Le RN a-t-il définitivement asphyxié LR ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen.
Marine Le Pen.
©BERTRAND GUAY / AFP

Montée du Rassemblement National

Une salve de sondages montre que le parti de Marine Le Pen n’a jamais été aussi proche d’une possible accession au pouvoir tandis que LR semble perdu dans l’insignifiance.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Selon une nouvelle enquête Elabe pour BFM, la candidate du Rassemblement national serait largement en tête du premier tour si l'élection présidentielle 2022 était rejouée aujourd'hui. Déjà ce matin un sondage Ifop pour le Figaro l’indiquait en train de caracoler en tête des intentions de vote pour le premier tour. Marine Le Pen est-elle la grande gagnante de ce début de quinquennat Macron II, et de la crise des retraites ?

Christophe Boutin : Les deux sondages que vous évoquez sont tout à fait concordants et aboutissent, rigoureusement aux mêmes conclusions – avec, naturellement, quelques points d’écart. Dans les deux cas donc, le tiercé gagnant de l’élection présidentielle, si elle avait lieu aujourd’hui serait effectivement : Marine Le Pen, en-tête avec 31 % des suffrages, suivie d’Emmanuel Macron, à 23 % pour Elabe et 25 % pour l’Ifop, et de Jean-Luc Mélenchon, à 18,5 % pour Elabe et 17 % pour l’Ifop. Et c’est ainsi que, par rapport à l’élection de 2022, Marine Le Pen gagnerait 7,5 points, quand Emmanuel Macron en perdrait autour de trois, et Jean-Luc Mélenchon autour de 4.

Bien évidemment, un tel sondage, à quatre années de l’élection présidentielle, et alors que bien des choses peuvent se produire d’ici là, en France ou sur la scène internationale, alors aussi que l’on ne connaît pas encore certains des candidats, ne nous dit pas grand-chose de 2027. Rappelons par exemple qu’Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter, et qu’il faudra donc tenir compte de la personnalité du candidat qui le remplacera à la tête de cette coalition qu’il a formée. Mais notons aussi que lorsque l’Ifop évoque les « remplaçants » aujourd’hui les plus probables - Édouard Philippe, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire ou François Bayrou -, force est de constater que, dans tous les cas, Marine Le Pen, tournerait en-tête d’un premier tour. Reste que la vraie question est de savoir ce que nous disent ces sondages de la situation présente, plutôt que de croire à l'élection de 2027 déjà jouée.

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Ils nous disent d’abord, mais ce n’est guère surprenant, que le chef de l’État, au plus bas de son capital de confiance dans d’autres sondages, est directement impacté par la crise sociale actuelle - qui se cristallise aujourd’hui sur la question de la réforme des retraites mais qui la dépasse très largement -, et ce quand bien même a-t-il laissé sa Première ministre endosser les responsabilités et prendre les coups. Est-ce l’homme qui est touché, ou son camp ? Elabe a aussi fait un sondage portant sur le résultat d’éventuelles législatives, qui apporte des éléments de réponse : quand Emmanuel Macron décroche de presque 5 points, Ensemble en perd presque autant (4,3), démontrant donc que c’est toute la « macronie » qui est touchée. Inversement, si une (très éventuelle) candidature de Valérie Pécresse amènerait cette dernière plus bas encore en 2023 qu’en 2022, aux législatives son parti, LR, serait stable, voire progresserait légèrement, traduisant sans doute le retour au bercail d’un vote âgé favorable à la réforme.

Mais que nous disent ensuite et surtout ces sondages des oppositions ? On l’a dit, Marine Le Pen gagnerait 7,5 points à la présidentielle, et le RN presque 6 points aux législatives. L’image de la femme politique progresse, comme celle de son parti, et même un peu plus : son leadership ne devrait pas être facilement remis en cause d’ici 2027. Mais de l’autre côté de l’échiquier politique, c’est l’inverse : si Jean-Luc Mélenchon perd 4 points à la présidentielle, la NUPES reste stable. C’est cette fois le leader qui est mis en cause, mais peut-être aussi son parti, LFI, car le sondage ne distingue pas entre les diverses composantes de la Nupes. Or, à la présidentielle, Yannick Jadot, pour EELV progresserait un peu (0,4 points), mais, surtout, Fabien Roussel pour le PC gagnerait 1,7 points, doublant presque son score de 2022.

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Ce que l’on pressentait avec quelques sondages précédents se confirmerait donc : non seulement l’opposition de la NUPES, sur la forme peut-être plus que sur le fond, ne lui a pas profité politiquement, mais celle de LFI et, même s’il ne siège pas au Parlement, de Jean-Luc Mélenchon, semble même avoir été contre-productive. À gauche, les gagnants de cet épisode politique ne sont pas les partis mais les syndicats, qui en sortent relégitimés. À droite par contre, le Rassemblement national, en affirmant très clairement son rejet du gouvernement et de sa politique - proposant des motions de censure et s’associant au vote de celles proposées par d’autres -, sans pour autant transformer l’image de l’Assemblée nationale par des happenings, a conforté sa stature autant qu’il se montrait en accord avec les inquiétudes sociales d’une part des Français. Il en touche les dividendes.

Dans un contexte où la droite est majoritaire dans le pays, le score envisagé de Marine Le Pen est-il une indication sur quelle droite les électeurs qui s’identifient de la sorte souhaitent ? (Avec une droite dure sur les sujets régaliens mais aussi une fibre sociale ?)

