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Les Chinois veulent aussi leur canal de Panama… mais au Nicaragua
©Reuters

Déplacer les montagnes

Une entreprise hongkongaise investit actuellement dans un nouveau canal maritime reliant d'ouest en est l'océan Pacifique à l'océan Atlantique, en traversant le Nicaragua. Avec ce projet, la compagnie espère s'accaparer 5% du commerce mondial. Pour se faire cependant, de nombreux avantages ont dus être concédés, comme la promesse d'embauches de locaux, et le respect de règles strictes pour protéger l'environnement. Un investissement qui permettra à la Chine de passer outre les infrastructures américaines, et d'assurer son autonomie dans les échanges maritimes internationaux.

Mary-Françoise Renard

Mary-Françoise Renard

Mary-Françoise Renard est professeur d'économie à l'Université Clermont Auvergne. Elle est l'auteure de "La Chine dans l'économie mondiale" aux presses universitaires Blaise Pascal. 

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Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio est président de l'institut de recherche Asia Centre.

Ancien élève de l'École normale supérieure et de l'Université de Pékin, il enseigne par ailleurs à l'IEP Lyon, à l'Ecole Centrale Paris, à HEC ParisTech, à l'École des Mines Paris Tech et à Lille I.

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Atlantico : La construction de ce "canal de Panama Bis" représente-t-il une réelle source de richesse pour les chinois ?

Mary-Françoise Renard : Il s’agit de la société HKND (Hong Kong Nicaragua Canal Development) basée  à Hong Kong. Un tel projet doit permettre à la Chine de diversifier ses investissements et de bénéficier d’importantes retombées.

Il y d’abord des effets directs puisque le président Ortega a accepté d’accorder à cette compagnie une concession de 50 ans, renouvelable une fois. Ceci lui garantit de bénéficier de l’essentiel des revenus de ce projet, potentiellement pendant 100 ans.

Il y ensuite des effets indirects, la construction du barrage va probablement s’accompagner de la construction d’autres infrastructures : ports, voies de chemins de fer…Elle doit permettre aussi à des entreprises chinoises d’investir dans des activités annexes : hôtelières, touristiques…

L’importance de ce projet et des infrastructures qui vont en résulter, doit permettre un fort accroissement du trafic et favoriser ainsi un commerce sur lequel la Chine pourra avoir un fort contrôle, l’évolution du commerce mondial étant bien sûr liée à la qualité et à la disponibilité des infrastructures.

Toutefois, l’aspect strictement commercial des retombées de ce projet n’est qu’une partie des résultats attendus par la Chine.

Jean-François Di Meglio : Il est probable que le trafic visé entrera en concurrence avec celui qui transite déjà par le canal. Il y a peu de trafic additionnel à attendre, parce que la route continentale à travers les Etats-Unis a récupéré de plus en plus de fret pendant les dernières années. Effectivement, selon la rentabilité du projet et le coût final, ceci peut être une source de richesse.

A travers la construction de ce canal, que doit-on comprendre des intérêts géostratégiques de la Chine en Amérique Latine, plus particulièrement de Hong Kong au Nicaragua ? Est-ce une manière pour la chine de contourner l'influence encore importante des Etats-Unis sur le continent, notamment au Panama ? 

Mary-Françoise Renard : Rappelons que l’idée de ce canal n’est pas nouvelle, elle a été évoquée au 19ème siècle ainsi qu’au début du 20ème lorsqu’a été ouvert le canal de Panama.

L’objectif de la Chine est d’être présente partout dans le monde, pour étendre ses marchés et bénéficier des atouts de chaque pays.

L’un des motifs de l’investissement chinois à l’étranger est la recherche de ressources naturelles dont son économie est dépendante. Il est essentiel pour la Chine d’avoir accès au pétrole, au bois, aux ressources minières… Elle a ainsi depuis quelques années une stratégie d’investissement dans les pays riches en ressources naturelles : Australie, Afrique, Amérique latine.

Une forte présence au Nicaragua ne pourra qu’être un atout pour ses relations avec le Brésil ou le Vénézela par exemple.

De plus, la proximité géographique des Etats-Unis peut favoriser un accroissement des échanges, compte tenu des liens étroits qui existent déjà entre ce pays et ceux d’Amérique latine.

Jean-François Di Meglio : Hong Kong n’a rien à voir là-dedans sinon qu’effectivement c’est un port important dans le commerce mondial des containers, et que l’entrepreneur Li Ka-Hsing (groupe Hutchison Whampoa, entre autres) y possède le plus grand nombre de terminaux. Hong Kong est un port libre et n’a pas d’intérêts géostratégiques. Au plus peut-on voir là la continuité d’une stratégie de groupes chinois désireux de s’intéresser (comme en Grèce et même peut-être en France, à travers les plate-formes aéroportuaires) à tout ce qui touche au transport, et plus particulièrement au transport maritime, essentiel pour le commerce, et dans le long terme aussi naturellement.

Concernant les intérêts économiques de la Chine dans la région, alors que les échanges commerciaux se font de plus en plus par voie terrestre, pour quelles raisons la Chine décide-t-elle d'investir dans une voie maritime ? 

