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Les APL ou la preuve que la France ne peut pas être réformée (et qu'Emmanuel Macron gâche son capital politique à vitesse grand V en manquant d'ambition)
©ALAIN JOCARD / AFP

Manque d'ambition

Le gouvernement En Marche ne semble pas être en mesure de réussir à construire un consensus autour de la réforme des APL. Serait-il finalement impossible de réformer la France ?

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Est-ce que l'épisode des APL n'est pas la énième preuve qu'il est quasi impossible de réformer la France ?

Éric Verhaeghe : Il est toujours difficile de baisser des prestations, surtout celles qui sont accordées de façon généreuse. Sur le fond, on peut quand même considérer que le gouvernement n'a pas mis toutes les chances de son côté dans ce dossier. L'information sur la baisse des allocations a transpercé sous forme de "fuite". Elle a ensuite été confirmée par le gouvernement sans la moindre explication. Le procédé est curieux. L'équipe au pouvoir ne peut pas ignorer le coût politique marginal d'une baisse de ce genre, sauf à ne rien comprendre à l'état d'esprit du pays (ce qui est au demeurant possible). Autrement dit, que vous baissiez les cotisations de cinq euros ou de cinquante euros, vous payez de toute façon le prix de l'impopularité. Quand on songe que la mesure en question rapportera à peine 400 millions en année pleine sur une dépense de 20 milliards, on peut se demander quel est le bon sens politique de la mesure: petites économies, défaut total d'explication, impopularité maximale! tout cela est absurde. Il me semble que bien expliquée, la mesure serait passée plus facilement. 

Erwan Le Noan : Je ne crois pas que la France soit plus rétive au changement que les autres pays. Son problème est que la puissance publique a multiplié les rentes de toutes sortes (statuts des fonctionnaires, distribution de subventions, etc.) : à force de tout figer, plus personne n’a intérêt à faire bouger les choses.

C’est dans ce contexte rigide qu’il faut analyser les débuts d’Emmanuel Macron. Pour réformer efficacement, il faut probablement avoir clairement expliqué avant son élection deux points : (1) quel constat on fait et (2) quelles réformes on veut mettre en œuvre. Or, Emmanuel Macron n’a jamais ni l’un ni l’autre. Il n’a d’abord jamais fait le constat clair qu’il y avait un problème avec la dépense publique (au contraire, il s’est inscrit en opposant à François Fillon qu’on accusait de vouloir faire des « purges »). Il n’a ensuite jamais expliqué clairement comment il voulait baisser la dépense publique. Les électeurs ont voté pour lui en partie parce qu’il semblait promettre la réforme sans douleur. Mais cela n’existe pas ; et on s’en aperçoit aujourd’hui.

À force de "petites mesures", Emmanuel Macron n'est-il pas en train de gâcher son capital politique pourtant considérable ?

Erwan Le Noan :Emmanuel Macron a bénéficié depuis son élection d’un crédit politique énorme. Il me semble prématuré de dire qu’il l’aurait gâché ou épuisé. Mais il est certain qu’on pouvait s’attendre à ce qu’il fasse de plus grandes réformes dans les premiers temps de son mandat. Plus de 70 jours  sont passés depuis sa prise de fonction et pourtant, on ne voit toujours pas poindre la moindre réforme structurelle. Le plus révélateur, c’est la dépense publique : rien n’est annoncé de vraiment sérieux et on en vient à se battre pour 5 euros d’APL (aucune vision de l’Etat ne semblant sous-tendre cette logique de rabot). Mais c’est vrai aussi de l’éducation : l’interview récente de Jean-Michel Blanquer, qui est pourtant brillant et excellent connaisseur du sujet, était particulièrement décevante et ne comportait pas le moindre début de réforme structurelle.