On ne le redira jamais assez : les Français sont actuellement particulièrement stressés et inquiets, car insécures. Les éléments de stabilisation, de garantie, de sécurité de leur cadre de vie disparaissent en effet les uns après les autres : insécurité physique, bien sûr, avec la multiplication des agressions violentes et des vols que les statistiques du ministère de l’Intérieur ne peuvent plus cacher ; insécurité économique, avec la question de l’inflation ; ou encore insécurité culturelle, quand ils se sentent jetés malgré eux dans un monde dont ils ne veulent pas. Et voici que l’État remet en cause les termes d’un contrat, celui du système de retraite, ce qui ne peut qu’accentuer leurs angoisses. Plus rien ne leur semble stable, et face à ce tourbillon le RN a sur ses concurrents de droite l’avantage de proposer des choix clairs et affirmés en matière de lutte contre l’insécurité, physique ou culturelle – comme Reconquête et dans une bien moindre mesure LR –, mais sans pour autant négliger la protection des « acquis sociaux », autrement dit d’un élément important du contrat social pour toute une partie de la population. Une offre politique que ce parti est actuellement le seul à proposer.

Pourquoi la droite traditionnelle, si elle était représentée par Wauquiez (ou un autre), serait si basse face à Marine Le Pen et le candidat de la majorité présidentielle issu de la droite (qu’il soit Philippe, Le Maire ou Darmanin) ? Pourquoi la droitisation du pays ne bénéficie pas à la famille politique qui incarne traditionnellement la droite de gouvernement ?

Dans le sondage Ifop, Laurent Wauquiez, candidat LR présumé, obtient entre 4% et 10% des suffrages exprimés selon le candidat de la droite « macroniste » et fait ses scores les plus faibles contre Édouard Philippe (à 26 ou 28%, 5 ou 6 fois plus) – et les plus élevés contre François Bayrou (c’est la seule fois où Wauquiez, à 10%, serait devant le candidat issu de la majorité présidentielle, à 9%). Cela prouve deux choses : d’abord, qu’il y a bien un vote « de droite » rallié à Macron - les retraités aisés –, autant qu’un vote centriste ; ensuite, qu’il faut parfois savoir « sortir du bois » et annoncer la couleur, ce que fait Édouard Philippe.

Or cette « droite traditionnelle », on l’a encore vu autour de cette loi sur les retraites, ne sait plus qui elle est… et donc ce qu’elle doit faire. On a toujours en son sein une opposition entre d’une part, ceux qui seraient prêts à des alliances, notamment sur des sujets sociétaux, avec Emmanuel Macron - même s’ils en reviennent en prenant conscience des tensions dans leurs circonscriptions -, et ceux qui, au contraire, estiment qu’il faut avant tout récupérer l’électorat de droite parti chez Reconquête, et, au-delà, tenter, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy en son temps, une OPA sur l’électorat populaire qui a rejoint le Rassemblement national. Il est bien évident que cela conduit à deux discours difficilement compatibles et à l’absence de lignes directrices s’ajoute le fait qu’aucun vrai leader n’émerge. On comprend la tactique de Laurent Wauquiez de ne pas partir trop tôt, et d’attendre qu’il y ait un vrai « désir », mais le dit désir pourrait aussi se porter sur d’autres qui sont en embuscade, menant à une nouvelle guerre picrocholine pour… 5 à 6 % des voix à la présidentielle, mais aussi à ces sièges de députés et de sénateurs dont on finit par se demander si leur maintien n’est pas aujourd’hui le seul véritable objectif de LR.

Quel plan existe-t-il pour LR pour ne pas se contenter de faire de la figuration ? L’incarnation et la clarification de la ligne politique sont-elles des conditions nécessaires ? Et suffisantes ? 

On a beau dire, une ligne politique, claire, avec à la tête du parti un chef « qui cheffe », pour reprendre la formule chiraquienne, cela reste parfois nécessaire, et il faudra bien à un moment sortir de l’ambiguïté – même si l’on aime à rappeler que l’on n’en sort qu’à ses dépens. Un chef donc, un vrai chef, ferme sur le régalien mais à l’écoute des inquiétudes de ses concitoyens - le contraire de la dictature autiste des experts et conseillers du macronisme – et un programme. Pour le dire autrement, un conservatisme répondant aux attentes populistes sous la direction d’un homme populaire pourrait sans doute apporter quelque chose. 

Mais la question est alors autre : les Républicains sont-ils capables de cette mue, même si elle ne serait en fait que le retour aux principes même d’un gaullisme dont ils continuent de se prétendre les continuateurs ? Et s’ils la tentaient, seraient-ils crédibles ? Le parti paie le poids du passé, celui des trahisons de son électorat, et notamment celles faites en son temps par Nicolas Sarkozy. Au moment où les Français manquent de confiance dans la classe politique en général, très au-delà des seuls Républicains, ces derniers n'apparaissent pas à même de capter cette révolte. Ils le seraient d’ailleurs d’autant moins en suivant les consignes sarkozienne d’être un « parti du gouvernement », accompagnant Emmanuel Macron jusque dans la tombe. Quant aux « jeunes pousses », l’un rejouant les Michel Noir, l’autre les Alain Juppé, elles rappellent trop des aînés qui n’ont pas peu contribué à mener ce parti où il est.

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