Le RN, les agriculteurs et l’économie : l’étrange décalage ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le RN a déjà fait évoluer sa doctrine : il n’est plus question de Frexit ou de rupture brutale avec l’UE", estime Luc Rouban.
"Le RN a déjà fait évoluer sa doctrine : il n’est plus question de Frexit ou de rupture brutale avec l’UE", estime Luc Rouban.
©Thomas SAMSON / AFP

Panne de libéralisme

Le RN est en forte dynamique dans tous les sondages. Il semble pourtant que son discours économique soit parfois en contradiction avec les attentes exprimées dans le détail des enquêtes d’opinion par ses électeurs.

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : Le RN est en forte dynamique dans tous les sondages. Il semble pourtant que son discours économique soit parfois en contradiction avec les attentes exprimées avec ses électeurs ?

Luc Rouban : Quelles sont les attentes des électeurs du RN en matière économique ? Pour bien comprendre les enjeux, il faut distinguer deux types de libéralisme. Le premier est un libéralisme « négatif », budgétaire, ayant pour objet la réduction des dépenses publiques, la privatisation des services publics, la diminution du nombre de fonctionnaires, bref, tout ce qui peut concourir à contrôler le déficit ou la dette publique. Mais il existe aussi un autre libéralisme, un libéralisme consistant à défendre l’idée d’entreprise, à vouloir en créer une, à rechercher l’autonomie par l’action entrepreneuriale.

Différencier ces deux libéralismes est crucial si l’on veut comprendre pourquoi le RN attire aujourd’hui de plus en plus d’électeurs des classes moyennes voire des classes supérieures, ce qui montre que l’explication par le populisme devient aujourd’hui peu pertinente. En effet, on peut vouloir davantage de protection, de sécurité, de services de santé, donc d’État-providence, tout en faisant confiance aux entreprises privées par ailleurs et en recherchant sa propre autonomie économique plutôt que d’être salarié. C’est d’ailleurs ce que montre la dernière enquête du Baromètre de la confiance politique du Cevipof. Dans l’électorat RN, le niveau de libéralisme « négatif » ou budgétaire est bas (28% des électeurs de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 – calcul fait sur la base d’un indice composite présenté dans une note de recherche disponible sur HAL gratuitement). En revanche, 60% de ses électeurs se révèlent fortement libéraux sur le terrain entrepreneurial.

Le discours économique récent du RN s’est sensiblement libéralisé sur le terrain social notamment sur la question des retraites (abandon du projet de revenir à la retraite à 60 ans) et sur le terrain fiscal (allègement des droits de succession, des cotisations sociales). Donc, effectivement, le risque pour le RN est de ne pas se donner les moyens de la protection qu’il entend accorder aux citoyens notamment en matière de sécurité ou de santé par défaut de ressources fiscales et donc de services publics. Sur le terrain de la création d’entreprise et de la confiance portée aux entreprises, il a néanmoins fait évoluer sa stratégie, autrefois axée en priorité sur les PME, pour tenter de se rapprocher des grandes entreprises. Il va falloir néanmoins clarifier sa position en matière de souverainisme économique. Si ses électeurs veulent fermer les frontières aux migrants, ils ne veulent pas les fermer en matière économique : 55% d’entre eux souhaitent ouvrir davantage la France sur le plan économique ou préserver la situation actuelle, 40% seulement veulent qu’elle se ferme davantage, 5% ne savent pas.

Ce décalage entre le programme et les électeurs du RN peut-il poser un problème au parti à court ou moyen terme ? 

Pour l’instant, le RN bénéficie par défaut des lacunes de ses concurrents directs. Le macronisme reste libéral sur le terrain économique comme sur le terrain culturel et ne répond plus aux attentes d’une majorité d’électeurs potentiels en matière de sécurité ou d’immigration. Les Républicains, tout comme Édouard Philippe et Horizons, sont toujours englués dans le néolibéralisme qui conduit à jouer la carte du libéralisme « négatif » ou budgétaire (55% de l’électorat de Valérie Pécresse). Ils plaident toujours pour une grande réforme de l’État devant permettre une réduction drastique des dépenses publiques alors que les Français demandent davantage de services publics et de protection, une armée bien équipée et capable de faire réellement face aux nouvelles menaces militaires en Europe, une police plus présente, des hôpitaux qui fonctionnent. Si le RN ne clarifie pas sa position en matière de souverainisme économique et d’ouverture des frontières, y compris sur des terrains complexes comme celui de l’agriculture, le risque pour lui est de voir les catégories moyennes et supérieures, notamment les cadres, se rallier au macronisme et au candidat ou à la candidate qui l’incarnera en considérant que le macronisme s’est déjà droitisé sur le terrain de la sécurité et qu’après tout ce compromis est plus acceptable socialement que celui que propose le RN.

Pour accéder au pouvoir, le RN sera-t-il obligé de modifier son programme économique ?

Le RN a déjà fait évoluer sa doctrine : il n’est plus question de Frexit ou de rupture brutale avec l’UE. Mais il doit préciser encore qu’elle sera son projet en matière d’aide à la création d’entreprises, de gestion des déficits budgétaires et de la dette publique, qu’elle sera sa position en matière d’accords de libre échange qui profitent à toute une partie de l’industrie française d’exportation. La vraie question pour le RN est qu’il risque d’être victime de son propre succès électoral de 2022 et sans doute aux élections européennes de 2024. En sortant de son domaine de prédilection qu’est l’immigration, en cherchant à brasser plus largement les thèmes économiques, il doit être crédible et trouver l’appui des milieux financiers comme du patronat. Des tentatives ont été faites dans ce sens par Marine Le Pen et Jordan Bardella lors de rencontres discrètes mais les représentants des grandes entreprises sont assez méfiants et pensent en majorité que le RN, s’il arrive au pouvoir, devra de toute façon passer des compromis avec Bruxelles comme avec les marchés financiers s’il ne veut pas voir les taux d’intérêt exploser, les investissements s’effondrer et les capitaux s’en aller.

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