Lentement mais sûrement ? Voilà les derniers éléments en date sur l’efficacité des sanctions contre la Russie<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe, Vladimir Poutine, lors d'une conférence de presse en octobre 2022
Le président russe, Vladimir Poutine, lors d'une conférence de presse en octobre 2022
©Valery SHARIFULIN / AFP

Guerre en Ukraine

Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Occident a multiplié les sanctions économiques contre la Russie. S'il ne s'agit pas d'un outil magique qui marche du jour au lendemain, leur efficacité va aller en grandissant

Agathe Demarais

Agathe Demarais est la directrice des prévisions mondiales de l'Economist Intelligence Unit (EIU), le centre de recherche indépendant du magazine britannique The Economist. Ses travaux portent sur les sanctions, l'économie et la géopolitique, notamment en lien avec la Russie. Elle a travaillé durant six ans pour la Direction Générale du Trésor à Moscou et Beyrouth. Son livre, Backfire, porte sur les effets secondaires des sanctions américaines. Il a été publié le 15 novembre aux Presses Universitaires de Columbia (Etats-Unis).

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Atlantico : Plus d’un an après le début de la guerre, quelle est l’efficacité des sanctions sur l’économie russe ? 

Agathe Demarais : Il est important de revenir sur les objectifs de ces sanctions pour être en capacité de mesurer pleinement leurs effets. Il y a énormément de confusion sur ce sujet. Ces objectifs ne sont pas d’aboutir à un effondrement du régime de Vladimir Poutine. Il n’y a pas de raison de croire qu’un éventuel successeur serait enclin à changer de stratégie vis-à-vis de l’Ukraine. Le but des sanctions n’était pas non plus de provoquer un effondrement économique de la Russie. Le pays de Vladimir Poutine est la neuvième économie mondiale, l’effondrement n’est donc pas réaliste. La Russie a des réserves financières importantes pour essayer d’adoucir le choc économique.  Les sanctions économiques ne visaient pas à arrêter la guerre en Ukraine également. 

En 2014, du jour au lendemain, les sanctions n’avaient pas infléchi la position russe en Ukraine même si les mesures prises à l’époque avaient sans doute permis d’empêcher une invasion plus vaste du territoire ukrainien. 

Les sanctions déployées contre la Russie étaient en réalité un signal diplomatique fort, tant vis-à-vis de la Russie que de l’Ukraine. Vladimir Poutine ne s’attendait pas à une telle solidarité transatlantique sur le front des sanctions, notamment via le gel de la moitié des réserves de la Banque centrale de Russie. L’autre moitié était détenue en devises non-occidentales. 

L’objectif le plus important des sanctions est de peser sur la capacité de la Russie à mener la guerre contre l’Ukraine du point de vue économique, financier et technologique.  Du point de vue économique, les sanctions sont efficaces. La Russie a enregistré une récession l’an dernier. L’estimation concerne une récession d’environ  2% en 2022. Elle est moins importante que ce qui avait été prévu initialement. Cela traduit une envolée des coûts des matières premières énergétiques suite à la guerre qui ont bénéficié à l’économie russe. Cela laisse transparaître que la Russie s’est transformée en une économie de guerre. Elle produit des missiles, des canons, des chars. Cela augmente artificiellement les chiffres du PIB. Mais cela ne se traduit pas par une hausse du niveau de vie de la population russe. Les importations ont chuté en Russie l’an dernier à cause des sanctions et avec la baisse de la demande des ménages. Cette situation a donc contribué à gonfler artificiellement le PIB russe. 

La Russie ne devrait retrouver son niveau de PIB d’avant-guerre qu’en 2027. Cela permet de mesurer l’étendue des dégâts et du poids des sanctions. 

Les perspectives à long terme pour l’économie russe ne sont pas bonnes. C’était déjà le cas avant 2014, au regard de la démographie déclinante, du faible investissement. Les sanctions vont accélérer ce phénomène, notamment dans le domaine technologique. Elles vont restreindre la capacité de la Russie à importer des composants de haute technologie comme les semi-conducteurs. Le développement de l’économie russe va donc être limité. 

La guerre a également provoqué l’exode de la partie la plus formée, la plus éduquée de la population russe. L’exode des forces vives va donc aussi avoir un impact sur l’économie de la Russie. 

