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Discours de Walther Darré, ministre de l'Agriculture à Goslar, le 13 décembre 1937.
Discours de Walther Darré, ministre de l'Agriculture à Goslar, le 13 décembre 1937.
©Capture d'écran / DR / German Federal Archives

Bonnes feuilles

Philippe Simonnot publie « Le brun et le vert Quand les nazis étaient écologistes » aux éditions du Cerf. L'écologisme dont se revendiquait le nazisme reposait sur l'idéalisation d'une nature sauvage mâtinée de darwinisme social, porteuse d'une exaltation de la force. Elle participait en fait de l'antihumanisme fondamental de ce totalitarisme. Extrait 1/2.

Philippe Simonnot

Philippe Simonnot

Philippe Simonnot est économiste. Son dernier ouvrage en librairie s’intitule Non l'Allemagne n'était pas coupable, Notes sur les responsabilités de la Première Guerre Mondiale (Editions Europolis, Berlin). Il est aussi l'auteur de Chômeurs ou esclaves, le dilemme français, (Ed. Pierre-Guillaume de Roux). En 2012, il publie La monnaie, Histoire d’une imposture (Editions Perrin), en collaboration avec Charles Le Lien.

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Aussi influents fussent-ils, Walther Schoenichen et Ernst Haeckel ne peuvent expliquer à eux deux que l’Allemagne nazie puisse être considérée pour son époque comme une championne de l’écologie. L’ensemble du Parti national-socialiste était pénétré de thèmes écologiques.

Aussi bien, l’écologie a-t-elle joué un rôle important dans la montée au pouvoir de Hitler. On peut même dire que l’incorporation de ces sujets dans le programme du NSDAP fut un facteur « crucial », dans le triomphe de Hitler. Une sorte de religion de la nature faisait intrinsèquement partie de la propagande d’alors où se mêlaient de manière plus ou moins stable un mysticisme germanique, des données écologiques à prétention scientifique, une reconsidération de la place de l’homme vis-à-vis de la nature, et une bonne dose de racisme légitimé, on l’a vu, par le darwinisme de Haeckel et de ses disciples.

À travers les écrits non seulement de Hitler, mais aussi de la plupart des maîtres-penseurs du régime nationalsocialiste, on peut percevoir une reconsidération de la place de l’homme par rapport à la nature et, comme son corollaire logique, une critique virulente des efforts humains pour maîtriser la nature. L’anthropocentrisme est rejeté d’une manière générale. Il eût été justifié seulement sur l’hypothèse selon laquelle la nature avait été créée pour l’homme. « Nous rejetons définitivement cette posture. Selon notre conception de la nature, l’homme est un chaînon dans la chaîne naturelle comme n’importe quel organisme. »

La clef de l’harmonie « socio-écologique » est dans le respect « des lois éternelles des processus naturels », proclamait Hitler lui-même, et il fallait organier la société en harmonie avec ces lois. Faisant écho à Haeckel et aux monistes, Hitler mettait volontiers l’accent sur la « faiblesse de l’humanité devant les lois éternelles de la nature ». Dans Mein Kampf, il écrit carrément : « Quand les gens essaient de se rebeller contre la loi de fer de la nature, ils entrent en conflit avec les principes mêmes auxquels ils doivent leur existence en tant qu’êtres humains. Leurs actions contre la nature conduisent à leur propre destruction. »

Alfred Rosenberg (1893-1946), idéologue nazi et personnage de premier plan du régime, occupe à partir de mai 1941 le poste crucial de ministre du Reich pour les territoires occupés. Dans son monumental Mythe du 20ème siècle, il écrivait : « Aujourd’hui, nous voyons le courant puissant qui va de la campagne à la cité, un courant mortel pour le peuple (Volk). Les cités grandissent toujours plus, énervant [au sens étymologique du terme] le peuple (Volk) et détruisant les liens qui relient l’humanité à la nature ; elles attirent les aventuriers et les profiteurs de toutes les couleurs, précipitant donc le chaos racial. » On pourrait en dire autant d’un autre dignitaire du régime, Himmler, comme nous le verrons, et même de Goering, apparemment le plus éloigné des thèses environnementalistes. C’est en fait une partie éminente de l’appareil nazi qui était pénétré de convictions écologistes.

On objectera que le côté vert du nazi lors de sa conquête du pouvoir n’était que de l’affichage et que, bien vite, les écologistes de l’époque durent déchanter. Les listes des membres des organisations de protection de la nature, nées sous la République de Weimar, montrent le contraire : 60 % de ces membres avaient rejoint les rangs nationaux-socialistes en 1939 ; à la même date, les affiliés au parti ne représentaient que 10 % de la population masculine adulte et 25 % chez les enseignants et les avocats. Le pourcentage d’adhérents écologistes au parti nazi eût été beaucoup plus faible si le régime national-socialiste n’avait pas respecté les promesses de ses campagnes électorales, notamment en instaurant les « lois » d’inspiration « verte » que nous allons examiner.

