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Les années 2010 ou la vérification des théories d’Albert Einstein
©ACME / AFP

Les bonnes ondes de Monsieur Einstein

A l'occasion de la fin de l'année 2019, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de dresser un bilan de la décennie, des années 2010. Etienne Klein revient sur les vérifications des théories d'Albert Einstein.

Etienne Klein

Etienne Klein

Etienne Klein est un physicien français, directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Il a enseigné pendant plusieurs années la physique quantique et la physique des particules à l’École centrale Paris, et est actuellement professeur de philosophie des sciences. Ila publié de nombreux ouvrages et essais dont, en février 2017, Matière à contredire (Editions de l'Observatoire). Il est l'auteur de En cherchant Majorana, le physicien absolu, élu meilleur livre 2013 dans la catégorie Sciences par le magazine Lire.

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Berlin, 1915 : Einstein travaille intensément au problème de la gravitation. Durant plusieurs mois, il ne s’accorde aucun répit avant d’avoir trouvé les équations justes, celles qui permettent de décrire cette interaction dans un cadre relativiste. Le 25 novembre, il est en mesure de les expliquer aux membres de l’Académie. Pour appréhender ce que suggère cette « théorie de la relativité générale », imaginons un drap tendu au centre duquel on place une boule de pétanque. Si on secoue doucement ce drap, des creux et des bosses apparaissent à sa surface et se déplacent en faisant des vagues, et ces déformations obligent la boule à se déplacer. C’est en somme la forme que prend la surface du drap qui dicte à la boule son parcours. Mais la boule n’est pas un objet passif puisque sa masse et son mouvement modifient eux aussi la forme du drap. Par sa seule présence, elle perturberait par exemple la trajectoire d’une balle de ping-pong lancée en ligne droite sur le drap, au même titre que si quelqu’un le secouait. Qu’adviendrait-il si le drap était invisible et immobile ? On pourrait alors imaginer, comme le fit Newton, qu’une force mystérieuse s’exerce instantanément, qui attire à distance la balle de ping-pong vers la boule de pétanque. Einstein, lui, renverse radicalement le point de vue : il attribue la courbe décrite par la balle de ping-pong à la seule déformation du drap invisible, dont tout changement de géométrie, induit par la présence d’un autre corps sur le drap, se manifesterait avec un certain retard. 

En résumé, la gravitation agissant sur un corps n’est qu’un effet de la déformation de la géométrie de l’espace-temps à l’endroit où se trouve ce corps : la courbure de l’espace-temps met en mouvement ce corps, qui, lui, en retour, déforme la géométrie de l’espace-temps. Ainsi donc, si je fais tomber une pierre à mes pieds, au lieu de répéter que c’est la Terre qui l’attire vers le sol comme je l’ai appris à l’école, je dois plutôt considérer que la Terre tord l’espace en son voisinage et fait glisser cette pierre le long d’une sorte de toboggan de l’espace-temps… 

L’année suivante, en 1916, Einstein tombe malade. Épuisé par des années de travail intense et des douleurs à l’estomac, il commence à se demander si une masse en mouvement, qu’on accélère, pourrait rayonner des “ondes gravitationnelles”, de la même façon qu’une charge électrique qu’on accélère rayonne des ondes électromagnétiques. Il découvre des solutions de ses équations correspondant à des ondulations de l’espace-temps se propageant à la vitesse de la lumière. Au cours de leur voyage, elles devraient secouer l’espace-temps, et modifier ainsi, brièvement, la distance séparant deux points dans l’espace. Mais de telles ondes existent-elles vraiment ?