L’autre objectif des sanctions est de peser sur le secteur énergétique russe. Cela remonte à 2014. Depuis cette période, des sanctions américaines sont appliquées. Elles restreignent la capacité du secteur énergétique russe à importer des technologies américaines. La Russie a l’intention de développer des nouveaux champs gaziers dans l’Arctique. Les champs actuels arrivent à maturité, leurs réserves s’épuisent. Des technologies spéciales sont nécessaires pour développer ces nouvelles exploitations. Or, la Russie n’aura pas accès aux technologies américaines pour développer ces nouveaux champs d’hydrocarbure. Petit à petit, la production d’hydrocarbure devrait donc s’effriter très lentement, très graduellement. La Russie n’a pas de solutions magiques à long terme. Selon les statistiques de l’Agence internationale de l’énergie, aujourd’hui, 30% du pétrole et du gaz échangés mondialement sont russes. Cette proportion devrait tomber à 15% d’ici 2030. 

Comment peut-on être certain que ce que l’on observe actuellement de l’économie russe est effectivement bien une conséquence des sanctions et pas juste l’effet de l’effort de guerre russe ?  

L’effort de guerre provoque-t-il une baisse de la consommation des ménages ? A priori non. L’effort de guerre pourrait-il provoquer une dépréciation de la monnaie, laquelle entraînerait une hausse de l’inflation ? A priori non. L’effort de guerre peut-il restreindre les capacités de la Russie à importer des composants de haute technologie ? Non. L’effort de guerre entraîne-t-il des difficultés pour la Russie dans l’exportation des hydrocarbures en Europe ? Non plus. Il n’y a pas d’autres facteurs que les sanctions qui pourraient expliquer cette situation en Russie sur le plan de l’économie. 

L’efficacité des sanctions va-t-elle en grandissant ou en s’amenuisant ?

L’efficacité des sanctions va aller en grandissant. Les sanctions sont graduelles, cumulatives et ont un rythme lent. Il ne s’agit pas d’un outil magique qui marche du jour au lendemain. La Russie va avoir des difficultés petit à petit pour développer des nouveaux champs d’hydrocarbure. Dans ce contexte, les sanctions vont avoir un effet de plus en plus important sur le long cours. 

Il faudra prêter attention aux statistiques russes en 2023. Pour calculer les taux de croissance, il est nécessaire d’avoir un point de comparaison. En 2023, lors de la comparaison avec 2022, nous risquons d’avoir des chiffres de croissance artificiellement flatteurs car la base de comparaison est basse. Il faudra faire attention à tous les taux de croissance qui vont être publiés par la Russie en 2023 à cause des effets de base. Il sera plus juste de regarder les choses en valeur, en termes de niveau. 

Il y a eu une diversité de sanctions mises en place. Est-il possible de savoir quelles sont les plus efficaces ? Ou l’effet des sanctions est-il plutôt global sur l’économie russe ?

Il faut considérer les sanctions comme un package. Elles doivent être considérées comme un outil diplomatique parmi tant d’autres dans la boîte à outils des diplomates occidentaux (comme le soutien à l’Ukraine, militaire, financier ou l’accueil de réfugiés).  

A priori, les sanctions qui ont le plus d’impact sont celles qui vont cibler le cœur du réacteur de l’économie russe, le secteur énergétique. A court terme, les sanctions ont contribué à faire perdre à la Russie son premier marché pour exporter son pétrole : l’Europe. Pour le gaz, il n’y a pas de sanctions sur les exportations de gaz russe. C’est la Russie qui a décidé de couper le robinet du gaz envers l’UE. 

Le plafonnement du prix des exportations du pétrole russe, imposé par le G7 et l’Union européenne, complique la situation de la Russie. Le rouble est maintenant à son plus bas niveau depuis un an. Cette situation pourrait alimenter l’inflation.

Les sanctions les plus importantes vont être celles qui, à court terme, restreignent la capacité de la Russie à avoir des recettes des hydrocarbures. A long terme, les restrictions sur la capacité de la Russie à développer des nouveaux champs d’hydrocarbure dans l’Arctique vont aussi être un frein majeur. Les réserves d'hydrocarbures de la Russie s’épuisent. La Chine ne dispose pas des technologies nécessaires pour développer de nouveaux gisements.

Est-ce que l’on sait comment se traduisent les sanctions dans le quotidien des Russes ? Ont-elles changé des choses dans leur vie ? 

