Les (vraies) racines des nouvelles inégalités, ces grandes absentes de la campagne présidentielle 2022<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les (vraies) racines des nouvelles inégalités, ces grandes absentes de la campagne présidentielle 2022
©©REUTERS/Eduardo Munoz

Un fossé se creuse

A l’occasion de la Journée mondiale de la justice sociale, il est étonnant de voir que le thème des inégalités, qui imprègne fortement nombre de discours politiques, est rarement traité par le prisme de ce qu’il est réellement au 21e siècle.

Joël Hellier

Joël Hellier

Joël Hellier est économiste et enseigne à l'Université de Nantes et de Lille 1. Ses travaux portent sur la macroéconomie des inégalités, l'économie de la mondialisation, l'éducation et la mobilité intergénérationnelle et l'économie du travail.
 

Voir la bio »

Atlantico : À l’occasion de la Journée mondiale de la justice sociale, on peut s’étonner de voir que le thème des inégalités est rarement traité pour ce qu’il est réellement au 21 e siècle. Aujourd’hui, l’augmentation des inégalités sociales est-elle due à une endogamie sociale des élites ?

Joël Hellier : Il faut d’abord  rappeler que la notion d’inégalité recouvre plusieurs phénomènes. A un moment donné ou à court terme, les inégalités rendent compte des écarts de revenus (ou de richesse) entre les individus. C’est ce que mesurent les indicateurs les plus habituels : le coefficient de Gini ; le rapport inter-décile; la part du 1% ou 10% supérieurs et des 50% inférieurs dans le total des revenus etc.  On peut également appréhender les inégalités de revenus entre individus sur l’ensemble de leur vie. Cette mesure reste assez peu étudiée par manque de données permettant de comparer les pays et les périodes. Enfin, à plus long terme, les inégalités peuvent être mesurées par ce qu’  économistes et sociologues appellent la mobilité intergénérationnelle. C’est ce qui permet de représenter la reproduction familiale et l’endogamie des différentes strates sociales. Moins le revenu et la position sociale d’un individu sont liés à ceux des parents et de sa famille, plus forte est la mobilité sociale. Ainsi, une faible mobilité intergénérationnelle témoigne d’une forte détermination familiale et sociale du revenu et du statut des individus. 

La relation entre inégalités de revenus à court terme  et mobilité intergénérationnelle a été représentée par la Great Gatby Curve de Miles Corak. Cette courbe montre clairement une relation positive entre inégalité de revenu et immobilité intergénérationnelle. Toutefois, cette relation ne nous dit rien sur le sens de causalité entre les deux variables. En fait, inégalité des revenus et immobilité intergénérationnelle se confortent l’une l’autre. Des inégalités élevées de revenu permettent aux enfants des familles riches d’accéder aux conditions de vie et aux établissements éducatifs les plus prestigieux et diminuent sensiblement l’ascension des plus modestes qui ne peuvent financer leurs études et restent enfermés dans des quartiers qui cumulent les handicaps.  D’où une faible mobilité intergénérationnelle. Cette dernière conforte à son tour les inégalités à travers les transmissions culturelle, de patrimoine et l’accès aux réseaux d’influence. De ce point de vue, les études montrent clairement que la mobilité sociale est faible aux deux extrémités de l’échelle sociale, chez les plus défavorisés et chez les plus riches. Quand on considère les pays, l’immobilité intergénérationnelle est forte aux Etats Unis, en Grande Bretagne, mais également en France comparativement aux autres pays avancés. De plus, plusieurs études diagnostiquent un baisse de mobilité pour les générations nées à partir des années soixante-dix dans ces trois pays. Il existe toutefois des différences significatives. Par exemple, la faible mobilité est, aux Etats Unis, surtout imputable au fort déterminisme social des 20% les plus modestes. En haut de l’échelle, une part non négligeable des plus riches est issue des classes moyennes et moyennes supérieures. Cela s’explique par le fait que les firmes ayant les plus fortes capitalisations boursières et dont les dirigeants sont les mieux rémunérés (les GAFA) appartiennent à la nouvelle économie et ont été créées par de nouveaux venus, certes très diplômés, mais non-issue de l’élite traditionnelle. En France en revanche, l’accès de la classe moyenne aux enfants issus des classes populaires est plus aisé, mais le plafond de verre limitant l’accès à l’élite s’est fortement renforcé. Cet accès était sans doute plus facile pour les diplômés issus des classes moyennes dans les années d’après-guerre et jusqu’aux années quatre-vingt-dix car une part importante de l’outil productif était de fait entre les mains de l’Etat, qui puisait dans les grandes écoles les cadres dirigeants. Depuis, le poids des dynasties a de nouveau progressé (les Arnault, Pinault, Dassault,  Mulliez, Bettencourt, Bouygues, Bolloré etc.) qui restent néanmoins dans des secteurs plus traditionnels  où les antécédents familiaux ont une plus grande importance. 

