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Les Français en tête des Occidentaux qui pensent que leur système politique nécessite un profond changement
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Envie de changement

En France une majorité de nos concitoyens trouve que notre système politique a besoin un changement radical d'après une étude du Pew Research Center.

François Miquet-Marty

François Miquet-Marty

Sociologue et sondeur, François Miquet-Marty est président de Viavoice, institut d’études et de conseil en opinions. Il a notamment publié L’Idéal et le Réel : enquête sur l’identité de la gauche (Plon, 2006).

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Atlantico : Une enquête du Pew Research Center menée dans quatre pays en novembre et décembre 2020 révèle qu'environ deux tiers des adultes en France et aux États-Unis, ainsi qu'environ la moitié au Royaume-Uni, estiment que leur système politique a besoin de changements majeurs ou doit être complètement réformé. Les appels à une réforme importante sont moins courants en Allemagne, où environ quatre personnes sur dix expriment ce point de vue. Ces résultats vous surprennent-ils ?

François Miquet-Marty : Pas vraiment, parce qu'ils s'inscrivent dans la longue histoire de la prise de distance par rapport à nos modèles démocratiques. D'autant que le terme de "système politique" utilisé dans l'enquête est très englobant et recouvre des idées très différentes.

En ce qui concerne la France en particulier, deux éléments majeurs sont à relever. Le premier, c'est l'épuisement de notre récit républicain. Pendant des décennies, notamment depuis la Troisième République, on a grandi dans une vision du monde où l'idée de progrès était associée à l'idée même de République. Celle-ci dessinait un avenir positif pour la plupart des Français. L'incarnation et la mise en œuvre de ce récit républicain venait de ce système politique. Or, aujourd'hui, ce récit, notamment pour les générations les plus jeunes, est en partie épuisé.

Un autre facteur important est l'épuisement de la relation à l'État. L'État qui s'est constitué après la Seconde Guerre mondiale était pourvoyeur de protection sociale, mais aussi vecteur de croissance. Cet Etat, à la fois protecteur et promoteur, a suscité pendant très longtemps beaucoup d'espoir. Mais aujourd'hui, il est confronté à la réalité des difficultés que vivent une partie des Français depuis longtemps, notamment celle du déclassement. Il y a une forme de ressentiment profonde liée à l'idée selon laquelle l'Etat ne parvient plus à améliorer la situation de la plupart des Français.

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L'épuisement du récit républicain et l'épuisement de l'Etat français sont, selon moi, les deux vecteurs majeurs - il y en a beaucoup d'autres - de cette mise en cause de leur système politique.

Les préoccupations relatives à la corruption sont particulièrement répandues, avec près de la moitié des Français estimant que l'expression "la plupart des hommes politiques sont corrompus" est exacte. La conviction que les hommes politiques sont déconnectés de la réalité est également courante. Ces deux préoccupations ne sont pas nouvelles du tout, mais semblent difficiles à résoudre. Sont-elles intrinsèques au système démocratique ? 

Intrinsèques, je ne pense pas. Mais ce sont là aussi deux sujets essentiels. Quand on dit "corrompus", en réalité, cela ne veut pas nécessairement dire qu'il y a un acte de corruption au sens juridique du terme. C'est plutôt l'idée très majoritaire selon laquelle les personnalités politiques privilégient leurs intérêts particuliers sur l'intérêt général.

Viavoice a réalisé il y a deux ou trois ans une étude sur les acteurs les plus à même d'incarner cet intérêt général. De manière tout à fait contre intuitive, les dirigeants politiques faisaient partie des acteurs qui étaient pour les Français les moins à même de l'incarner. Dans les années 1970, cette idée était minoritaire et elle s'est beaucoup accélérée dans les années 1990, notamment dans le sillage des affaires du Parti socialiste. Il y a eu ensuite, de manière progressive, une érosion régulière de ce sentiment de préoccupation des responsables politiques pour l'intérêt général. Cette idée se fonde sur l'absence de résultats perçus de l'action publique. Le raisonnement est très simple : "On vote de manière récurrente, mais on ne perçoit pas les résultats positifs de nos votes. Ça doit vouloir dire que les dirigeants se préoccupent davantage d'eux-mêmes que des citoyens". Cela est ravageur et ronge l'idée même de conscience démocratique. Aujourd'hui, malgré le Covid, la plupart des Français font davantage confiance aux entreprises qu'à l'État pour se préoccuper de l'intérêt général : nous sommes véritablement dans une inversion des rôles.

Le deuxième point, la déconnexion, se décline aussi de mille manières. Il y a la déconnexion économique, au sens où on l'on imagine que les politiques n'ont pas conscience de ce que vivent économiquement les Français ; la déconnexion au sens du mode de vie ; mais aussi, et je crois que c'est le sujet principal, la divergence des visions du monde entre les dirigeants et les citoyens. Les dirigeants politiques sont souvent diplômés ou très diplômés et ont une vision du monde qui repose souvent sur des agrégats économiques ou sociaux. Après la crise de 2008, par exemple, le constat était que les dirigeants politiques parlaient de cette crise à travers des indicateurs de compétitivité, de performance économique, de PIB, etc. La plupart des gens, eux, parlaient de l'euro, de leurs récits de vie, etc. Cette divergence-là est structurelle et se traduit par une énorme difficulté de chacun à se mettre à la place de l'autre. D'où ce sentiment de déconnexion qui, à mon avis, aujourd'hui, est amplifié par l'insuffisante implication des élus dans les campagnes électorales. Jacques Chirac ou François Mitterrand ont passé des décennies à sillonner leurs départements. Aujourd'hui, ces campagnes qui s'inscrivaient dans la durée existent beaucoup moins. Nous avons des élus qui sont moins présents dans l'échange avec leurs électeurs au quotidien.