Remarquons d’abord que quatre personnalités de première importance du régime nazi au plan opérationnel, et non pas seulement doctrinal, étaient des écologistes convaincus : Walther Darré, Fritz Todt, Alwin Seifert et Rudolf Hess. Nous reviendrons sur chacun d’eux.

Le 1er juillet 1935, un an et demi après l’accession au pouvoir de Hitler est adoptée la loi sur la protection de la nature (Reichsnaturschutzgesetz). Elle contribuera à faire de l’Allemagne nazie le pays le plus avancé de son époque dans le domaine écologique, ce qui lui attirera nombre d’admirateurs en Europe et aux États-Unis. Encore en 1941, Hitler pourra déclarer : « Nous voulons créer non seulement une Allemagne de puissance, mais aussi une Allemagne de beauté. » Voici un passage significatif de la loi sur la protection de la nature de juillet 1935, un texte commandé et signé par Hitler en personne :

« Aujourd’hui comme jadis, la nature, dans les forêts et les champs, est l’objet de la ferveur nostalgique, de la joie et le moyen de la régénération du peuple allemand.

Notre campagne nationale a été profondément modifiée par rapport aux temps originels, sa flore a été altérée de multiples façons par l’industrie agricole et forestière ainsi que par un remembrement unilatéral et une monoculture des conifères. En même temps que son habitat naturel se réduisait, une faune diversifiée qui vivifiait les forêts et les champs s’est amenuisée.

Cette évolution était souvent due à des nécessités économiques. Aujourd’hui, une conscience claire s’est faite jour des dommages intellectuels, mais aussi économiques d’un tel bouleversement de la campagne allemande.

Avant, on ne pouvait doter qu’avec des demi-mesures les lieux de protection de “monuments naturels” nés au tournant de ce siècle, parce que les conditions politiques et intellectuelles essentielles faisaient défaut. Seule la métamorphose de l’homme allemand devait créer les préconditions d’une protection efficace de la nature.

Le gouvernement allemand du Reich considère comme son devoir de garantir à nos compatriotes, même les plus pauvres, leur part de la beauté naturelle. Il a donc édicté la loi du Reich en vue de la protection de la nature. »

Au milieu des années 1930, Todt et Seifert firent pression vigoureusement pour l’adoption d’une Loi du Reich pour la Protection de la Mère Nature « afin d’endiguer la perte continue du fondement irremplaçable de la vie ». Selon le témoignage de Seifert, dont nous reparlerons au chapitre 7, tous les ministres étaient en faveur de cette loi, à l’exception du ministère de l’économie, qui craignait son impact négatif sur l’activité minière. Surtout, ce projet de loi avait le soutien de Rudolf Hess – alors le no 2 du régime, le seul auquel Hitler accordait une pleine confiance. Tout projet de loi devait passer sur son bureau pour recueillir son approbation.

Amoureux inconditionnel de la nature, disciple de Rudolf Steiner, de son anthroposophie et de son agriculture « biodynamique », Rudolf Hess était un végétarien encore plus absolu que Hitler lui-même. Il n’acceptait que des traitements homéopathiques. C’est lui qui introduisit Darré auprès du Führer, assurant aux écologistes du parti national-socialiste un appui important. Hess poussa même Darré à être plus démonstratif dans son soutien au lebensgesetzliche Landbauweise – c’est-à-dire à l’« agriculture selon les lois de la vie ». L’inspiration de Hess venait en droite ligne de l’anthroposophie de Steiner et de ses techniques de culture biodynamique, de nouveau à la mode aujourd’hui même. Il existe ainsi un organisme, le World-Wide Opportunities on Organic Farms structuré en un réseau mondial de fermes biologiques. Créé en Angleterre en 1971, il s’est étendu dans le monde entier. À noter que les Amish pratiquent depuis longtemps l’agriculture biodynamique non mécanisée.

En Allemagne, dans les années 1930, la campagne en faveur de la biodynamie avait touché des dizaines de milliers de petites exploitations à travers toute l’Allemagne, et grâce à Darré elle reçut un soutien gouvernemental. Il y avait dans cette décision un argument stratégique : l’autarcie assurée par ces fermes était un atout en période de crise économique mais aussi et surtout de guerre, l’Allemagne, comme on le sait, ayant été littéralement affamée par le blocus que lui imposèrent les Alliés pendant la Grande Guerre.

Walther Schoenichen salua bien sûr l’avènement de la nouvelle législation avec enthousiasme : elle répondait pleinement aux attentes völkisch. Il rédigea donc deux ouvrages sur les bienfaits de la dimension écologiste du régime nazi : Naturschutz im dritten Reich (Berlin, 1934), et Naturschutz als völkische und internationale Kulturaufgabe (1942).

