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Une boîte d'antidépresseurs (Prozac).
Une boîte d'antidépresseurs (Prozac).
©JACK GUEZ / AFP

Bonnes feuilles

Ariane Denoyel publie « Génération zombie: Enquête sur le scandale des antidépresseurs » aux éditions Fayard. Plus d’un Français sur dix est sous antidépresseurs. La plupart du temps, ce sont des « ISRS », de la famille du Prozac, du Deroxat, du Zoloft... Des médicaments souvent peu efficaces, et surtout qui peuvent être très dangereux. Extrait 1/2.

Ariane Denoyel

Ariane Denoyel

Ariane Denoyel est journaliste indépendante. Elle a publié "Génération zombie: Enquête sur le scandale des antidépresseurs" aux éditions Fayard en avril 2021.  

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Faites le test : demandez autour de vous, à vos amis, collègues et à votre famille, s’ils savent d’où vient la dépression. La majorité d’entre eux vous répondront probablement qu’elle est la conséquence d’un problème dans le cerveau. ­Peut-être même iront-ils jusqu’à parler d’un déséquilibre chimique, voire d’un neurotransmetteur en particulier: la sérotonine, et ils développeront peut-être l’analogie avec le diabète et le manque d’insuline, qui a été beaucoup utilisée par l’industrie et certains médecins. Nous verrons que cette pseudo-explication, désormais répandue grâce à une des plus belles opérations de marketing du siècle, ne repose sur aucun fondement scientifique.

Alors, qu’est-ce que la dépression? Personne ne peut vraiment répondre à cette question.

Ce qui ne signifie pas que cette maladie n’existe pas; les personnes atteintes se trouvent dans une réelle souffrance dont elles se demandent si elle prendra un jour fin. Simplement, les mécanismes de la dépression sont encore mal connus. On ne sait pas vraiment pourquoi, à certains moments de leur vie – ou parfois de façon chronique – certaines personnes ressentent une profonde tristesse, une démotivation complète, l’impression d’une perte de sens diffuse et généralisée. Le tout souvent accompagné de symptômes physiques invalidants: troubles du sommeil, de l’appétit, crises de larmes, etc.

Le terme «dépression » était quasiment inusité voici un siècle. Le fait de définir la dépression comme une maladie a entraîné une cascade de conséquences pour les personnes concernées et pour la santé publique.

Aujourd’hui, vous êtes déprimé si vous cochez un certain nombre de cases sur des échelles, dont la plus utilisée est celle de Hamilton sur laquelle reposent la plupart des essais cliniques d’antidépresseurs.

Problème : ces symptômes, vous pouvez aussi les ressentir parce que vous venez de perdre un être cher, parce que vous avez été licencié, parce que vous êtes une femme enceinte…

Ces échelles ont été fixées par simple consensus, non sur des critères objectifs; les membres des commissions d’élaboration du DSM auraient pu décider que vous deviez présenter six symptômes parmi neuf pendant quatre semaines pour être étiqueté « en dépression » ; cela a été cinq pendant deux semaines. Et cette décision arbitraire trace ainsi une ligne entre normalité et maladie pour des millions de personnes.

La généralisation des questionnaires et critères permet un tour de passe-passe médico-marketing : ils mettent au jour des troubles dont le médicament est la solution.

Les antidépresseurs, inventeurs de la dépression

La dépression? «La plus soudaine des pandémies jamais observées, écrit le Pr Even. […] L’un des plus formidables booms thérapeutiques observés, médicalement l’un des moins justifiés. Dépression et antidépresseurs explosent ensemble, l’un causant l’autre. Mais lequel ? »

Il poursuit en rappelant qu’en 1955, il n’existait pas de dépression ni d’antidépresseurs: «Le mot lui-même n’existait pas. » Puis entre 1960 et 1990, neuf antidépresseurs dits « tricycliques », à cause de la forme à trois anneaux de leur molécule, sont lancés sur le marché. L’Anafranil, le Laroxyl et le Quitaxon, pour citer les plus célèbres, sont alors utilisés plus communément à l’hôpital qu’en ville, souvent en injection, dans les dépressions aiguës ou les psychoses chroniques majeures.

En 1986 est arrivé le Prozac et avec lui l’argumentaire de la dépression terriblement sous-diagnostiquée et sous-traitée. Cela a formé le point de départ du tsunami de dépression qui dure jusqu’à nos jours.