Ces mises en cause sont intéressantes car elles touchent le cœur même de notre modèle démocratique. Il faut ajouter d'autres éléments, notamment la remise en cause du principe représentatif, mais ces éléments là, en effet, sont très ravageurs.

De manière étonnante étant donné les résultats précédents, l'étude monde que la confiance dans le gouvernement français a augmenté depuis 2018. En 2017, seulement 20 % des Français déclaraient faire confiance au gouvernement pour faire ce qui est bon pour le pays en 2017, contre 55 % dans cette nouvelle enquête. La confiance est particulièrement élevée chez les partisans de LREM. Est-ce à dire que la stratégie ni-droite ni gauche d'Emmanuel Macron a pu répondre en partie aux aspirations des électeurs ? 

Cette confiance est beaucoup plus élevée que la cote de popularité d'Emmanuel Macron, qui se situe entre 35 et 40 % aujourd'hui, en fonction des questions psoées. Le sujet du Pew Research Center est donc une question de confiance générique qui est plus vaste que la simple question de popularité.

On peut en tirer deux explications. Il y a bien évidemment un noyau dur de sympathisants LREM qui vont accorder leur confiance, par définition, à la majorité au pouvoir et à l'exécutif actuel. Cette idée du dépassement du clivage gauche-droite, pour ces sympathisants, fonctionne bien. Il ne faut pas en négliger l'existence. Mais l'essentiel n'est pas là. Je crois que l'essentiel se trouve dans l'implication de la puissance publique face à la crise. C'est le constat que dans l'urgence, pour soutenir les familles en difficulté, les salariés, les entreprises, etc., l'Etat a été présent dès le début de la crise.

Mais ce 55% est très ambivalent car il montre que cela ne fonctionne pas auprès de tout le monde. Ce qui est frappant, c'est qu'après cet événement absolument majeur qu'est la pandémie, après un investissement de l'Etat qui fait passer la dette publique de 100 à 120 % du PIB, après le "quoi qu'il en coûte", près de la la moitié des Français ne fait toujours pas confiance à la puissance publique pour améliorer les choses. Alors oui, si je suis les données du Pew Research Center, il y a une amélioration, mais cette amélioration ne bouleverse pas la donne de manière structurelle. Je pense qu'elle est plus conjoncturelle que structurelle.

Parmi les solutions envisagées pour réformer le système, les assemblées citoyennes et les referendums sont très populaires en France, en Allemagne et aux Etats-Unis (environ sept personnes sur dix disent que c'est important), mais moins au Royaume-Uni où des questions cruciales telles que l'indépendance de l'Écosse et le Brexit ont été décidées par ce biais. Est-ce finalement la preuve que la démocratie participative n'est pas une panacée ?

Le problème est très difficile à résoudre mais est simple dans son expression. L'expression démocratie participative n'a pas fait la preuve pour l'instant de la transformation qu'elle peut opérer en termes de prise de décision, c'est-à-dire en termes d'impact réel.

Pour le dire autrement, si 70% des Français souscrivent à l'idée d'assemblées citoyennes ou de référendums, c'est parce qu'il y a un désir d'être entendu. Quand j'ai écrit mon livre sur Les oubliés de la démocratie, au début des années 2010, on avait déjà la moitié des Français qui ne s'estimaient pas entendus. Il y a un désir de prendre la parole dans le débat public. L'Assemblée citoyenne répond à cela. Mais personne aujourd'hui n'articule vraiment la démocratie participative avec la démocratie représentative et avec l'exécutif. C'est-à-dire, de manière claire, les règles du jeu qui permettent de transformer l'expression des citoyens en prise de décision. Ce point-là est aujourd'hui une source de frustration. C'est un peu ce que l'on a vu avec la Convention citoyenne pour le climat. Vous pouvez donner la parole à des gens tirés au sort, ils sont contents de s'exprimer, mais dès lors que les règles de transformation de cette parole en prises de décisions ne sont pas clairement établies, que l'articulation avec la démocratie représentative n'est pas clairement établie, cela apparaît comme une consultation, certes bienvenue, mais qui n'est pas suffisante pour être véritablement dotée d'influence.

Cette question-là est extrêmement difficile à trancher. D'une part, parce qu'on ne sait pas bien transformer le nombre, c'est à dire l'expression des citoyens, en prises de décisions. Et surtout, on ne peut pas non plus négliger la démocratie représentative puisqu'elle est le socle de notre démocratie actuelle. Donner la parole à des citoyens, c'est fort sympathique, mais cela doit s'articuler avec la démocratie représentative. En résumé, nous sommes dans un moment hybride où la démocratie représentative, pour une large partie des Français, n'est pas satisfaisante parce que l'idée même d'être représenté est considérée comme un dévoiement de la propre parole de chaque citoyen. Mais on n'a pas, conceptuellement, les règles du jeu qui permettraient d'articuler démocratie participative et démocratie représentative. D'où, au fond, une forme de prudence envers ces dispositifs.

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