Le télétravail dégrade-t-il la productivité ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Hubert Guillaud publie « Coincés dans Zoom. À qui profite le télétravail ? » chez FYP éditions.
Hubert Guillaud publie « Coincés dans Zoom. À qui profite le télétravail ? » chez FYP éditions.
©LOIC VENANCE / AFP

Bonnes feuilles

Hubert Guillaud publie « Coincés dans Zoom. À qui profite le télétravail ? » chez FYP éditions. En 2020, avec le confinement, nous avons été sommés de nous mettre au télétravail. A l’image de Zoom, la visioconférence s’est imposée comme l’instrument de la résilience des individus. La grande accélération numérique a vite montré ses limites. Extrait 2/2.

Hubert Guillaud

Hubert Guillaud

Journaliste et essayiste, Hubert Guillaud est spécialiste des systèmes techniques et numériques. Il décrypte comme nul autre nos vies dans les outils du numérique.

Voir la bio »

Avec la pandémie, la culture du présentéisme a montré qu’elle était artificielle. Tout ne s’est pas effondré parce que les gens n’étaient pas sur leur lieu de travail. La productivité a souvent été maintenue, voire renforcée, pour pallier les problèmes du travail distant. D’abord, le temps passé à travailler a augmenté : en moyenne, le passage au télétravail entraîne une hausse du temps de travail d’une à deux heures par semaine96 et plus un employé passe du temps en télétravail, plus il a tendance à multiplier les heures. Le travail s’est également intensifié, souligne une étude de la Business School de Harvard : elle montre que le nombre de mails échangés a augmenté pendant la pandémie tout comme le nombre de récipiendaires ainsi que le nombre de réunions (mais que le temps passé en réunion, lui a diminué, ce qui rappelle — heureusement — que le télétravail ne se réduit pas à Zoom). Le travail à distance a généré une forme de surcharge collaborative pour compenser les échanges informels rendus impossibles. Les télétravailleurs ont passé plus de temps en réunion, à répondre au téléphone, à tchatter, à écrire des mails. Face à toutes ces compensations, le constat général conclut que le télétravail favorise une hausse de la productivité, ce que les spécialistes du sujet avaient déjà observé depuis longtemps, même si une baisse de productivité a parfois été constatée durant la crise, lorsque les salariés sont passés à 100 % en télétravail. Cette baisse est certainement bien plus liée à la désorganisation qu’autre chose, au contexte de crise, c’est-à-dire à un télétravail obligatoire en mode dégradé, un « télétravail à plein temps, mal préparé, subi par un management réticent et des salariés contraints », explique Xavier de Mazenod. Une étude sur 60 000 employés de Microsoft a montré qu’en 2020, les équipes échangeaient plus de messages entre elles pour communiquer à distance et réduire les incompréhensions. Par contre les échanges entre différentes équipes ont chuté. Comme le dit Derek Thompson : à distance, il est finalement plus facile d’accomplir le « travail difficile » que le « travail doux ». On peut travailler intensément sur ce que l’on sait déjà faire, mais bien moins sur ce qui nécessite de nouvelles formes de coordinations. Une collaboration efficace nécessite une certaine forme d’intimité, d’expérience, de savoir-faire, d’habitude que les nouvelles relations en ligne ne facilitent pas. Le travail à distance réduit les collègues que l’on connaît le moins en caricatures et abstractions simplistes qui génèrent plus d’incompréhensions qu’autre chose.

À Lire Aussi

Voilà pourquoi nous ne sommes pas tous égaux face au télétravail

Retenons cependant une chose importante concernant l’amélioration de la productivité en télétravail : celle-ci n’est pas tant le fait des outils numériques qui permettraient, comme par magie, d’améliorer la productivité, elle est surtout le fait de pratiques compensatoires, d’une augmentation du temps de travail effectif, consistant à allonger le temps de travail pour répondre à la charge. Le fait d’être moins dérangé permet de travailler plus efficacement certes mais, surtout, les télétravailleurs ont tendance à profiter de la suppression des temps de transports pour réinvestir ce temps dans l’accomplissement de leurs tâches professionnelles. Ce n’est pas la dématérialisation qui favorise la productivité, mais bien le fait que le télétravail libère de tâches chronophages. S’il existe des études contrastées sur la productivité du télétravail, le consensus veut qu’elle soit optimale quand l’hybridation entre travail sur site et télétravail est équilibrée. Mais pour les économistes Antonin Bergeaud et Gilbert Cette, le télétravail renforce la productivité quand il suscite à la fois l’adhésion des télétravailleurs et du management, que les environnements de travail sont optimums et que l’ensemble des acteurs y sont préparés et formés. Le télétravail ni ne s’improvise ni ne se vit dans la contrainte.

Quant à l’innovation distante, Derek Thompson rappelle que la recherche scientifique sait produire des recherches internationales en équipe. Certes, ces recherches sont longtemps restées peu innovantes. Mais c’est de moins en moins le cas, concède Carl Benedikt Frey lui-même : l’écart d’innovation entre équipes présentielles et équipes distantes s’est même soudainement inversé. Ce sont même les équipes les plus distantes qui se sont mises à produire les travaux les plus importants et innovants ! En fait, les scientifiques ont compris comment devenir de meilleurs travailleurs hybrides, mobilisant mieux les collègues qu’ils connaissent pour produire des travaux à distance. Pour Thompson, cela signifie que les entreprises vont pouvoir progresser pour innover à distance. Pour cela, elles vont avoir besoin de fonctions spécifiques pour mieux distinguer le travail difficile du travail doux, mieux comprendre les flux de travail et les dynamiques d’équipes. Pour l’instant, trop souvent, la gestion du flux de travail est laissée aux équipes opérationnelles souvent débordées. Selon Thompson, les entreprises auront besoin de « synchronisateurs », chargés d’organiser et de résoudre les problèmes de coordination. Trop souvent, ce débat reste polarisé en pro et anti-télétravail, sans chercher à le dépasser, alors qu’il concerne surtout des enjeux que les entreprises doivent prendre en considération et faire évoluer. L’organisation du travail entre présence et distance ne se résoudra pas simplement en achetant une licence Teams ou Zoom et en décrétant le nombre de jours de télétravail. Pour être traitée, pour progresser, la question du travail à distance va devoir être bien plus organisée qu’elle ne l’est, notamment par des employés et des procédures dédiés, chargés d’améliorer la coordination ! C’est déjà le cas d’ailleurs : dans les plus grandes entreprises de la tech, on trouve des directeurs du télétravail, des responsables de la transformation du travail, des vice-présidents en charge du travail flexible.

Hubert Guillaud publie « Coincés dans Zoom. À qui profite le télétravail ? » chez FYP éditions

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !