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Les jeunes défavorisés sont ceux qui ont besoin de jobs d'été, les jeunes favorisés sont ceux qui les obtiennent
©Reuters

Groseille vs Le Quesnoy

Les jeunes dont les origines familiales sont modestes ne bénéficient pas du soutien de leur famille pour trouver un emploi. Ainsi, les jobs d'été constituent pour eux une opportunité de former des réseaux qui leur permettront de construire leur future carrière professionnelle. Et pourtant, ils sont victimes de discrimination sociale et ont beaucoup moins de chances d'en décrocher un que ceux issus de milieux favorisés.

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu est sociologue, spécialiste des déterminants physiques de la sélection sociale. Directeur de l'Observatoire de la Discrimination, il est l'auteur de Le Poids des apparences. Beauté, amour et gloire (Odile Jacob, 2002), DRH le livre noir, (éditions du Seuil, janvier 2013) et Odile Jacob, La société du paraitre -les beaux, le jeunes et les autres (septembre 2016, Odile Jacob).

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Atlantico : Aux Etats-Unis, les jeunes issus de familles modestes (dont les revenus annuels sont inférieurs à 22 000 dollars), ont deux fois moins de chances d'avoir un job d'été que ceux issus de familles aisées. Peut-on faire le même constat en France ? En France, à quels obstacles les jeunes issus de milieux défavorisés sont-ils confrontés dans l'accès à un job d'été ?

Jean-François Amadieu : En France, les sondages et les testings sur l'accès aux stages de la 3e à l'Université montrent que l'accès est très dépendant du soutien de la famille (c'est elle qui, de façon massive, va trouver les stages). Pour les jobs d'été, c'est très largement la même chose : il faut le soutien du réseau des parents. Par exemple, dans certaines entreprises, les jobs d'été sont réservés aux enfants du personnel (ce que l'on appelle les auxiliaires de vacances). Il est évident également que comme aux Etats-Unis, c'est d'autant plus difficile à trouver pour les jeunes dont les parents sont peu connectés. C'est encore plus vrai aujourd'hui (et surtout dans le cas français) car de façon croissante, les jobs d'été ont tendance à être remplacés par des stages (d'une part, ils coûtent moins cher aux entreprises et d'autre part, les étudiants sont obligés de trouver des stages).

Les barrières sont nombreuses. Comme dans le cas américain, en France, la question raciale recoupe beaucoup la question sociale. Les études américaines et françaises le montrent : les jeunes issus de l'immigration ont en moyenne un moindre réseau familial susceptible de les aider. Par ailleurs, il existe des phénomènes spécifiques de discrimination sur certaines variables (couleur de peau, critères de poids, etc.). En France, le défenseur des droits l'a montré : le physique joue massivement dans l'accès à l'emploi. Mais la variable sociale reste la variable majeure. Au regard des conventions internationales de l'OIT, le fait que le milieu social des parents (leur profession) ait un impact sur l'accès à un job d'été est une discrimination en raison de l'origine sociale. En France, personne ne veut prendre en compte cette dimension et l'on considère qu'il s'agit simplement d'un "effet de réseau".

En outre, aux Etats-Unis, le fait de disposer d'un véhicule facilite énormément l'accès à un job d'été. Ce critère importe également en France. En effet, les employeurs prennent en compte le fait de disposer ou pas d'un moyen de locomotion : par exemple, sur certains sites Internet, les questionnaires comportent fréquemment une question sur la possession ou non d'un véhicule personnel. 

Dans quelle mesure les jeunes issus de familles modestes ont-ils plus besoin que les autres d'avoir un job d'été ? Outre les motivations financières, quels désavantages, quelles lacunes les jobs d'été permettent-ils de pallier pour ces jeunes ?

Au regard des statistiques en France, on s'aperçoit que pour avoir un "vrai" job après les études, il est important d'être connu de l'entreprise dans laquelle on va être embauché. Un jeune qui a eu un job d'été dans une entreprise pourra ensuite y être embauché car il y a des collègues, connaît le patron, etc. Pour des jeunes qui n'ont pas de réseaux du fait de leur origine familiale, avoir un job d'été peut donc leur permettre de former ces réseaux.

Deuxièmement, pour ces jeunes c'est financièrement plus vital que pour les autres.

Troisièmement, ça leur donne une expérience. Sur un CV, la dimension apprentissage/expérience est fondamentale : il est important d'avoir une expérience, un stage intéressant. C'est parfaitement connu dans le monde du recrutement : sur un CV, à diplôme égal, ce sont les expériences professionnelles qui font la différence. Par exemple, un jeune souhaitant travailler dans le monde bancaire ou de la finance et ayant eu un job d'été au guichet d'une banque pourra valoriser son expérience. Dans certains cas, les jobs d'été sont des boosters de carrière. 

Aux Etats-Unis, en 1995, 50% des jeunes de 16 à 19 ans avaient un job d'été, ils ne sont plus qu'1/3 aujourd'hui. Dans quelle mesure est-ce lié à la récession économique ? Compte tenu de la moindre reprise économique en France, la situation est-elle pire qu'outre-Atlantique ? 

L'effet du milieu social (la profession des parents) a progressé depuis les années 1980. C'est vrai aux Etats-Unis mais aussi en France.

On ne peut pas savoir si l'évolution en France est de la même ampleur qu'aux Etats-Unis. Mais il est fort probable qu'il y ait eu une aggravation similaire du phénomène en France, voire pire. Par ailleurs, le marché du travail français n'a rien à voir avec celui des Etats-Unis. En effet, le taux de chômage aux Etats-Unis est modeste (tandis qu'en France, il y a un chômage de masse) et il y a beaucoup plus d'emplois aux Etats-Unis qu'il n'y en a en France. En outre, aux Etats-Unis, il est culturellement plus facile de faire travailler les jeunes et il existe beaucoup de petits boulots pour les jeunes.

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