Les missiles de Yongxing, le nouveau pied de nez de la Chine aux Etats-Unis<!-- --> | Atlantico.fr
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Pékin procède par avancées progressives, qui démontrent une véritable montée en puissance des ambitions chinoises depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping
Pékin procède par avancées progressives, qui démontrent une véritable montée en puissance des ambitions chinoises depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping
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Provoc

En déployant des missiles sol-air sur l'île de Yongxing, également convoité par Taïwan et le Vietnam, la Chine a une nouvelle fois affiché ses ambitions géopolitiques en mer de Chine. Mais le véritable destinataire de ce "message" pourrait bien être... les Etats-Unis.

Valérie Niquet

Valérie Niquet

Valérie Niquet est Maître de recherche et responsable du pôle Asie à la FRS.  Elle est l'auteure du livre "La puissance chinoise en 100 questions" aux éditions Tallandier.

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Atlantico : En déployant des missiles sur l'île de Yongxing, dans un secteur de mer de Chine du sud également revendiqué par Taïwan et le Vietnam, la Chine a envoyé un nouveau signe de sa volonté expansionniste. Mais au lendemain du sommet entre les Etats-Unis et l'ASEAN, où Barack Obama a appelé à une baisse des tensions dans la région, ce message envoyé par la Chine n'est-il pas destiné, en fin de compte, aux Américains ?

Valérie Niquet : En déployant des missiles sur l’un des îlots qu’elle contrôle dans l’archipel des Paracels en mer de Chine, la RPC poursuit une stratégie d’affirmation de puissance au niveau régional et face aux Etats-Unis, principale force d’équilibre dans la région, Pékin procède par avancées progressives, qui démontrent toutefois une véritable montée en puissance des ambitions chinoises depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Le bétonnage de rochers affleurants pour en accroître la surface, la construction de pistes d’atterrissage, le déploiement d’unités de l’APL, l’atterrissage d’avions civils, la construction de phares et l’ouverture au "tourisme" de certains îlots ainsi que la création d’entités administratives nouvelles constituent autant d’éléments mobilisés par le régime chinois pour tenter d’imposer un nouvel état de fait en mer de Chine. Il s’agit également de contrer les décisions de la cour de justice de La Haye, qui, en dépit de l’opposition de Pékin, s’est déclarée compétente pour recevoir une plainte déposée par les Philippines, et devrait rendre prochainement un jugement qui pourrait ne pas être favorable à Pékin.

Dans ce contexte, l’installation de moyens anti-aériens dans les Paracels, qui font potentiellement peser une menace directe sur l’ensemble du trafic aérien dans la région, constitue un pas de plus dans la provocation, qui correspond à la fois aux discours martiaux qui caractérisent le dirigeant chinois Xi Jinping, et peut également annoncer la prochaine proclamation unilatérale par la RPC d’une zone de contrôle aérien sur le modèle de ce qui a été fait plus au nord en mer de Chine orientale.

La relation entre la Chine et les Etats-Unis a connu un fort regain de tensions dans la semaine avec la proposition du Sénat américain de rebaptiser le nom de la rue de l'ambassade de Chine à Washington pour rendre hommage à Liu Xiaobo, dissident chinois emprisonné depuis 2009 et Prix Nobel de la paix 2010. Est-il possible d'envisager que ce déploiement militaire chinois soit une réponse à la "provocation" des sénateurs américains ?

La Chine s’est agacée de la proposition du Sénat américain, qui témoigne de la dégradation des relations entre Pékin et Washington et de l’échec de la stratégie chinoise de "séduction" de la puissance américaine fondée sur le concept de "nouvelles relations entre grandes puissances" énoncé par Xi Jinping en 2013. Ce concept avait pour Pékin le double mérite de détacher au moins symboliquement les Etats-Unis de leurs "petits" alliés en Asie, et d’accorder à la Chine un statut de puissance égale à celle des Etats-Unis. Toutefois, avec le déploiement de batteries de  missiles sol-air en mer de Chine, il s’agit également pour Pékin de répondre aux réactions suscitées par la stratégie agressive que la RPC mène dans la zone, telles que le resserrement des liens de sécurité entre les Etats-Unis et la majorité des pays de l’ASEAN, symbolisé par la rencontre de Sunnyland. Alors que la RPC était longtemps apparue comme une opportunité pour l’ensemble de la région, la Chine est aujourd’hui au contraire fédératrice d’inquiétudes et cible de nouveaux partenariats stratégiques qui impliquent les Etats-Unis, l’Asie du Sud-est, mais aussi le Japon, l’Inde et l’Australie.

La RPC répond aussi à l’envoi de bâtiments et d’avions américains dans les zones revendiquées par Pékin en mer de Chine, dans le but d’affirmer le droit de libre-passage dans une zone que Pékin considère comme relevant de sa souveraineté. Dans une situation de très grande asymétrie, le pouvoir chinois met donc en oeuvre des stratégies de bluff destinées à dissuader l’adversaire de toute action, au risque d’une montée accrue des tensions.

Dans quelle mesure l'opposition entre Chine et Etats-Unis représente-t-elle une menace pour l'équilibre géopolitique mondial ? Jusqu'à quel point ces deux géants peuvent-ils s'opposer, eux dont les économies sont fortement imbriquées entre elles ?

La Chine peut constituer un facteur majeur de déstabilisation et on voit que, dans le cas de la Corée du Nord, elle demeure peu disposée à soutenir des mesures qui pourraient aboutir à une solution de la question nucléaire dans la péninsule coréenne. Le régime chinois est aujourd’hui en phase de repli idéologique, confronté à des défis économiques et politiques majeurs et fonctionne dans sa stratégie extérieure en termes de jeux à somme nulle.

Dans ces conditions, les Etats-Unis apparaissent de plus en plus à Pékin comme un adversaire majeur, adversaire idéologique et obstacle stratégique sur la voie du retour de la puissance chinoise en Asie. Dans le même temps, il existe une forte interdépendance économique entre la RPC et les Etats-Unis. Toutefois, contrairement aux analyses communes, la Chine est sans doute bien plus dépendante de l’économie américaine que ne le sont les Etats-Unis à l’égard de Pékin. Les autorités chinoises ne pourraient brutalement rapatrier les bons du Trésor placés aux Etats-Unis sous peine de déstabiliser un peu plus des équilibres économiques déjà très fragilisés. Alors que la transition économique espérée ne s’est pas véritablement accomplie, la RPC ne peut pas non plus se passer des marchés extérieurs, à commencer par le marché américain. Par ailleurs, en dépit des progrès accomplis depuis plus de 10 ans, l’APL ne dispose pas des capacités de remporter un conflit face à la première puissance militaire mondiale.

Dans ces conditions, on peut supposer que - sans abandonner une stratégie de provocation qui répond d’abord à des exigences de légitimité interne - Pékin saura jusqu’où ne pas aller trop loin. Toutefois, dans une zone marquée par des tensions croissantes et l’autonomisation progressive d’acteurs stratégiques comme le Japon ou le Vietnam, les risques de dérapages ne peuvent être exclus.

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