Mary-Françoise Renard : Après avoir valorisé son avantage comparatif par des exportations de produits à fort contenu de main d’œuvre, la Chine doit maintenant faire face à une perte de compétitivité en termes de coût du travail. Elle est donc incitée à développer ses investissements à l’étranger.

La Chine mise sur un fort développement du commerce maritime et ce canal permettra le passage de cargos de très grande taille, ce qui n’est pas le cas du canal de Panama, malgré un élargissement en cours. De plus, comme on l’a vu, les intérêts économiques prennent différentes formes.

En investissant dans l'un des pays les plus pauvres du continent d'Amérique Latine, doit-on comprendre que la stratégie de la Chine est d'investir dans les pays les plus pauvres ou en voie de développement, en misant sur l'avenir ?

Mary-Françoise Renard : La stratégie de la Chine est d’investir partout où cela représente pour elle un intérêt économique ou politique et de n’écarter aucun pays. Le gouvernement insiste beaucoup depuis quelques années sur le fait que la Chine est un pays en développement et qu’elle participe donc aux relations sud-sud. Elle se différencie en cela des grandes puissances, souvent colonisatrices dans le passé.

L’avantage ici tient au fait que la main d’œuvre est encore bon marché au Nicaragua et que cet investissement devrait favoriser le commerce dans un contexte où les exportations de la Chine ont été très pénalisées par le ralentissement de la demande mondiale.

Jean-François Di Meglio : On peut le voir de cette façon effectivement, ce qui serait une bonne façon de contrebalancer l’image que la Chine a souvent donnée (en particulier en Afrique) de n’être intéressée que par les pures matières premières, et donc les pays en voie de développement dotés d’une certaine richesse de ce côté-là.

Ce projet de canal a pour objectif, selon l'Etat du Nicaragua, de réveiller l'économie du pays, l'un des plus pauvres du continent. Pour répondre aux critiques des populations locales face aux risques écologiques et sociétales, la compagnie chinoise s'est même engagée à embaucher des nicaraguayens sur les travaux du canal ainsi qu'à construire des infrastructures supplémentaires (ports, aéroports, complexes touristiques) permettant de faire fructifier l'économie locale. Ce projet, durant sa construction et une fois réalisé, peut-il engendrer de réelles retombées économiques pour le Nicaragua et sa population ?

Mary-Françoise Renard : Il n’est pas sûr, pour le Nicaragua, que les effets positifs l’emportent sur les effets négatifs.

En effet, comme on l’a vu, la concession acceptée en 2013 ne lui laisse qu’une faible part des revenus, alors que c’est un pays pauvre, au 132ème rang mondial en termes d’indice de développement humain des Nations-Unies. 

L’une des retombées les plus attendues des investissements étrangers concerne bien sûr l’emploi. Sur ce point la Chine a été très critiquée, dans plusieurs pays d’Afrique notamment, car c’est de la main d’œuvre chinoise qui est déplacée pour travailler sur les chantiers et les créations d’emplois pour les locaux sont très faibles.

Cette fois-ci la Chine s’est engagée à employer de la main d’œuvre locale. Cela peut représenter un gain pour la population si les conditions de travail sont clairement définies et acceptées de part et d’autre. Il y a néanmoins des risques de tensions sociales aggravés par les déplacements de population que nécessite cette construction. Plusieurs dizaines de milliers de paysans, dont de nombreux indiens, ont été expropriés et le drame humain que cela représente a entraîné de nombreuses manifestations qui vont probablement perdurer.

Enfin, les effets sur l’environnement devraient être très graves. Le canal doit traverser la plus grande réserve d’eau douce du pays, le lac Cocibolca. Sur celui-ci doivent être entrepris des travaux qui entraineront un mélange de boues à l’eau et une probable salinisation de celle-ci. De nombreuses espèces animales seront aussi mises en danger. C’est tout un écosystème qui risque d’être détruit.

Jean-François Di Meglio : Certainement. Il reste à voir la faisabilité du projet lui-même, qui n’est ni le premier de son genre, dont il a été fait mention déjà depuis de nombreuses années. Par ailleurs, le statut du canal, s’il est terminé, reste à préciser, concernant les droits payés au pays-hôte.

De façon générale, il est probable que l’un des intérêts chinois est de rééquilibrer avant tout, y compris dans la perspective non pas géostratégique, mais purement commerciale qui est celle du groupe de Li Ka-Hsing aussi proche qu’il puisse être du pouvoir chinois central, une trop forte dépendance, soit au transport terrestre américain soit à un canal, qui, pour toutes sortes de raisons, y compris internes à Panama, pourrait du jour au lendemain être menacé, alors qu’il est probable que, dans la mesure encore une fois où le projet serait mené à bien (le canal de Ferdinand de Lesseps a connu de nombreux déboires avant d’être réalisé des dizaines d’années après le lancement du projet, comme bien on le sait en France) la sécurité du canal serait assurée par ses nouveaux exploitants (non américains).

Propos reccueillis par Sarah Pinard

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