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Les collectivités locales socialistes sont-elles le meilleur opposant au gouvernement... à moins que ce ne soit le pire ?
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Une et indivisible ?

Le journal Libération prétend que seuls 25 000 contrats d'avenir auraient été conclus sur les 100 000 prévus d'ici à fin 2013. Une inefficacité qui pourrait bien être la conséquence d'un manque de bonne volonté des collectivités locales.

Atlantico : Selon les informations du journal Libération, seuls 25 000 contrats d’avenir auraient été conclus par le gouvernement sur les 100 000 prévus pour la fin 2013. Les collectivités territoriales jouent-elles suffisamment le jeu ?

Eric Verhaeghe : Les collectivités territoriales sont soumises à une injonction paradoxale : d'un côté elles sont sommées de faire des économies, en révisant leurs techniques de gestion, leurs modalités d'intervention, afin de revenir à des pratiques plus vertueuses. Parallèlement, l'Etat ne cesse de baisser les dotations qu'il leur verse, ce qui les oblige à rationaliser leur activité. D'un autre côté, il leur est demandé de participer à une politique d'emploi favorable aux jeunes. Le problème est qu'on ne peut pas éternellement vivre dans le paradoxe : économiser et investir, rationaliser et développer.

En outre, les collectivités ont appris à se méfier de l'État, qui n'est pas un partenaire fiable. S'engager sur des emplois conventionnés avec l'État, c'est partager une charge avec un interlocuteur sur lequel on ne peut pas compter. Dans les moments difficiles, il n'est pas étonnant que les collectivités ne fassent guère d'effort d'imagination pour inventer des besoins qui servent à la cause du gouvernement.

Philippe Laurent : Les élus locaux jouent d'abord le "jeu" du sérieux dans leur gestion. Ils savent, pour en avoir eu l'expérience par le passé, que les emplois de ce type ont vocation, pour la plupart, à se pérenniser. En quelque sorte, ils créent un nouveau besoin. Or, en même temps que l'État leur demande de créer des "emplois d'avenir", de nombreuses instances - au premier rang desquels la Cour des Comptes - mettent l'accent sur la progression des effectifs publics locaux, pour la regretter, et y voir la preuve d'une légèreté de gestion. Cette forme de schizophrénie entraîne, on le comprend, une certaine retenue de la part des collectivités locales. Même si de nombreux élus peuvent estimer globalement intéressant l'initiative des emplois d'avenir, ils sont face à la réalité de ressources dont on sait qu'elles vont s'effondrer dans les toute prochaines années. Or, les élus sont bel et bien comptables de l'équilibre financier de leur collectivité. La prudence s'impose donc dans la création de nouvelles obligations.

Comment expliquez-vous cette lenteur qui touche également la réforme des rythmes scolaires ?  Les élus locaux sur le terrain sont-ils confrontés à des réalités ignorées par le gouvernement ?

Eric Verhaeghe : Les élus locaux sont au contact d'une réalité que le gouvernement ne peut pas connaître. Dans le cas des rythmes scolaires, il est évident que la politique nationale est menée sur des considérations idéologiques totalement déconnectées de la vie des parents d'élèves. Une fois de plus, ce sont les collectivités locales qui en font les frais. Car quand l'État réduit le temps d'enseignement des élèves, il demande aux collectivités de se substituer à lui. Aucun maire ne laissera les enfants livrés à eux-mêmes durant les heures libérées par l'État. Les maires doivent donc dépenser des heures d'animation, sur leur propre budget, avec des dotations de l'État en baisse. Dans le secteur privé, on appellerait cette politique de l'externalisation ou du transfert de charges. Il va de soi qu'aucun maire ne s'empresse de retourner devant ses électeurs pour expliquer que les idées stratosphériques de Vincent Peillon se traduisent concrètement par une augmentation des dépenses municipales, qui seront financées par des impôts nouveaux. 

Dans le cas des rythmes scolaires, le ministre n'a d'ailleurs mis en avant aucun objectif clair de réussite des élèves, ni de progrès personnel de ceux-ci. Ce silence ne peut évidemment satisfaire personne, car ce que les parents veulent, c'est une école qui fait réussir leurs enfants, pas une école qui applique des théories psychologiques obscures.

Philippe Laurent :  La même réalité d'une prudence face à de nouvelles dépenses s'impose, là encore. S'y ajoutent plusieurs facteurs. D'abord, une attitude décevante du ministère, qui refuse d'admettre que la réforme en question génère des coûts à la hauteur estimée par les associations d'élus, soit 100 à 150 euros par élève et par an. Ensuite, les réelles difficultés de mise en œuvre, qui génèrent d'ailleurs des demandes importantes de dérogation, elles-mêmes source de conflits juridiques comme on le voit à Paris par exemple. Ces difficultés concernent notamment l'avenir, menacé, des établissements d'enseignement artistiques, des associations d'éducation populaire, des clubs sportifs, dont une bonne partie de l'activité se déroule le mercredi matin. Enfin, de nombreux élus s'interrogent sur les choix effectués par le ministère. N'aurait-il pas fallu commencer par réformer les programmes, puis la formation des maîtres, puis le calendrier annuel, et enfin les rythmes de la semaine et de la journée ? On y aurait gagné en cohérence et en lisibilité sur la réforme globale de l'école primaire, dont de très nombreux élus partagent l'idée qu'elle est nécessaire.

