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Sony n'est plus un acteur majeur du secteur.
Sony n'est plus un acteur majeur du secteur.
©Reuters

Descente aux enfers

Sony a présenté début septembre un nouveau modèle de smartphone, le Xperia Z1, en expliquant viser la troisième place du marché mondial derrière Samsung et Apple.

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin est directeur au sein du cabinet Nextmodernity et blogeur. Il est un des spécialistes français de l’évolution conjointe des modes de travail et des technologies.

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Atlantico : Sony vient de lancer son nouveau téléphone Xperia Z1, lancement qui s'inscrit dans une stratégie de conquête du marché des smartphones face à Samsung et Apple. Ne peut-on pourtant pas dire que le géant japonais a déjà perdu la main dans ce secteur ?

Bertrand Duperrin : Même si le fait même que Sony ait été dépassé par d'autres montre que rien n'est plus jamais acquis et peut laisser espérer qu'un jour ils jouent le même tour à ceux qui les ont dépassé les chiffres parlent d'eux même : Sony n'est plus un acteur majeur du secteur. Ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'ils aient perdu la main. Ils sont capables depuis un certain temps de produire de bons terminaux. Leur problème est davantage qu'ils ont raté un virage a un moment donné et que le marché donnant en général la prime aux premiers entrants. Réduire fortement l'écart en termes de produit au bout de plusieurs années ne sert pas à grand chose. Ou plutôt ne permet pas de revenir significativement dans la course en termes de part de marché. C'est davantage un enjeu de survie, de capacité à rester sur un marché en attendant, qui sait, d'être le premier à saisir la prochaine transition majeure lorsqu'elle se présentera.

Quelles sont selon vous les raisons de cet échec ?

Ca n'est pas un problème de talent ou de produit, davantage un problème de business model et sa traduction opérationnelle. Sony avait d'excellents baladeurs, un catalogue musical de premier ordre, faisait d'excellents téléphones mais a été incapable de penser les 3 en même temps. Faute à une organisation plus orientée produit qu'orientée solution ou client. Ensuite ça a été une question de temps de réaction mais ça n'est pas surprenant : on peut toujours améliorer un produit en achetant un autre acteur, en embauchant des gens talentueux ou mettant des exigences fortes sur ceux qui sont en place mais là ça n'était qu'une partie de l'enjeu. L'essentiel était de changer le mode de pensée et la manière d'agir de l'organisation, de travailler transversalement hors des silos produit. Une remise en cause profonde de la philosophie de l'organisation alors que l'homme est le facteur lent du changement. Tout cela mis bout à bout amène à la situation que l'on connait.

Mais cela n'est pas le propre de Sony. A l'époque de la sortie du duo iPod/iTunes Bill Gates, effaré, avait demandé à ses équipes "mais pourquoi on ne l'a pas fait ?". Ils avaient également toutes les cartes en main, mais le succès est venu de celui qui a réussi à penser conjointement plusieurs outils, les services associés et s'est concentré sur une approche solution plutôt que sur une approche en silos.

Ajoutons à cela que (et remarquons que ça n'est pas le cas chez Apple…ce qui explique bien des choses), les différentes direction produit peuvent même en arriver à travailler comme des concurrents au sein d'une même entreprise et on comprend comment Sony et d'autres ont raté successivement la marche des baladeurs MP3 puis des smartphones.

Blackberry, autre grande compagnie du secteur, connaît elle même de grandes difficultés et envisage un démantèlement de son activité smartphone. Doit-on en déduire que l'on entre aujourd'hui dans un nouveau cycle qui consacrera de nouveaux acteurs, plus petits mais aussi plus innovants ?

Oui et non.

Oui parce que c'est plus facile pour un nouvel entrant de se positionner comme pure player sur un besoin qu'il a identifié, parfois même avant le marché en ait conscience. Il s'organise en fonction de ce besoin et sa taille lui donne une agilité qui lui permet de conserver voire d'accroitre son avance…au moins pendant un temps. Maintenant le petit finit par devenir grand et s'organiser comme ceux dont il a pris la place au fur et à mesure qu'il se diversifie et à son tour il peut subir le même sort.

Non parce ça n'est pas tant le talent d'un Apple ou d'un Google qui ont fait de Blackberry, Nokia ou Sony ces navires fantômes que l'on voit aujourd'hui. Bien sûr ils ont été innovants et disposent de talents incroyables mais les anciens leaders avaient les moyens de lutter, d'avoir les mêmes idées au même moment voire de réagir plus promptement qu'ils ne l'ont fait. Ce qui a été déterminant, on l'a vu pour Sony, est leur incapacité à travailler différemment, avec une orientation marché/solution plus que produit, en pensant conjointement plusieurs produits en un, le software et les services. Ce qui a tué ou affaibli nombre d'anciens grands n'était ni leur âge ni leur taille mais leur rigidité organisationnelles.

