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Les élites européennes, ces handicapées de (la compréhension de) l’inflation
©DANIEL ROLAND / AFP

De l'inflation, encore de l'inflation

Alors que Nathalie Loiseau déclarait le 7 septembre sur twitter que "l’euro nous a protégés de l’inflation depuis 20 ans", le rôle de l'inflation dans l'économie est remis en lumière. En dépit de la peur qu'elle inspire, l'inflation est non seulement utile mais souvent nécessaire.

Denis Ferrand

Denis Ferrand

Docteur en économie internationale de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, Denis FERRAND est Directeur Général de Rexecode où il est notamment en charge de l’analyse de la conjoncture de la France et des prévisions macroéconomiques globales. Il est également vice-Président de la Société d’Economie Politique. Il est membre du Conseil National de l’Industrie et du Conseil d’Orientation pour l’Emploi au titre de personnalité qualifiée. Chroniqueur pour Les Echos, il est chargé du cours d’analyse de la conjoncture à l’Institut Gestion de Patrimoine de l’Université Paris-Dauphine et pour le Master APE de l’université Paris-Panthéon Assas.

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Atlantico : On disait la relation entre l'évolution du taux de chômage et l'évolution du taux de croissance des salaires, formalisée par la courbe de Philips, désuète. On voit cependant que cette relation réapparait aujourd'hui aux Etats-Unis, comment l'expliquez-vous ?

Denis Ferrand : Cette relation n'a en fait jamais totalement disparu. On observe depuis quelques années déjà une progression assez régulière de l'emploi aux Etats-Unis avec des effets de diffusion sur les salaires dans l'économie. On savait notamment que beaucoup de métiers étaient déjà en tension, notamment dans l'informatique, et ces situations de pénurie de compétences étaient déjà propices à la progression salariale. Ce phénomène s'observait jusqu’à présent uniquement au niveau de quelques secteurs, sur des compétences particulières, et n'exerçait donc pas une pression généralisée à la hausse sur les salaires. Ce processus se diffuse plus généralement désormais dans l'ensemble de l'économie américaine aujourd'hui car le taux de chômage y est inférieur à 4% et le taux d'activité remonte également. 

Le problème relatif au nombre de personnes sorties du monde du travail car découragées de trouver un emploi a progressivement été évacué et ce nombre a fortement diminué. Si l'on regarde aujourd'hui les indicateurs les plus parlants concernant la tension sur le marché du travail, que sont le taux d'activité et le taux d'emploi, on se rend compte qu'une fois corrigés de l'évolution de la structure démographique américaine par âge, ceux-ci sont cohérents avec ce que l'on avait en 2007 au dernier point haut de la conjoncture américaine. Un point particulier demeure : la faiblesse du taux d’emploi des hommes de 25-54 ans qui est encore un peu bas, probablement un des résultats de la crise des opiacés qui sévit aux Etats-Unis. Mais au total, on a retrouvé un semblant d'équilibre sur le marché du travail avec les mêmes relations de salaire que l'on avait avant la crise de 2008 aux Etats-Unis. Il s'exerce de ce fait une relation assez mécanique entre le chômage et les salaires 

Il faut également ajouter que cette pression ne s'était pas généralisée auparavant car d'autres facteurs jouaient en sens contraire sur la progression salariale, notamment la polarisation des créations d'emplois. On créait beaucoup d'emploi en "bas de l'échelle" et quelques-uns "en haut" : la catégorie du milieu voyait son emploi disparaitre ou ses espoirs de progression salariales contrariés, ce qui a polarisé marché du travail. La middle class américaine a donc vu lentement progresser son salaire, ce qui est moins vrai à présent du fait de déficits de main d’oeuvre.

Cette progression des salaires ne semble cependant pas se transformer en inflation des prix, comment expliquez ce phénomène ? 

Il s'agit d'une demi-résurrection de la courbe de Phillips, enterrée un peu trop rapidement à mon avis : on voit en effet la relation entre chômage et salaires se manifester à nouveau mais on ne voit pas la relation qui va de la hausse des salaires vers la hausse des prix. 

D'une certaine manière cela est dû à la compression des marges qui sont l'intermédiation entre les salaires et les prix. L'augmentation de la hausse du coût du travail qui n'est pas aujourd'hui répercutée sur les prix se fait ainsi sur ce que les économistes appellent la diminution du taux de "mark-up", soit le rapport entre le prix et les coûts. 

