Les défaillances touchent désormais les ETI et les grandes entreprises<!-- --> | Atlantico.fr
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Le secteur du BTP est particulièrement concerné par les défaillances d'entreprise, en 2023. Photo d'illustration AFP
Le secteur du BTP est particulièrement concerné par les défaillances d'entreprise, en 2023. Photo d'illustration AFP
©PASCAL PAVANI / AFP

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En 2023, la France a été particulièrement frappée par les défaillances de ses entreprises. Toutefois, le fait marquant de cette année ne s’observe pas sur le seul nombre de dépôts de bilan… Il faut aussi prendre en compte la taille des sociétés concernées et l’impact sur le tissu économique français.

Denis Ferrand

Denis Ferrand

Docteur en économie internationale de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, Denis FERRAND est Directeur Général de Rexecode où il est notamment en charge de l’analyse de la conjoncture de la France et des prévisions macroéconomiques globales. Il est également vice-Président de la Société d’Economie Politique. Il est membre du Conseil National de l’Industrie et du Conseil d’Orientation pour l’Emploi au titre de personnalité qualifiée. Chroniqueur pour Les Echos, il est chargé du cours d’analyse de la conjoncture à l’Institut Gestion de Patrimoine de l’Université Paris-Dauphine et pour le Master APE de l’université Paris-Panthéon Assas.

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Atlantico : A l’aube de l’année 2024, quel regard peut-on porter sur les défaillances d’entreprise, en France, au cours de l’année 2023 ? Ont-elles été plus nombreuses que les années précédentes ?

Denis Ferrand : C’est le cas, en effet. Ceci étant dit, il est nécessaire de rappeler que l’ampleur des défaillances dépend aussi des catégories d’entreprises dont il est question. En l’état, le nombre de défaillances de l’ensemble des entreprises (c’est-à-dire l’intégralité des sociétés qui sont amenées à déposer le bilan ou qui ne sont plus en capacité de faire face à leurs obligations financières) est revenu à un niveau comparable à celui de 2019. Toutefois, si l’on soustrait les micro-entreprises, dont la disparition a moins d’impact sur le tissu économique, ce nombre est bien plus élevé que la marque qui avait été atteinte avant le Covid : la population des seules PME, ETI et grandes entreprises en situation de défaillances est plus de 30 % plus nombreuse fin 2023 qu’elle ne l’était en 2019.

En pratique, on peut donc légitimement dire qu’il n’y a pas une évolution substantielle du nombre de défaillances d’entreprises en France, en 2023. En revanche, il apparaît clair que celles-ci concernent aussi des sociétés de taille importante, ce qui exerce un impact sur le tissu économique plus important que cela ne pouvait être le cas si, relativement à la situation de 2019, ces défaillances procédaient en premier lieu de disparitions de micro-entreprises. C’est là le trait caractéristique des défaillances observées cette année, il me semble.

Avant 2023, une partie des défaillances d’entreprise en France pouvait-elle être associée à un processus de normalisation de l’économie, du fait notamment des retombées de la crise sanitaire et de la politique mise en œuvre pour lutter contre le coronavirus ?

C’est justement l’une des questions que je posais dans mon thread à ce sujet : est-ce que les défaillances actuelles représentent une simple réponse mécanique à la période de congélation de l’économie observée pendant la crise sanitaire, un processus de rattrapage, une « normalisation » ? Force est de constater que la période des confinement a occasionné un effondrement du PIB mais qui n’a pas été accompagné par une hausse des défaillances. C’est même l’inverse qui s’est produit avec un nombre très bas de défaillances observé en 2020-21. Ce n’est pas le cours naturel des choses. La question est maintenant de savoir si nous sommes en train de passer au-delà d’un simple phénomène de rattrapage (des défaillances qui se serait spontanément produites en 2020-2021 et qui n’auraient été que retardées) ou si nous sommes en passe d’aller au-delà, ce qui révélerait une fragilité plus importante des entreprises que ce que nous connaissons.