Il est certain que l'histoire se répétera et que sur ce marché comme sur d'autres, des pure players spécialisés et innovants fassent souffrir les leaders établis, parfois jusqu'à les faire disparaitre. Mais ça n'est pas une fatalité si les grands acteur changent leur philosophie managériale et organisationnelle. Mais c'est loin d'être propre au monde de la technologie ou de la téléphonie.

Quelles sont les entreprises qui vous apparaissent bien placées dans ce nouveau contexte ?

Par définition il y a toutes celles qu'on ne connait pas encore car elle n'existent pas encore sinon dans la tête de leurs créateurs et qui vont arriver demain pour exploiter une brèche, une transition de marché. Et il y aura les "gros" capables d'anticiper quasi aussi vite ou réagir suffisamment vite pour se servir de leurs atouts (taille, technologie existante, partenaires) pour toujours rester dans la course. On peut penser qu'Apple va tenir, ne serait-ce que pour des raisons culturelles, que Google va conserver son ADN, on peut parier sur Samsung, on peut croiser les doigts pour Microsoft dont la nouvelle stratégie va dans ce sens.

Mais on ne peut surtout être sur de rien.

Celui qui pense avoir des certitudes à moyen terme sur le sujet est soit un illuminé soit un génie qui devrait soit créer sa propre entreprises ou monter un fonds d'investissement.

Doit-on en déduire que le marché de la technologie, de par son extrême concurrence, finit par rendre obsolète les plus important de ces acteurs avec le temps ? (Sony ayant été l'un des géants, sinon le géant, de l'électronique pendant presque une vingtaine d'années).

Ca n'est pas la technologie ou la concurrence qui rend les acteurs obsolètes, c'est la capacité de ces derniers à vivre avec leur temps. Comme le disait Jack Welch quand il dirigeait General Electric : "Lorsque le rythme du changement hors de l'entreprise est supérieur au rythme du changement en interne, la fin est proche".

Alors bien sûr c'est exacerbé dans le domaine de la technologie qui évolue à un rythme incroyable ces dernières années mais il ne faut pas croire que c'est simplement et uniquement une affaire d'innovation et encore moins d'innovation produit. Bien sûr cela compte mais la composante innovation de service est capitale, voire majeure. Ensuite ça n'est pas la concurrence qui rend les leaders obsolètes mais leur incapacité à se remettre en cause et changer la manière dont ils travaillent. Apple, Google, Samsung et les autres ont peut être contribué au déclin de Microsoft, Nokia, Blackberry etc… mais se sont ces derniers qui au premier chef sont responsables de leur propre échec. En se sclérosant, en refusant de travailler d'une manière en phase avec le marché, son évolution rapide et ses attentes ils se sont tiré une balle dans le pied tout en ouvrant la porte à leurs concurrents. Dès lors la course était perdue d'avance.

Et puis ne commettons pas l'erreur de croire que ce que nous observons se limite au secteur des technologies. Bien sûr il est en première ligne mais tous les autres secteurs subissent les mêmes contraintes du marché et, à leur rythme, ils vont tous être confrontés aux même situations. Des secteurs plus murs, plus régulés, évoluent moins vite de la même manière que le cancer se développe plus vite chez un trentenaire que chez une personne âgée, mais ils évoluent et à des vitesses qui tendent tout de même à accélérer. On observera les mêmes phénomènes et pour les mêmes raisons sur d'autres secteurs en fin de cycle comme l'automobile qui va devoir fournir et vendre de la mobilité et non plus seulement des voitures. Bien que protégée par des régulations très conservatrices la banque est fortement exposée et ne pourra pas faire l'économie de se demander ce qu'est la banque de demain très rapidement. Car les solutions et les acteurs alternatives sont déjà là et les banques ne doivent leur relative tranquillité concurrentielle qu'à l'hyper réglementation du secteur…mais cela ne durera qu'un temps.

Au delà de l'affaire Sony et du secteur technologique qui n'est finalement qu'anecdotique, c'est toute la question de l'adaptation de business models et de modes d'organisation quasi centenaires au monde du XXIe siècle qui est posée.

Deux chiffres à méditer pour finir :

• Richard Foster,dans "the creative destruction" (2001) montrait que l'expérience de vie d'une entreprise de l'indice Standard & Poors 500 était de 75 ans en 1937. Elle n'est plus que de 15 ans aujourd'hui.
• Selon une étude de Deloitte, la vitesse à laquelle les entreprises perdent une situation de leadership sur leur marché a été multipliée par 2 depuis 1965.

On n'est donc pas que devant un un problème d'innovation dans le secteur des technologies. Loin de là.

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