Les responsables des exécutifs locaux, majoritairement de gauche, prennent-ils délibérément leurs distances avec le gouvernement à la veille des élections municipales ? Bien qu'ayant la même couleur politique, sont-ils devenus les meilleurs opposants au pouvoir socialiste ?

Eric Verhaeghe : Il me semble que ce qui se joue ne tient pas à des clivages partisans, mais à des clivages géographiques. Il suffit de passer du temps sur le terrain pour comprendre que les régions acceptent de moins en moins les décisions parisiennes unilatérales. Lorsque la gauche, dans les années 1980, a lancé la grande vague de décentralisation, elle a d'ailleurs donné aux élus locaux la faculté de s'émanciper des décisions de la capitale. Dès lors que l'État réduit ses financements, cette tendance centrifuge propre aux collectivités locales ne peut que s'accroître. L'Etat n'a plus les moyens d'imposer ses politiques depuis les cabinets ministériels parisiens. A de nombreux égards d'ailleurs, un président de région, ou un président de métropole, a beaucoup plus de pouvoir qu'un ministre. Rien d'étonnant à ce qu'il en fasse l'usage nécessaire à sa réélection.

Philippe Laurent : Je ne pense pas qu'il faille voir les choses en termes partisans. Les élus locaux sont d'ailleurs souvent rétifs aux interprétations politiciennes de leurs décisions, qu'ils prennent en fonction de ce qui leur apparaît être à la fois l'intérêt de leur collectivité et de ses habitants d'une part, et la réalité de la capacité budgétaire qu'ils ont à leur disposition d'autre part. Ils font des choix en fonction de cette double approche, quelle que soit leur "couleur" politique. S'y ajoute un problème de fond, que je qualifierai de "culturel" dans notre pays, tant il imprègne l'appareil d'État. Alors que la plupart des politiques publiques sont désormais co-produites de fait par l'État et les collectivités locales, l'État (gouvernement et haute administration) continue à ne pas associer en amont les élus locaux aux choix essentiels. Les collectivités locales sont de fait considérées comme de simples exécutants. Cela ne fonctionne plus, on le voit. Nous avions pu penser que le projet de Haut conseil des territoires, inscrit dans la première mouture du projet de loi de modernisation de l'action publique, permettrait cette association étroite des élus locaux à la définition des politiques publiques qu'ils sont amenés ensuite, et ceci dans pratiquement tous les domaines, à mettre en œuvre. Malheureusement, la création de ce Haut conseil a été renvoyé au troisième projet de loi, autant dire aux calendes ... Tant que l'État - et notamment sa haute administration - n'aura pas accepté le principe de co-construction des politiques publiques avec les collectivités locales, l'ambiguïté actuelle perdurera et l'action publique perdra de sa force, de sa pertinence, et de sa légitimité.

Le mille-feuilles administratif explique-t-il également en partie ces blocages ? Comment les dépasser ? Faut-il plus ou moins de décentralisation ?  

Eric Verhaeghe : Voici une question compliquée. Je ne suis pas sûr qu'il faille plus de décentralisation, en revanche, il faut sans doute une autre décentralisation. Trop de missions, avant même d'être émiettées entre collectivités, sont émiettées entre l'État et les collectivités. L'État a consenti à une décentralisation, mais il a beaucoup traîné les pieds pour rendre cette décentralisation effective. Le cas de l'Éducation nationale est exemplaire : dans les établissements scolaires, les collectivités sont compétentes pour la construction des bâtiments, la cantine scolaire, les transports, l'offre de formation, mais l'État est resté opérateur de formation: il recrute les enseignants, les paie et les encadre. Cette imbrication n'a pas de sens, et contribue à stériliser le système.

De ce point de vue, la décentralisation devrait être actée. Concernant l'Éducation nationale, le moment vient de confier aux régions la gestion du corps enseignant, recrutement compris. Une décentralisation enseignante améliorerait grandement les performances du système et casserait enfin cette insupportable co-gestion nationale où plus personne ne décide de rien, où les orientations sont prises à partir d'une sorte de consensus syndical mou que personne ne maîtrise. Nous ne pouvons plus nous offrir ce luxe de sacrifier l'intérêt des citoyens au confort des agents de l'État.

Philippe Laurent : Non, je ne pense pas que ce soit l'organisation territoriale à proprement parler qui soit en cause. Il s'agit plutôt de rechercher une nouvelle forme d'équilibre et de relations permanentes entre les acteurs publics de notre pays, de renouer avec la confiance mutuelle et un minimum de consensus sur un projet partagé de société. Les élus locaux sont au fait de la réalité quotidienne de notre pays et de ses habitants. Ils sont, plus que tous autres, parfaitement conscients des difficultés et des enjeux, des contraintes et des atouts aussi dont nous disposons. Ils ne réclament pas plus de pouvoirs ou plus de domaines d'action. Ils croient utile et nécessaire pour tous que l'appareil d'État leur fasse confiance et les considère comme de véritables partenaires, en leur laissant plus d'autonomie pour régler les problèmes concrets des territoires et de leurs habitants. Pour l'État, qui reste très centralisé dans sa propre culture, c'est une révolution à accomplir. Pour nos concitoyens, c'est aussi une autre façon de considérer l'action publique et l'organisation des acteurs : à cet égard, l'échec de la consultation alsacienne, qui partait d'une initiative locale - et qu'on n'a pas assez analysée -, démontre combien notre pays peut être conservateur et inquiet devant la nouveauté. Sa remise en mouvement est urgente. Sans aucun doute, elle passera bien davantage par les territoires que par le "sommet". 

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