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Les Gilets jaunes ont-ils vraiment sauvé la croissance ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Sale temps pour les keynésiens

L’acquis de croissance de 1,2% paraît être une faible performance au regard des milliards d’euros injectés en faveur du pouvoir d’achat depuis le début de l’année.

Denis Ferrand

Denis Ferrand

Docteur en économie internationale de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, Denis FERRAND est Directeur Général de Rexecode où il est notamment en charge de l’analyse de la conjoncture de la France et des prévisions macroéconomiques globales. Il est également vice-Président de la Société d’Economie Politique. Il est membre du Conseil National de l’Industrie et du Conseil d’Orientation pour l’Emploi au titre de personnalité qualifiée. Chroniqueur pour Les Echos, il est chargé du cours d’analyse de la conjoncture à l’Institut Gestion de Patrimoine de l’Université Paris-Dauphine et pour le Master APE de l’université Paris-Panthéon Assas.

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Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico.fr : Les chiffres de la croissance française pour le troisième trimestre 2019 ont été dévoilés : elle a été de 0,3%. L’acquis de croissance, si on projette un niveau de PIB inchangé sur le quatrième trimestre, serait donc de 1,2%. Ce résultat montre à la fois la résilience de l’économie française quand on la compare par exemple aux économies allemande ou italienne, mais le chiffre reste faible.

Quelle part a joué la politique budgétaire et fiscale du gouvernement dans ce résultat contrasté ?

Denis Ferrand : Ce qui est en train de se passer, c’est simplement que les conditions de la croissance sont en train de muter. C’est ce que j’appelle l’inversion des polarités de la croissance. On a eu depuis trois ans une croissance qui a été tirée par l’investissement et plutôt freinée par la consommation. Là on est en train d’arriver dans une période inverse : l’investissement des entreprises comme celui des administrations est en voie de ralentissement, mais cet effet est remplacé par une consommation un peu plus soutenue. C’est une substitution de moteurs et non une accélération de la croissance qui se dessine. On reste sur notre rythme de croissance, sur ce qu’on est en capacité d’extraire structurellement. Mais ce rythme-là se fait par des modalités différentes. A l’intérieur de la demande interne, ce ne seront pas les mêmes postes qui soutiendront la croissance.

Le pari est donc gagné si l’on considère qu’il était de relancer les dépenses de consommation, mais le verre n’est qu’à moitié plein si on prend la dynamique de croissance qui est celle que l’on observe actuellement. Quand on met de l’argent pour soutenir le revenu des ménages, inévitablement on en retrouve une partie dans le comportement de dépense des ménages. Si vous regardez sur l’année 2019, pour l’instant on ne connaît que les deux premiers trimestres en termes de revenus des ménages. Sur l’année, on peut anticiper que le pouvoir d’achat du revenu des ménages progressera de 2,4%, donc quasiment deux fois plus vite que la croissance qui va probablement s’établir à 1,3%. On a donc un effet de soutien du pouvoir d’achat qui est tout à fait important, qui tient en partie aux mesures fiscales adoptées en réponse au mouvement des Gilets jaunes. La fiscalité enlève chaque année l’équivalent en moyenne depuis sept, huit ans, 0,8 point de revenu des ménages. Si vous prenez la première partie de l’année, les évolutions de la fiscalité ont contribué 0,1 point de revenu. On a donc une petite progression du revenu cette année associée à la baisse des impôts et des cotisations là où habituellement les impôts et les cotisations l’amputent. Cet élément de stimulation s’est dans un premier temps retrouvé dans l’épargne, il va désormais se retrouver un peu plus dans un surcroît de consommation des ménages

En revanche, ce qu’il faut aussi regarder, c’est la manière dont on répond à cette consommation. Ce qu’on remarque, notamment sur ce trimestre en particulier, c’est que c’est la consommation de biens qui a accéléré, de manière assez marquée. Cela faisait depuis 6 trimestres que la consommation de biens reculait, sauf donc au troisième trimestre 2019 où elle a fortement accéléré (+3,8 % en rythme annualisé sur un seul trimestre pour la consommation de biens). De manière coïncidentes – et cela a probablement un lien – on se rend compte que l’on a eu au cours du trimestre écoulé une accélération des importations. Vous avez certes de la dépense de consommation en plus, qui tient aussi au fait que les prix ne bougent pas trop, que l’emploi soit encore en progression assez sensible, qui tient aussi aux impôts et cotisations en léger recul. Mais une partie de cette consommation est satisfaite par des importations : il y a une fuite de la croissance.