Cette diminution du taux de mark-up n’a pas forcément pesé sur le profit des entreprises pris à l’échelle globale car le coût du capital a diminué (baisse des taux), d’une part et que la réforme fiscale Trump a diminué les impôts sur les sociétés, d'autre part. Cette baisse du coût du capital a en quelque sorte amorti l’impact de la remontée progressive de la part croissante des salaires dans la valeur ajoutée sur les marges d’exploitation. Cette part est remontée de 3 points en l’espace de 5 ans, interrompant ainsi le processus débuté dans les années 2000 de sa baisse tendancielle. Pour le dire autrement, depuis 4 ans la masse salariale accélérait sans que cela ne pèse forcément sur les résultats et ne fasse augmenter les prix, parce QUE la baisse d’impôts et la réduction des frais financiers venaient soutenir le résultat des entreprises.

L’amortisseur qu’a été la baisse du coût du capital, qui a contribué à éviter une transmission des hausses de salaires aux prix, semble toutefois caduc désormais. Le problème est maintenant que les baisses d'impôt n'interviennent plus et des baisses de taux d'intérêt supplémentaires sur les entreprises sont peu probables à court terme. On se trouve donc au moment où l'effet de la hausse des salaires, qui pèse déjà sur les marges, peut se répercuter de manière croissante sur les profits des entreprises sauf si celles-ci sont en mesure d'augmenter leurs prix, si tant est que la pression concurrentielle le leur permet. Les consommateurs étaient jusqu'à présent préservés d'une hausse des prix mais le risque est que désormais une pression accrue à la hausse des prix va s’exercer, sauf si là encore le ralentissement économique qui se dessine aux Etats-Unis ne bride ces velléités d’accélération des prix.

L'Union Européenne connait-elle des évolutions semblables au sein de ses pays membres ?

Dans le cas de la France, une petite accélération des salaires semble se manifester. Le salaire mensuel de base qui progressait jusqu'alors linéairement autour de 1,5% par an progresse à un peu plus de 2% aujourd'hui. Si on ajoute à cela l'accélération des primes en début d’année, suite notamment à l’incitation fiscale annoncée en décembre 2018, la progression du salaire moyen par tête (salaires + primes) sera supérieure à 2 % dans le secteur marchand ce qui ne s’est plus produit depuis 2010. Cette accélération intervient en outre à un moment où les gains de productivité sont nuls. La combinaison de ces deux mouvements devrait se traduire par une baisse forte des marges d’exploitation en 2019. Or, ce n’est pas le cas car c’est à la fois une petite accélération des salaires qui se manifeste et un taux de marge en hausse pour les entreprises. Cette situation atypique est intégralement expliquée par des règles d'enregistrement de la comptabilité nationale qui impute sur l’année les reliquats du CICE versé au titre de l'année 2018, reliquats qui se cumulent avec le nouvel allègement de charges introduit au 1er janvier et qui vient remplacer le CICE. Cette remontée du taux de marge concomitante à une petite accélération salariale sans gains de productivité est donc purement faciale et devrait disparaitre dès le début de l'année 2020. 

Est-ce que pour autant l’accélération salariale débouchera sur une pression accrue sur les prix ? Rien n’est moins sûr. Un point de vigilance est l’évolution à venir des salaires en Allemagne. Ceux-ci accéléraient depuis quelques années. Mais avec le ralentissement de la croissance allemande, voire sa quasi-récession, et la stagnation de l’emploi, c’est probablement à nouveau une phase de modération qui pourrait s’observer outre-Rhin. La pression concurrentielle exercée par une compétitivité salariale renforcée en Allemagne se fera à nouveau plus fortement sentir sur l'économie française alors qu’elle s'était un peu atténuée ces dernières années. 

Nathalie Loiseau se félicitait sur Twitter de la réussite de l'euro ces 20 dernières années dans la lutte contre l'inflation. Ne se trompe-t-elle pas de combat étant donné le niveau d'inflation en Europe actuellement ? 

On se trouve quand même plus proche d’une situation de stagnation des prix, sans aller jusqu’à parler de déflation, du fait d’une forte pression générale exercée à la baisse sur les prix (en provenance des émergents, mais également de l’évolution des modèles économiques). La déflation est par ailleurs un processus auto-entretenu encore plus préoccupant que l'inflation elle-même. 

Pour répondre par une boutade et comme le disait A. Delaigue sur twitter, l'euro est tellement fort que la monnaie unique a également préservé les économies américaine, anglaise et japonaise de l’inflation. Le ralentissement passé des prix n'est pas un phénomène propre à la zone euro. La monnaie unique a pu y contribuer mais d’autres facteurs généraux ont exercé une pression plus forte encore. 

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