de mars 2008, marquées par la perte de 36 communes de plus de 30 000 habitants, c’est bel et bien l’hyperprésident qui est montré du doigt. François Fillon se tait, reste « solide » et « calme ». Nicolas Sarkozy lui reproche de ne pas assumer le rôle de fusible assigné à un Premier ministre. « Il faut que je lui demande des choses plusieurs fois. Sans cela rien ne bouge, je ne suis pas aidé », confie-t-il à ses proches. Et pour court-circuiter le chef du gouvernement, il constitue même une task force de sept fidèles, que certains appellent le « G7 », et dont son ami de toujours Brice Hortefeux est le meneur. François Fillon en est blessé, mais il garde la tête froide. Répondant à la question d’une journaliste sur son éventuelle candidature à la succession de Nicolas Sarkozy, il répond clairement qu’il n’en a pas envie car cela demande une « implication totale » et parce « qu’on a un président de la République excellent, et qui sera encore là en 2012, qui fera deux mandats ».

Le 6  mai 2008, le chef de l’État invite tous les ministres et leurs épouses à dîner à l’Élysée, et il saisit l’occasion pour calmer le jeu : « Ne croyez pas la presse, ce que les journalistes disent sur nos rapports. François et moi sommes liés, nous partageons la même vision des choses, nous allons faire un long chemin ensemble. » François Fillon se lève pour le remercier et dire combien il est fier de travailler à ses côtés. Cependant, le président laisse entendre à son entourage qu’il pourrait démettre le Premier ministre à la fin de la présidence française de l’Union européenne, c’est-à-dire en janvier 2009, et le remplacer par Xavier Bertrand. Lors d’un grand dîner donné à l’Élysée en l’honneur du président américain George W.  Bush, le 14  juin 2008, le Premier ministre est écarté de la table d’honneur, où figurent pourtant le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner et son épouse Christine Ockrent. Il faudra l’insistance de son épouse Penelope pour que le Premier ministre accepte de rester au dîner où il vient de subir cette humiliation.

On peut néanmoins considérer que cette mini-crise ouvre une longue période d’accalmie dans les relations du couple exécutif. Le 22  juin 2009, pour la première fois sous la Ve République, Nicolas Sarkozy prend la parole devant le Congrès des deux assemblées réunies à Versailles, afin d’annoncer lui-même les nouveaux grands chantiers de la fin du quinquennat, notamment la réforme des retraites et le grand emprunt, des sujets qui relèvent constitutionnellement de la compétence du Premier ministre. S’ensuit d’ailleurs le lendemain un remaniement gouvernemental orchestré par le chef de l’État lui-même, marqué par le départ de huit ministres et secrétaires d’État, tandis que sept nouveaux font leur apparition, dont cinq de l’UMP, afin de se rapprocher du parti majoritaire. Quand, en novembre 2009, le conseiller du président Henri Guaino se permet de soutenir publiquement la tribune de 63 députés de la majorité exigeant que l’emprunt annoncé par le président dépasse les cent milliards d’euros, il est sévèrement recadré par François Fillon : « Les conseillers du président ne font pas partie de l’exécutif », rappelle-t-il lors d’une réunion du groupe parlementaire UMP. Et il est appuyé par le chef de l’État qui désavoue Henri Guaino en évoquant lui-même un emprunt entre 25 et 50 milliards d’euros.

On aurait pu penser que le nouveau revers électoral de la majorité présidentielle lors des élections régionales des 14 et 21 mars 2010, qui voient la gauche remporter 21 régions métropolitaines sur 22, soit l’occasion de remplacer le Premier ministre. Mais s’il présente sa démission à l’Élysée dès le lendemain du second tour, celle-ci est aussitôt refusée par le chef de l’État. Quelques jours plus tard, le Premier ministre est d’ailleurs ovationné lors de la réunion du groupe UMP, alors que de nombreux élus imputent à mots plus ou moins couverts la responsabilité de la défaite électorale à Nicolas Sarkozy, accusé d’avoir trop ouvert le gouvernement à la gauche et d’être dans une exposition permanente qui nuit à sa crédibilité. Et l’on commente le titre du magazine Le Point du 4 mars 2010 qui s’interroge sur le rééquilibrage du couple exécutif, plaçant désormais le Premier ministre en position de rival du chef de l’État : « Le président Fillon… La tentation de l’Élysée, pourquoi la droite croit en lui ? » Cet article au titre provocateur s’appuie sur un sondage Ipsos qui classe le chef du gouvernement comme le « meilleur président » possible aux yeux des Français, juste derrière Dominique Strauss-Kahn. Interrogé à ce propos au salon de l’Agriculture, François Fillon ironise : « Ce doit être pour fêter mon anniversaire ! » 

Extrait du livre de Jean Garrigues, «  Élysée contre Matignon Le couple infernal De 1958 à nos jours », publié aux éditions Tallandier

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