De tous les domaines de la médecine, celui de la psychiatrie a été l’un des plus influencés par la révolution pharmacologique débutée dans les années 1950. « Auparavant, rappelle le professeur de psychiatrie Barry Blackwell, la psychanalyse et le DSM-I puis le DSM-II régnaient sur l’Amérique, tandis que la Grande-Bretagne et l’Europe se distinguaient par une forme sceptique d’empirisme et une psychiatrie descriptive rigoureuse centrée sur l’étiologie [étude des causes des maladies], la nosologie [étude et classement des maladies d’après leurs caractères distinctifs] et l’histoire naturelle des troubles mentaux.»

La maladie mentale, une maladie du cerveau?

Les découvertes de ces décennies ont consacré l’avènement d’une psychiatrie biologique, sous-tendue par l’idée que tout désordre mental provenait d’une cause physiologique identifiable, une maladie comme le rhume ou le cancer du poumon. Or encore aujourd’hui, il s’agit d’une hypothèse non vérifiée. En revêtant sa blouse blanche, selon l’expression du journaliste et essayiste Robert Whitaker, la psychiatrie a éclipsé les courants freudiens et de « psychiatrie sociale ». Elle a aussi négligé toutes les études montrant une supériorité des traitements sociaux sur la médication pour plusieurs types de troubles psychotiques. En termes un peu imagés, on peut dire que le « psycho-charabia » a été éclipsé par le « bio-charabia ». Mais par ce mouvement, la psychiatrie se trouvait légitimée comme une « vraie » discipline médicale et c’était, aux yeux de certains, l’essentiel.

Depuis les années 1960, l’évolution de la notion même de dépression – sa définition, la perception que nous en avons, son incidence dans la population – est intrinsèquement liée à la politique marketing de l’industrie et au développement de médicaments dits «antidépresseurs».

Avant les années 1970-1980, le terme était réservé à la dépression dite « endogène », qu’on désignait aussi par le nom de «mélancolie ». Les personnes atteintes étaient souvent hospitalisées et on ne disposait pas de nombreux moyens de les traiter – on avait remarqué qu’elles ne répondaient pas vraiment aux amphétamines (des stimulants) mais on constatait que beaucoup de patients guérissaient spontanément après quelques semaines ou mois (en moyenne douze à seize semaines). On désignait par des formules comme «problèmes de nerfs » puis plus tard les «moments de blues» les périodes transitoires de mal-être ou de «démotivation».

Mais quand, à la fin des années 1950, des chimistes travaillant sur des anti-allergiques et des anti-tuberculeux comme l’isoniazide sont tombés par hasard sur des molécules légèrement euphorisantes, l’industrie a cherché quelles utilisations elle pouvait en faire.

Français et psychotropes : de plus en plus «soignés», de plus en plus malades

En moyenne, une personne âgée de plus de quarante-cinq ans absorbe trois à cinq médicaments par jour, les plus de soixante-cinq ans en prennent entre sept et dix et dans les EHPAD, on est fréquemment au-delà de douze. Chaque nouveau médicament ajouté à ce cocktail augmente le risque d’hospitalisation et de décès. Le Pr Peter Gøtzsche estime que les médicaments psychiatriques tuent chaque année environ 500 000 personnes de plus de soixante-cinq ans en Europe et aux États-Unis.

« Quand un nouveau patient arrive, relate une pharmacienne exerçant en EHPAD qui souhaite rester anonyme, je commence par passer au crible ses traitements. Presque immanquablement, je repère “du lourd”, notamment en matière de psychotropes – antidépresseurs, antipsychotiques, benzodiazépines, somnifères… Des médicaments dangereux, inutiles pour le patient en question – ou les deux ! – des combinaisons de remèdes incompatibles, des substances prescrites des années, voire des décennies auparavant, que personne n’a songé à arrêter depuis. En tout, sept, dix, douze médicaments. Comme un jardinier, je procède à une taille sévère. Et les patients vont immédiatement mieux, ils ne sont plus assommés, drogués: ils revivent. »

Extrait du livre d’Ariane Denoyel, « Génération zombie : Enquête sur le scandale des antidépresseurs », publié aux éditions Fayard.

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