Éric Verhaeghe : Sa perte de popularité était prévisible, puisqu'il a été élu en maintenant l'ambiguïté sur son programme et que, comme vous le savez, on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment. Ce qui est curieux, c'est que cette impopularité semble le chagriner. Il semble déjà prisonnier des arbitrages à la petite semaine habituels sous Hollande, qui consistaient à rétropédaler chaque fois qu'on entendait des murmures dans les rangs. C'est absurde, puisque, ce faisant, il cède à l'indécision ou donne le sentiment de ne pas savoir où il va, comme Hollande. L'effet risque d'être désastreux pour lui pour des raisons circonstancielles. En effet, les Français détestaient déjà ce côté velléitaire chez Hollande, mais ils pouvaient l'endosser parce qu'ils étaient sortis épuisés de l'épisode hyper-actif de Sarkozy. Sortant de Hollande, les Français ont besoin d'un cap. Ils n'en peuvent plus du gloubi-boulga politique. Or, Macron, en ressombrant dans la mesurette, s'expose au risque d'agacer encore plus que son prédécesseur, ce qui ne sera pas rien. 

Vu qu'il semble très difficile de réformer la France, ne faudrait-il pas plutôt penser à une refondation totale sur divers sujets (système fiscale, état de providence éducation...) tout en essayant de convaincre les français du bien-fondé de la démarche ? 

Éric Verhaeghe : Il me semble qu'il faut être naïf pour croire que la France pourra se relever par des réformes, alors qu'une sorte de tradition française appelle plus la révolution que les réformes. Le mode normal de transformation du pays repose sur des ruptures brutales beaucoup plus que sur des évolutions progressives. C'est la différence culturelle majeure entre la France et l'Allemagne. L'Allemagne se réforme. La France fait des révolutions. Je partage donc votre diagnostic sur le besoin d'une refondation totale. Je ne suis pas sûr qu'elle soit organisable de l'extérieur, rationalisable comme vous le suggérez. Mon sentiment est que l'histoire l'imposera et que le jeu des antagonismes suffira à modifier les états de fait qui ne sont plus soutenables. D'une certaine façon, il suffit de défendre sa vision et de laisser faire l'histoire. Elle imposera ses arbitrages. En revanche, cette technique de modernisation du pays induit une dose de désordre à laquelle il faut se préparer. 

Erwan Le Noan :Emmanuel Macron a été élu avec un discours qui est fondamentalement social-démocrate : il n’a jamais fait le constat de l’échec de l’Etat-Providence, pour la bonne raison qu’il pense probablement que ce régime est – ou peut-être – efficace, dans la droite ligne de la pensée de la « seconde gauche ». De ce discours ne peut naître aucune rupture.

Mais le succès d’Emmanuel Macron a aussi été permis par l’incapacité de la droite à construire un discours de rupture attrayant, pédagogique et stimulant… La droite n’a pas été capable de définir une vision alternative. C’est pourtant effectivement une voie à creuser.

En continuant sur cette voie, n'y a-t-il pas un risque que le Macronisme ne soit finalement plus une redite du Hollandisme que la révolution qu'il promettait d'être ? 

Erwan Le Noan : Emmanuel Macron n’a pas fait le constat de l’échec de l’Etat Providence. Il s’interdit donc de le révolutionner et se contente d’ordonner des coups de rabots, issus d’arbitrages budgétaires purement "Bercy". Ce faisant, effectivement, il a des points de ressemblance (en dépit de leurs différences) avec François Hollande, comme je l’avais écrit dans vos lignes en 2012 !

Éric Verhaeghe : D'ici quelques semaines, à force de changer de direction chaque fois qu'un grognement est poussé dans le pays, Emmanuel Macron sera en effet complètement hollandisé. Ce phénomène, il le doit aux calculs politiciens qu'il a faits, dignes du Parti Socialiste, pour gagner le pouvoir. Il a par exemple jugé astucieux de "débaucher" des gens de droite. Il se trouve aujourd'hui avec un attelage mal ajusté, comportant Bruno Le Maire l'ambitieux à Bercy, et le discret Édouard Philippe à Matignon, qui ne brille pas par un sens affûté des anticipations politiques. Macron a voulu s'entourer de gens peu contrariants, sans grande capacité à l'affronter. Il risque d'en payer le prix fort dans les semaines à venir. Cela n'a pas été faute de prévenir. 

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