Pour son successeur à la tête de l’Agence du Reich pour la Protection de la Nature, Hans Close, la politique environnementale du régime marquait un « point élevé » dans le combat pour la nature en Allemagne. La loi de protection de la nature fait partie d’un ensemble législatif ou réglementaire impressionnant, lequel est introduit dès le lendemain de l’arrivée de Hitler au pouvoir. En voici le calendrier :

21 avril 1933 : Loi sur l’abattage des animaux.

9 mai 1933 : Décret du ministre prussien de l’Intérieur sur la vivisection.

24 novembre 1933 : Loi sur la protection des animaux.

17 janvier 1934 : Loi contre la déforestation.

18 janvier 1934 : Loi prussienne sur la chasse.

30 mai 1934 : Décret sur la sylviculture.

3 juillet 1934 : Loi sur la chasse pour l’ensemble de l’Allemagne.

13 décembre 1934 : Loi sur la pureté raciale dans les plantations forestières.

26 juin 1935 : Loi sur la protection de la nature.

17 mars 1936 : Loi sur la promotion de l’alimentation des animaux.

20 avril 1936 : Décret du Maître des Forêts du Reich sur les chats harets (c’est-à-dire, chats errants).

14 juillet 1936 : Loi sur l’abattage et la capture des poissons et des animaux de sang-froid.

17 mars 1937 : Décret du ministère de l’Intérieur concernant les instructions pour le chargement et le transport des animaux.

11 novembre 1937 : Décret du ministère de l’Intérieur concernant les instructions pour le chargement et le transport des animaux sur les véhicules à moteur.

19 janvier 1938 : Ordre sur l’éclairage et la ventilation des stalles dans l’Agriculture.

9 juin 1938 : Décret du ministère de l’Intérieur sur les monstrations publiques d’animaux errants et les ménageries.

8 septembre 1938 : Loi sur la protection des animaux pendant leur transport par chemin de fer.

24 septembre 1938 : Décret du maître des forêts du Reich sur les organisations vouées à la protection de la nature.

29 août 1940 : Ordre sur l’introduction des maladies animales et la mise en œuvre de mesures pour la protection des animaux dans les territoires incorporés de l’Est.

29 octobre 1940 : Loi sur l’inspection de la viande.

31 décembre 1940 : Loi sur le ferrage des chevaux.

10 avril 1941 : Ordre du gouvernement civil d’Alsace sur l’abattage des animaux.

5 août 1941 : Ordre du gouvernement civil d’Alsace sur la mise en œuvre des mesures pour la protection animale.

15 février 1942 : Décret interdisant aux Juifs la détention d’animaux domestiques.

On remarque que la Prusse joue le rôle de pilote dans cette suite de décisions. Expliquons tout de suite que le « Ministre-Président » de cet État, Hermann Goering en personne, a été le maître d’œuvre de cette politique – un rôle qu’on n’attendait pas forcément de la part d’un ancien as de l’aviation allemande pendant la Première Guerre mondiale. Nous examinerons au chapitre 6 les lois concernant la chasse, tellement liée au personnage de Goering, pour nous concentrer maintenant sur la législation concernant la protection de la nature.

Soulignons le concept nouveau de « monuments naturels » (Naturdenkmale), c’est-à-dire des œuvres de la nature qui ne doivent rien à la main de l’homme. « Les monuments naturels, au sens où l’entend cette loi, sont des créations originales de la nature dont la préservation relève d’un intérêt public en raison de leur importance et de leur signification scientifique, historique, patriotique, folklorique, ou autre – il s’agit par exemple des rochers, des chutes d’eau, des accidents géologiques, des arbres rares. » Il faudra donc créer des « zones naturelles protégées » qui feront de ces zones sauvages de véritables monuments, qui pour « naturels » qu’ils fussent, n’en étaient pas moins sacrés et pourvus de droits. En temps de guerre, la protection des sites naturels ira jusqu’à contrarier les nécessités économiques ou/et stratégiques des impératifs militaires !

Les fameuses Autobahn (autoroutes), emblèmes de la réussite économique du régime dans les années 1930, devront respecter l’environnement en prenant en compte les lignes du paysage, en même temps qu’elles aideront à dégorger des villes trop peuplées et trop éloignées de la nature.

Mais c’est d’abord la philosophie politique de la nouvelle législation qui doit nous interpeller. Les conditions politiques et intellectuelles essentielles pour l’adoption et la mise en œuvre d’une telle loi ont été réunies grâce à l’avènement du régime nazi. Seule une dictature – le terme bien sûr n’est pas employé par les dirigeants du Troisième Reich – peut agir à la fois sur les plans réglementaire et intellectuel. D’un point de vue pratique, la signification est immédiate : le droit de propriété, fondement de l’économie de marché capitaliste, peut être bafoué à volonté pour les besoins de la cause environnementale. L’écologie nationale-socialiste est étatique et anticapitaliste.

Extrait du livre de Philippe Simonnot, « Le brun et le vert Quand les nazis étaient écologistes », publié aux éditions du Cerf

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