C’est quelque chose qu’il n’est pas ardu de vérifier : il suffit d’un petit calcul tout simple. Supposons que de 2020 à 2023 nous ayons observé le même nombre de défaillances d’entreprises en cumulé que le nombre qui aurait été atteint si au cours de chacune de ces années, le nombre de défaillances avait été identique à son niveau annuel moyen relevée durant la décennie précédente. Celui-ci se situerait alors aux alentours de 10 000 sociétés défaillantes, réparties entre PME, ETI et grandes entreprises. C’est précisément à ce nombre que se situe désormais le cumul observé des défaillances depuis 2020. Puisque la période 2020-2021-2022 a donné lieu à un nombre de défaillances considérablement moins élevé, c’est bien un rattrapage qui s’est déroulé en 2023.Le problème est que fin 2023, le nombre de défaillances dépasse très largement le nombre annuel moyen du passé, ce qui suggère que si ce nombre ne baisse pas à partir de maintenant, c’est que nous sommes en passe de sortir de la phase de rattrapage, de compensation d’un niveau artificiellement bas de défaillances, pour aller vers une situation révélatrice d’une fragilité bien plus importante des entreprises. C’est là qu’il y a matière à s’inquiéter : le nombre de défaillances (hors micro-entreprises) va dorénavant au-delà du seul rattrapage. 

Peut-on encore faire la même lecture des défaillances aujourd’hui observées ? Ou s’agit-il, désormais, du signe de certaines fragilités de l’économie française ?

La défaillance d’entreprises est déjà, en soi, un signe clair de la fragilisation du tissu économique français. C’est un symptôme que l’on voit s’exprimer de différentes manières, notamment dans les statistiques de trésorerie des différentes sociétés du pays. Les trésoriers interrogés par la Banque de France ont une perception de la situation de leur entreprise plus dégradée que d’ordinaire. Le niveau des actifs financiers réels dont les entreprises disposent recule en France, comme dans l’ensemble de la zone euro d’ailleurs. Il ne s’agit donc pas d’une exception française.

Ce phénomène de fragilisation des actifs financiers réels des entreprises entraîne, évidemment, des tensions qui impactent le tissu économique. L’accroissement des délais de paiement en est un indicateur particulièrement parlant ; en témoigne la récente enquête réalisée en novembre 2023 par BPIFrance et Rexecode auprès de près de 1000 PME et TPE dans laquelle les dirigeants de ces entreprises relevaient un allongement marqué des délais de paiement de leurs clients. Cela résulte de plusieurs facteurs. D’abord par l’émergence d’un enjeu concernant la rémunération de la trésorerie : garder des liquidités devient plus rémunérateur que cela ne pouvait l’être auparavant quand les taux sur les dépôts étaient nuls et il peut s’avérer tentant de patienter avant de payer ses fournisseurs. Cette tension sur les délais de paiement est aussi probablement le fait d’entreprises confrontées à de réels problèmes de trésorerie, ce qui est plus inquiétant. Retarder les paiements aux fournisseurs devient une façon de sécuriser ses revenus financiers, en attendant d’être soi-même payé par des clients qui s’avèrent eux aussi en retard. C’est une mécanique dangereuse, qui pourrait déboucher sur une forme de grippage du fonctionnement économique.

Comment préserver davantage nos entreprises, en 2024 ?

Rappelons d’abord que la réalité de ces défaillances varie d’un secteur à l’autre. Certains sont plus concernés que d’autres. Ainsi, parmi les secteurs qui souffrent le plus, on retrouve ceux liés à la demande en provenance des ménages. C’est pourquoi le secteur du commerce ou celui de la construction sont concernés au premier chef.

Du reste, il est difficile de formuler une réponse satisfaisante à votre question. Protéger les entreprises des défaillances, c’est-à-dire les empêcher de disparaître, revient aussi à se priver de potentiels gisements de productivité et de gains d’efficacité qui peuvent être associées à l’émergence de nouvelles entreprises. Quand une entreprise disparaît, c’est qu’elle n’a pas su adapter son modèle économique ou se transformer pour faire face à la situation à laquelle elle a été confrontée. Ce qui est clé pour l’activité économique est que ces disparitions s’accompagnent dans le même temps du développement d’autres entreprises, de manière à donner lieu à un processus de réallocation de la main d'œuvre.

Le point clé, par conséquent, est d’accompagner les transitions de nos entreprises. Il faut s’assurer qu’il n’y ait pas de déqualification des personnes, pas de perte en capital ; particulièrement en matière de capital humain. Les défaillances, me semble-t-il, doivent être pensées en tant que phénomène de transition qui n’est pas à brider mais à accompagner. Elles constituent évidemment un problème, mais celui-ci est d’autant plus grave quand il est caractérisé par l’absence de nouvelles créations de sociétés.

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