Il faudra attendre la fin du carnage mondial pour qu’une première prédiction de la théorie de la relativité générale portant sur la déviation de la lumière au voisinage du Soleil puisse être vérifiée grâce à une éclipse totale du Soleil. Passionné par les travaux d’Einstein, le directeur de l’observatoire de Cambridge, Arthur Eddington, organisa deux expéditions en vue d’observer l’éclipse prévue pour le 29 mai 1919. Eddington partit avec une première équipe pour Sao Tomé-et-Principe, une petite île de l’Atlantique sud, tandis qu’une seconde équipe s’installa au Brésil, dans la ville de Sobral. Leur mission ? Observer la position de l’amas des Pléiades, étoiles fixes, pendant l’éclipse : d’après la théorie d’Einstein, si, pour un observateur sur Terre, les Pléiades sont proches du bord du Soleil, leur position apparente devrait être décalée par rapport à leur position habituelle. En effet, la lumière que nous recevons d’elles serait momentanément déviée par la courbure de l’espace-temps induite par la présence du Soleil. Les mesures effectuées malgré une météo peu coopérative et des plaques photographiques de mauvaise qualité confirmèrent les calculs d’Einstein. Le 22 septembre 1919, Hendrik Lorentz envoya un télégramme à Einstein pour l’informer que la courbure de la lumière a été effectivement observée. Le précieux courrier lui fut transmis alors qu’il donnait cours. Einstein le lut silencieusement, puis à voix haute. L’assistance éclata alors en applaudissements. Il avait donc vu juste : la lumière ne se propage pas en ligne droite du fait de la courbure de l’espace-temps !

Einstein célébra le succès de ses équations en s’achetant un nouveau violon. 

L’annonce officielle des mesures obtenues par les équipes d’Eddington fut prononcée devant les membres de la Royal Astronomical Society, à Londres, le 6 novembre 1919. Dans les jours qui suivirent, le portrait d’Einstein fit la une des journaux sur toute la surface du globe.

Le 11 février 2016, le père de la relativité générale fit à nouveau la une de la presse dans le monde entier : la première détection d’ondes gravitationnelles venait d’être officiellement annoncée, un siècle exactement après leur prédiction par Einstein ! La prouesse réalisée par les expérimentateurs de la collaboration américaine LIGO l’aurait sidéré, lui qui ne croyait pas que de telles ondes, si discrètes, pussent être un jour détectées. Il faut dire que pour saisir leur passage, il est vain d’utiliser une règle matérielle, si précise soit-elle : les ondes la déformeraient, et elle ne pourrait mesurer aucun effet. Il convient donc d’utiliser une règle qui ne s’étire ni ne se contracte, c’est-à-dire… la lumière ! La vitesse de la lumière étant invariante, si l’espace entre deux points se dilate, la lumière mettra plus de temps à parcourir la distance qui les sépare. Si au contraire l’espace se contracte, il lui faudra moins de temps. C’est donc grâce à un faisceau de lumière laser séparé en deux faisceaux, envoyés dans deux directions perpendiculaires puis recombinés l’un à l’autre, qu’une détection a pu être faite : les interférences des deux faisceaux se trouvent modifiées dès qu’une onde gravitationnelle vient allonger ou raccourcir la distance parcourue par chacun d’eux.

L’ironie de toute cette affaire tient à ce qu’Einstein n’a jamais vraiment cru en l’existence des trous noirs, alors même que leur existence n’est pensable que dans le cadre de sa théorie de la gravitation. Or, ce sont bien deux tels objets qui, en s’accouplant jusqu’à n’en plus faire qu’un, ont émis des ondes gravitationnelles suffisamment intenses pour être détectables sur Terre.

Éclipse du Soleil de 1919, ondes gravitationnelles de 2016, et Einstein en photo sur toutes les couvertures, par-delà l’espace, par-delà le temps : duplication historique, résonances entre ce qui a eu lieu et ce qui a lieu, juxtaposition des événements passés et présents. Cette sorte de court-circuit temporel se produisit notamment à la faveur de la une du journal Le Monde du 13 février 2016 : “Einstein avait raison”. Le titre était accompagné de sa photo la plus célèbre, celle où on le voit, âgé, tirant la langue aux journalistes venus le traquer à la sortie d’un restaurant de Princeton, comme pour signifier : “Je vous l’avais bien dit.” 

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