À Lire Aussi

Les inégalités de patrimoine aux Etats-Unis sont les plus fortes depuis la Deuxième Guerre mondiale. Et en France ?

Les revenus du capital qui avaient disparu pendant le 20 e siècle en raison de l’inflation et des guerres ont-ils réapparu ? 

Les fortes baisses de revenu du capital sont des phénomènes épisodiques de faibles durée qui caractérisent les crises comme les guerres, la grande dépression des années trente ou la crise financière de 2008-2010. 

Au XXème siècle, aux Etats Unis mais également dans la plupart des pays avancés, la part du capital et du travail dans la valeur ajoutée du secteur productif est restée à peu près constante en moyenne, fluctuant autour de 30% et 70% respectivement, comme l’avait déjà remarqué Kaldor à la fin des années cinquante.  Depuis le début du millénaire, la part du capital a augmenté de façon non négligeable. Plusieurs raisons  peuvent expliquer ce phénomène. Le progrès technique d’abord, les nouvelles technologies et les nouveaux secteurs demandant plus de capital et moins de travail. La globalisation des économies a d’autre part pesé sur la rémunération du travail et a favorisé le capital dans les négociations salariales en raison des menaces de délocalisation. Enfin, l’affaiblissement des syndicats et la libéralisation du marché du travail a également pesé sur les salaires.    

Contrairement au monde de rentiers de l’avant 1914 où les riches en patrimoine n’étaient pas les mêmes que les riches en revenus du travail, aujourd’hui les deux ont-ils tendance à se cumuler ? 

Le remplacement des riches rentiers par de riches entrepreneurs s’est peu à peu imposé tout au long du XXème siècle, en particulier après la grande crise des années trente et la seconde guerre mondiale. La concordance entre les hauts revenus et les hauts patrimoines semble à nouveau progresser depuis une vingtaine d’années. Plusieurs évolutions peuvent l’expliquer. D’une part, la nouvelle économie s’est extraordinairement développée. Aujourd’hui, les quatre GAFA représentent cinq fois la capitalisation boursière totale de l’ensemble des entreprises du CAC 40. Or, ces entreprises restent (ou sont longtemps restées) en grande partie détenues par leur fondateurs qui en sont (ou en ont été longtemps) les dirigeants, cumulant ainsi patrimoines et salaires. De plus, la pratique, généralisée depuis les années 80,  des stock options pour les dirigeants  a favorisé la coïncidence de la rémunération et du patrimoine. Piketty remarque toutefois qu’une part croissante du patrimoine s’acquiert aujourd’hui par héritage. Cela pourrait limiter l’accumulation du patrimoine à travers les hauts revenus. 

Quelles sont les autres causes possibles de la résurgence des inégalités depuis le début du millénaire ? La tendance est-elle à l’amélioration ou à la dégradation ?

Les trois grandes explications traditionnelles restent valables : le progrès technique qui favorise la main d’œuvre qualifiée et le capital ; la mondialisation et les chaines de valeur globalisées qui redistribuent une grande partie des activités industrielles peu et moyennement qualifiées vers les pays émergeants, reléguant cette main d’œuvre vers des activités de service peu rémunérées dans les pays avancés ; les changements dans l’organisation et la flexibilité du marché du travail qui ont permis l’uberisation la multiplication de ‘petits boulots’ précaires et mal payés . Un élément important qui pourrait améliorer la situation des salariés est la pénurie grandissante de main d’œuvre, même peu qualifiée, dans la plupart des pays avancés. De plus, l’adaptation aux changements climatiques pourrait créer un large éventail de postes non délocalisables. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !