Les europhiles sont en train de détruire l'Europe et, cette fois, c’est l’éditorialiste prix Nobel du New York Times qui le dit<!-- --> | Atlantico.fr
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L'éditorialiste Paul Krugman estime que les Européens ont mal géré la crise.
L'éditorialiste Paul Krugman estime que les Européens ont mal géré la crise.
©Reuters

Krugman à l'attaque

Dans une tribune publiée vendredi, l'éditorialiste nobelisé Paul Krugman estime que le projet européen est en danger. S'il a tenu ses promesses sur la question de la paix, les résultats ne sont pas probants au niveau économique, argue-t-il.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico :  Paul Krugman commence sa tribune publiée hier (à lire ici, en anglais) en dénonçant la conception même de l'euro. Cette accusation est-elle justifiée ?

Nicolas Goetzmann : Paul Krugman dénonce la mise en place d’une monnaie unique sans système de transferts. Il s’agit de la critique de base faite à l’euro, c’est-à-dire une monnaie unique liée à une multitude de politiques budgétaires, ce qui provoque un déséquilibre. Il s’agit de la nature « inachevée » de l’euro. La monnaie a été mise en place dans une volonté de faire converger les différentes économies, d’où le nom de « férule » monétaire. Le système est en effet imparfait depuis sa création, mais cette imperfection était connue par ses auteurs. Elle était même un outil au service de la convergence. Cette critique est parfaitement juste mais elle me semble incomplète. L’Euro a été créé dans une vision figée de la « science » monétaire. Le mandat donné à la Banque centrale européenne correspond bien à la doctrine en vigueur à l’époque, mais ne correspond plus du tout à celle d’aujourd’hui. Les fondateurs ont gravé dans le marbre une théorie imparfaite, et ont surtout rendu toute évolution impossible. La BCE est aujourd’hui incapable, statutairement, de suivre les apports de la doctrine. En Europe, nous avons une Banque centrale qui suit une politique aujourd’hui totalement obsolète. Les Etats Unis, le Royaume Uni, mais aussi le Japon, ont su faire évoluer leur doctrine, avec succès.

Le Prix Nobel poursuit en indiquant que les européens ont encore aggravé cette situation par la poursuite de mauvaises politiques pendant la crise. L'austérité menée en Europe n'était-elle pas la seule alternative aux problèmes inhérents à la zone euro?

Paul Krugman vise effectivement les politiques d’austérité et il est difficile de lui donner tort. Lors de la survenance de la crise, les états européens ont considéré qu’il s’agissait d’une crise de nature budgétaire et ont donc traité cette crise comme telle. L’austérité est née. Malgré l’absence de tout résultat, ces politiques ont été poursuivies pour en arriver à la quasi destruction de l’économie grecque, espagnole, portugaise etc…en fait de l’ensemble de la zone euro prise en termes consolidés. Parce qu’il est erroné de considérer un pays séparément puisque nous avons une monnaie unique. Ce qui compte, c’est le taux de chômage de la zone euro dans son ensemble, soit 11.8% et une croissance inexistante. Il est totalement abusif de brandir le chiffre du chômage de l’Allemagne pour en conclure que tout va bien et que c’est la faute des autres états. Si la majorité des états se noie, si les chiffres consolidés sont mauvais, c’est qu’il y a un problème global. Et ce problème est le mauvais diagnostic opéré.

La crise n’est pas de nature budgétaire mais de nature monétaire, ce qui peut être démontré aisément. Un phénomène rarissime s’est produit en 2008-2009 : la croissance nominale (la croissance « brute », sans que les chiffres de l’inflation n’aient été retranchés) est passée en terrain négatif. Et ce phénomène avait eu lieu pour la dernière fois en 1929. Une recette pour la dépression économique et un phénomène purement monétaire puisque la croissance nominale est du ressort exclusif de la banque centrale. Dans les années 30, les pays qui sont sortis de la crise ont relancé par la voie monétaire. En 2008, ce sera la même chose. Mais l’Europe reste sourde, elle est trop sure d’elle-même. Et c’était la même chose dans les années 1930.

Paul Krugman poursuit en indiquant que l’Europe n’est pas technocratique mais eurocratique. N'est-ce pas une mauvaise appréciation de ce qu'est l'Europe d'aujourd’hui ?

Le point de vue de Paul Krugman est juste. L’Europe, l’Euro, sont des constructions politiques. L’Euro a été créé comme un lien politique et non comme un aboutissement d’une réflexion économique. François Mitterrand a choisi de donner la couleur du Deutschemark à l’euro pour convaincre Helmut Kohl de rejoindre le projet. Les joies de la politique monétaire ne devaient pas être bien comprises par le Président. Ce dont souffre l’Europe d’aujourd’hui est l’incapacité de ses dirigeants d’accepter l’existence d’une erreur de conception. En se voilant la face de cette manière, les europhiles sont en train de détruire l’Europe. Les technocrates ? Le FMI et  l’OCDE, qui méritent cette appellation, font ce même diagnostic ; l’Europe doit procéder à une relance monétaire. Il n’y a que les politiques qui ne le voient pas. La BCE, de son côté, remplit son rôle en respectant son mandat bien comme il faut alors que celui-ci est défectueux, c’est-à-dire en menant méthodiquement l’Europe à la ruine. Il est sans doute heureux que les politiques aient gardé le pouvoir en Europe, mais il serait peut être bon de regarder ce qui se fait ailleurs pour tenter de sortir du drame que nous connaissons depuis 6 ans.

Existe-t-il des alternatives pour sortir l’Euro « vivant » de cette crise ?

Encore une fois, ce sont les eutrophies béats qui sont en train de mettre l’euro en danger. A force de ne pas accepter les erreurs commises, de ne jamais accepter de se remettre en cause, l’Europe se met elle-même en danger. Les dernières données statistiques font encore état d’un ralentissement de la croissance, pourtant déjà atone. A ce rythme, la crise sera encore là dans 10 ans alors qu’une génération entière a déjà été sacrifiée.

Oui, il est possible de sortir l’euro de sa torpeur. Car l’euro n’est pas en cause en tant que monnaie unique. C’est la méthode de gestion qui est appliquée qui est totalement inadaptée. C’est-à-dire la politique monétaire, qui est sans aucun doute le phénomène le plus mal compris alors même qu’il est le plus grand pouvoir économique. (« Donner moi le contrôle de la monnaie et je me moque de qui fait les lois »).  La « croyance » générale est de considérer la politique monétaire comme un outil permettant de jouer avec le cours de la monnaie. Cela est peut être juste, mais en se concentrant sur ce qui n’est qu’une conséquence secondaire, on rate l’essentiel : une politique monétaire est l’outil qui permet de contrôler la demande intérieure, c’est-à-dire le niveau d’activité au sein de l’économie. Prétendre que la BCE n’y est pour rien dans la crise, c’est prétendre que le niveau d’activité économique en Europe est satisfaisant. Un déni magistral.

Pour sauver l’euro, il faut donner les moyens à la Banque centrale de lutter contre la crise. Réviser le mandat en incluant un objectif de croissance à la BCE. A partir de là, la Banque sera contrainte de relancer l’activité économique et l’Europe retrouvera des couleurs. Paul Krugman indique dans sa tribune qu’il est surpris par l’abnégation des peuples européens à vouloir conserver cette monnaie. Il est de la responsabilité des dirigeants de la rendre viable, en réformant les traités.  

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