Les Français auraient rejeté la gouvernance Macron, pas assez politique. Ce qui est bizarre, c’est que les mêmes Français n’ont jamais rejeté les fruits de l’expertise<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse dans le bâtiment du Conseil européen à Bruxelles, le 24 juin 2022.
Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse dans le bâtiment du Conseil européen à Bruxelles, le 24 juin 2022.
©LUDOVIC MARIN / AFP

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Emmanuel Macron a été réélu par défaut et sans majorité pour gouverner. Les Français voudraient plus de « politiques » que « d’experts ». Mais ils réclament aussi plus d’expertise et d’efficacité

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Il va falloir qu’on se mette d’accord sur la définition de la politique. La tendance des commentateurs politiques est de nous expliquer que les Français ne supportent pas les gouvernements d’experts. « Trop techno, pas assez humain… ». Emmanuel Macron est certes brillant ou compétent, sauf qu’il a si peu d’expérience politique que le peuple ne le supporte pas. 

L’élite française serait donc envahie par des saints simoniens, froids et psychorigides, qui veulent nous imposer leurs normes, leurs règles et leurs procédures. Emmanuel Macron lui-même se complait dans cette expertise et a laissé les ingénieurs entrer dans les cercles du pouvoir pour asseoir son autorité. 

Si l’on en croit les politologues, les responsables politiques comme la majorité des commentateurs professionnels, les Français ont donc réélu Emmanuel Macron à l’Élysée, par défaut, mais lui aurait infligé cette claque électorale qui rend le pays ingouvernable. 

L’analyse est assez convaincante parce qu’elle est simple, facile à développer sur les chaines d’info et elle est compréhensible par le plus grand nombre.  Très concrètement, on aurait besoin de politiques et pas de techniciens « bornés » - excusez le jeu de mot minable - c’est -à-dire d’experts et de solutions qui ne tiennent aucun compte de la réaction de leurs clients. 

Il faudra quand même, qu’un jour, les mêmes commentateurs politiques nous expliquent ce qu’est au juste « la politique ». 

La politique, c’est évidemment la science de l’exercice du pouvoir après avoir accédé à ce pouvoir, compte tenu de ce qui se passe actuellement, la politique serait donc la science de se faire aimer et apprécier quand on est au pouvoir. C’est du Machiavel pur sucre. Parce qu’à appliquer ces préceptes à la lettre, on tombe dans le cynisme et la démagogie très vite. Sauf que si Machiavel prévenait les princes qui gouvernent de se faire aimer et apprécier de leurs "ouailles", il disait aussi qu’il fallait surtout leur apporter des résultats. Dire ce qu’on veut faire c'est bien, mais faire ce qu’on a dit, c'est beaucoup mieux. Des mots d'amour oui, mais surtout des preuves d'amour. 

La politique, c’est aussi le talent de gérer la cité et d’apporter des éléments de progrès. En d’autres termes, de l’action et de l’efficacité.

Tout « le mal français » est là, nous serions donc gouvernés par des techniciens, donc des experts et pas par des politiques. 

Ce qui est curieux dans cette analyse, c’est que les mêmes Français sont majoritairement friands de tous les fruits de l’expertise, donc le progrès. Ils sont même exigeants.  

La population française utilise un téléphone portable, un bon tiers en ont même deux. Ils ne peuvent pas s’en passer, ni même des réseaux sociaux. Les hommes politiques n’y sont pour rien. 

La majorité des Français voudrait bien une voiture électrique mais ils hésitent parce que c’est encore cher et surtout ça n’est pas encore assez stable pour voyager longtemps. Intuitivement, les Français considèrent que pour la voiture électrique, on manque d’experts. Que les écolos font surtout de la politique, qu’ils le veuillent ou non. L’écologie est suspendue aux progrès de la science. 

La majorite des Français veut manger bien et sainement des produits de proximité, du bio. Ils veulent trouver du Doliprane pour soigner leurs maux de tête, ils voudraient être protégés du cancer et être soignés le mieux possible par les meilleurs médecins, ils veulent des habitats confortables et isolés, ils veulent des enfants qui soient bien élevés, bien éduqués et qui trouvent un travail correct. Ils veulent même voyager, tout le monde veux vivre mieux, quelle que soit sa culture, sa religion et son idéologie. 

Cet appétit de mieux vivre est universel. Les musulmans qui en ont les moyens préfèrent vivre dans une capitale occidentale comme New-York, Londres ou Paris plutôt que chez eux. Bizarre mais normal. Les amis de Mr Poutine, oligarques ou pas, sont avides des valeurs occidentales. Ils préfèrent habiter avenue Foch à Paris ou sur la 5e avenue à New -York que les beaux quartiers de Moscou. Ce qui est encore plus bizarre, c’est qu’ils préfèrent mettre leurs enfants dans des écoles privées à Paris ou à Londres que de les laisser à St Pétersbourg.   

Bref, les Français (mais pas que...) veulent pouvoir accéder au progrès, en profiter et le consommer. C’est vieux comme le monde. Normal et légitime. Et cela, quel que soit le régime politique.

Et bien, il faut que les commentateurs politiques comprennent que ce progrès n’est pas le résultat des politiques, mais des experts, des ingénieurs et des entreprises qui les emploient. Le mobile et l’internet n’ont pas été inventés par des politiques, les vaccins non plus, pas plus que l’automobile. Les architectes et les designers, les chimistes et les physiciens, les médecins qui rendent la vie possible et les artistes qui la rendent plus belle ont, comme les chefs d’entreprises avec qui ils travaillent, façonné le monde et permis la vie sur Terre.

Il y a dans la croissance économique beaucoup plus de saint-simonisme qu’on ne le croit.  Surtout aujourd’hui. On les a vu à l'œuvre dans les moments clefs de l'histoire, au 19e siècle, au 20e siècle. Napoléon III doit ses résultats aux ingénieurs. Le général de Gaulle a laissé l’image d’un grand résistant, mais aussi celle d’un stratège de l’évolution économique du monde.  

L’époque actuelle doit tout ou presque à l’invention miraculeuse de l’ordinateur et de l’internet. Le digital change tout. La politique n’y est pour rien. 

La France des Lumières a généré les conditions de la révolution politique et industrielle. Mais les politiques ont créé les conditions du progrès, mais ils l’ont souvent freiné. En le freinant pour plaire à leurs électeurs, ils ont souvent ajouté de la misère à ceux qui étaient les plus défavorisés. 

C’est le risque que la France a pris aujourd’hui. Avec plus de 60% du PIB en dépenses publiques, le pays est en risque d’immobilisme… Si le pouvoir politique pour faire plaisir ou acheter la paix sociale continue à ne rien oser pour mieux rassurer l’opinion, le pays va s’arrêter de respirer et donc de progresser. Le progrès est un dividende du risque. Risque technique et risque politique. Le pays n’a pas besoin de consensus pour avancer. Il a besoin d’un compromis, et pour fabriquer un compromis, les intérêts politiques ont besoin d’experts. Les experts apportent la solution. Les politiques doivent ménager les conditions pour que les solutions soient applicables.

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