Jean-Philippe Delsol : Cela a un lien direct et indirect avec ces mesures-là. Les mesures d’urgence n’ont pas rétabli la confiance, or le mouvement des Gilets jaunes a été l’expression profonde d’un manque de confiance. Aujourd’hui, on a beau prendre des mesures pour donner de l’argent aux uns ou aux autres, les gens ne vont pas forcément se dépêcher de les dépenser et de relancer une machine qui souffre. Le problème est plus profond que cela. Et nos concitoyens ne sont pas bêtes non plus. Ils savent bien que quand l’Etat dépense plus, il faut qu’il trouve de l’argent. Cet argent, il va le trouver en s’endettant ou en prélevant plus. Tout cela crée de l’incertitude et de la crainte, donc de la méfiance. C’est ce qui explique que la France est toujours à la peine.

Les études économiques sont toutes convergentes pour souligner qu’il y a au-delà d’un certain niveau de prélèvement vraiment à redouter pour la croissance. C’est exactement ce qu’il se passe. Au global, la modeste baisse de prélèvements global est compensée par une augmentation de l’endettement.

Comment expliquer la résilience de la croissance française à la tendance à la récession qu’on observe par ailleurs dans d’autres pays européens ?  

Denis Ferrand : La croissance est évidemment supérieure à ce qu’on observe dans d’autres pays européens, indéniablement. De ce point de vue-là, c’est un facteur de résilience que d’avoir une consommation soutenue. Mais il ne faut pas non plus oublier que cette résilience, elle procède de ce qui, en temps de croissance plus soutenue, est aussi une de nos faiblesses, à savoir une moindre ouverture à l’extérieur et un poids moindre de l’industrie par rapport à d’autres pays d’Europe. Les mouvements qu’on observe actuellement sont souvent dictés par l’extérieur, et l’extérieur cela concerne en premier lieu les échanges de produits industriels. Quand vous êtes relativement moins industrialisé et relativement moins ouvert  vers l’extérieur, nécessairement vous êtes moins frappés par les conséquences d’un commerce extérieur chancelant à l’échelle mondiale qui est quand même le premier facteur du ralentissement économique récent.

Jean-Philippe Delsol : L’économie française est plus immobile. Elle réagit moins à la hausse ou à la baisse parce qu’elle est prisonnière de mécanismes très étatisés. C’est une des économies mondiales qui est la plus socialisées. Elle est donc moins sujette aux modifications de l’environnement de marché. C’est ce qui explique qu’elle est moins en croissance quand les économies ont une croissance plus forte, et qu’elle est moins impactée lors de moments de reflux de la croissance ou lors de crise. Ceci étant, c’est ce qui explique que la France perd année après année de la croissance et donc de la richesse. Il suffit de regarder aujourd’hui le montant du PIB par habitant au sein de l’UE. La France est plutôt dans la moyenne baisse : elle s’établit à 32830 euros de PIB/habitant/an en 2018. Le Luxembourg, c’est 83470 euros de PIB/habitant/an. L’Irlande : 57960 euros de PIB/habitant/an, près du double de la France… Même la Belgique est au-dessus. On peut continuer longtemps. La France est un pays moyen parce qu’il meurt de réglementations et de fiscalité. Nous sommes les champions de l’OCDE en termes de prélèvement obligatoire.

Comment expliquer que certains défendent des politiques d’inspiration keynésienne ?

Jean-Philippe Delsol : C’est une mauvaise réponse à une question qui ne se posait pas. Quand vous regardez le mouvement des Gilets jaunes, la demande n’était pas principalement d’augmenter les aides publiques aux personnes les plus modestes. Elle était de permettre à ces personnes d’avoir les moyens de vivre de leur travail. La principale réponse qu’on lui a apportée a été d’augmenter de 10% la prime d’activité. Ce n’est pas du tout ce qui était demandé. C’est une déception de plus.

Le keynésianisme a démontré depuis longtemps, et partout, son échec. Il y a cela étant des situations dans lesquelles il peut être justifié : Keynes lui-même était plus mesuré sur l’efficacité des dépenses publiques que ce qu’on lui fait dire aujourd’hui. Ce n’est qu’en période de récession et de crise que les dépenses peuvent éventuellement créer un choc de croissance. 

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