Il est compliqué de savoir quel a été l’impact réel des sanctions sur la vie des Russes. La population russe est biberonnée à la propagande du régime. 

Dans le quotidien des Russes, il y a un secteur assez emblématique, celui de l’automobile. La production de voitures particulières a chuté en 2022 d’environ 70%. Cela montre la baisse de confiance des ménages. Et cela traduit le manque d’accès à des composants occidentaux technologiques sur les chaînes de production. Cela concerne notamment les semi-conducteurs dans les voitures. 

Les véhicules qui continuent à être produits aujourd’hui en Russie sont des modèles assez limités, sans ABS et sans airbag. 

A quel point est-ce que les sanctions à l’heure actuelle nuisent-elles à l’effort de guerre russe et au financement de la guerre de Vladimir Poutine ?

Il n’est pas aisé de le quantifier de manière très précise. Mais il est certain que la Russie va être contrainte de faire des choix. Les recettes issues des exportations d’hydrocarbures chutent sur les premiers mois de l’année 2023. Il faudra donc maintenir la paix sociale, qui coûte très cher, par le biais de subventions, de hausses des retraites... En parallèle, le financement de la guerre coûte excessivement cher. 

Même si la Russie a des réserves importantes (300 milliards de réserves de change de la Banque centrale et des réserves dans son fonds souverain), ces fonds vont peu à peu s’épuiser. Selon certains oligarques russes, d’ici 2024 toutes les ressources financières de la Russie pourraient être épuisées. Cela est difficile à prévoir. Mais en termes de trajectoire, la Russie pourrait s’orienter vers un tel scénario. 

Une politique d’austérité ou une mobilisation nationale sont-elles des solutions à l’étude pour l’économie russe et pour arriver à financer la guerre ?

Les calculs faits par le Kremlin et Vladimir Poutine sont flous. Les médias sont totalement verrouillés en Russie. Avoir accès aux calculs des dirigeants russes est très difficile. 

Une deuxième vague de mobilisation serait très impopulaire. Les jeunes hommes russes ne semblaient pas particulièrement motivés à l’idée d’aller au front en Ukraine après la première mobilisation. Le pouvoir russe sait que cette impopularité représenterait un danger potentiel pour sa survie.

L’application de mesures d’austérité va aussi avoir un impact sur la paix sociale. 

Mais la Russie est très forte pour se présenter comme une forteresse assiégée sous le coup des sanctions et pour revendiquer la nécessité d’un grand élan national pour se défendre. 

Il n’y a pas de solutions faciles, évidentes et magiques pour la Russie. Il s’agit du principal problème pour les autorités russes. 

Y a-t-il des solutions qui existent ou une porte de sortie pour la Russie ?

La Russie redirige les exportations d’hydrocarbures vers d’autres pays.  Cela est tout à fait faisable pour le pétrole. La Russie développe une flotte de bateaux fantômes qui n’ont rien à voir avec les pays occidentaux et qui ne sont pas soumis aux sanctions (sur le plafonnement du prix du baril de pétrole exporté). Pour le gaz, la situation est plus compliquée car des infrastructures sont nécessaires. Le pays qui paraît le plus à même d’absorber le plus de gaz maintenant que la Russie a décidé de ne plus en exporter vers l’Union européenne serait la Chine. Pour le moment, la Chine n’est pas réellement motivée. Pékin ne souhaite pas construire un deuxième gazoduc. Le nouveau Power of Siberia 2 était au cœur du récent dialogue entre Vladimir Poutine et Xi Jinping.

A plus long terme, la Russie va être confrontée à une lente érosion de la production d’hydrocarbures. La solution semble complexe. Il serait nécessaire de diversifier l’économie russe. Des tentatives ont été menées par le passé. Il y a eu notamment la création d’une Silicon Valley russe à Skolkovo, près de Moscou, dans les années 2010. Cela n’a pas marché. 

Avec le manque d’accès aux technologies, le retrait des entreprises occidentales du marché russe, l’émigration des forces vives, il est difficile de considérer que la Russie va pouvoir se diversifier et devenir une économie high tech. Avoir accès à des technologies requiert d’être intégré dans des écosystèmes internationaux d’accès à ces technologies et à la recherche. Or, la Russie est vraiment seule et son partenaire chinois n'est pas une solution magique.  

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