Le rapport qui révèle l’état plus qu’alarmant de l’armée allemande<!-- --> | Atlantico.fr
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Le premier point essentiel est que la Bundeswehr est par nature une armée de non-emploi, contrairement à l’armée française ou britannique qui sont des armées d’emploi.
Le premier point essentiel est que la Bundeswehr est par nature une armée de non-emploi, contrairement à l’armée française ou britannique qui sont des armées d’emploi.
©RONNY HARTMANN / AFP

Bundeswehr kaput ?

Le rapport annuel du Bundestag sur l’état des forces armées allemandes souligne non seulement qu’elles ne sont pas en état de combattre mais qu’on y trouve de plus en plus des dérives politiques inquiétantes pour la démocratie.

Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

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Atlantico : Un rapport annuel du Bundestag, dont l’auteure est une membre du SPD, Eva Högl, sur l’état des forces armées allemandes souligne qu’elles ne sont pas en état de combattre. Quels sont les principaux défauts des forces armées allemandes pointés du doigt par ce rapport ?

Jérôme Pellistrandi : Le rapport soulève des problématiques de fond liées à l’histoire de la Bundeswehr. Le premier point essentiel est que la Bundeswehr est par nature une armée de non-emploi, contrairement à l’armée française ou britannique qui sont des armées d’emploi. Ce n’est pas parce que la Bundeswehr a participé très modestement à quelques opérations en Afghanistan et en Afrique qu’elle peut être considérée comme une armée d’emploi. Structurellement, la Bundeswehr n’est pas faite pour combattre. Ce phénomène n’a fait que s’accentuer avec une société allemande qui jusqu’au 24 février 2022, date de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, se voyait dans une Europe en paix, une Europe dominée économiquement par l’Allemagne. La question de la défense était secondaire pour la société allemande. Le tout commerce l’emportait sur le reste.

L’armée allemande est une armée avec une vocation essentiellement terrestre à la différence de la situation britannique. Le Royaume-Uni est une puissance maritime grâce à la Royal Navy qui constitue le cœur de la défense britannique.

Cet état de fait structurel, pointé dans le rapport, doit aussi être replacé dans le contexte allemand. Le service militaire a été supprimé en 2011. Il s’agit d’une armée professionnelle mais qui est confrontée à des difficultés de recrutement majeures qui sont soulignées dans le rapport du Bundestag. Selon les données communiquées par le Bundestag, il y aurait 16% de postes non-pourvus. Dans un pays de plein emploi, le métier militaire n’est donc pas porteur socialement. Au niveau du recrutement des soldats de base, les enquêtes et le rapport le démontrent, les profils des candidats et des recrues sont en grande majorité des jeunes issus de l’ex-RDA qui sont très marqués idéologiquement, des électeurs de l’AfD pour l’essentiel. Il y a aussi des Allemands d’origine turque. Pour les officiers, il peut par contre y avoir une culture familiale. Cette problématique de recrutement est donc une réalité pour la Bundeswehr. La vie des militaires en Allemagne est essentiellement une vie de caserne.

Le rapport annuel du Bundestag évoque aussi des dérives politiques inquiétantes pour la démocratie au sein des forces armées allemandes. Le rapport d’Eva Högl évoque un « cloaque d'antisémitisme et de violences sexuelles ». Le plus grand délit enregistré a été le salut hitlérien. Comment expliquer ces dérives et cette réalité ?

Le recrutement au sein de la Bundeswehr est de mauvaise qualité. Il va porter essentiellement sur des jeunes venant de Länder de l’ex-RDA, là où l’AfD, le parti d’extrême droite, a une forte emprise. Cela s’inscrit dans la continuité des mouvements skinheads et de leurs dérives. Ce type de recrutement va aboutir à de la misogynie, de l’antisémitisme, une virilisation poussée à l’extrême et de nombreuses dérives comme le démontre le rapport. Le recrutement d’origine turque explique aussi en partie ce constat.

Mais la capacité opérationnelle de la Bundeswehr n’est pas très solide.    

Avec la rupture du 24 février et la guerre en Ukraine, Olaf Scholz a décidé d’appliquer une nouvelle méthode, la « Zeitenwende », un changement stratégique complet. Cela représente des investissements de 100 milliards d’euros.

Pour les Allemands, la défense de l’Allemagne est liée à l’OTAN et s’inscrit dans ce cadre particulier avec une relation bilatérale avec les Américains. 30 milliards d’euros de cette enveloppe budgétaire seront destinés à l’acquisition de F-35. L’hélicoptère lourd des forces allemandes est un CH-47 Chinook américain.

A titre de comparaison, la France a une industrie de défense. Or l’Allemagne assure la défense de son industrie. A défaut de pouvoir vendre des Mercedes en Russie, les Allemands vont tenter de vendre des chars aux pays partenaires en Europe. Mais tous les projets franco-allemands patinent. Certains sont même abandonnés. Ce tropisme atlantiste se voit également à la Commission européenne avec Ursula von der Leyen.  

Qu’est-ce que les conclusions du rapport nous disent sur le problème humain et démocratique en Allemagne au sein de l’armée ?

Le risque semble pour le moment assez limité. La démocratie en Allemagne est extrêmement solide. Cela s’explique en partie par la nature fédérale du système politique allemand. Les Länder ont des responsabilités beaucoup plus importantes que nos régions.

Il y a un point extrêmement important qui est évoqué dans le rapport. La Bundeswehr est avant tout une administration. La Bundeswehr est en réalité incapable de se transformer rapidement car il s’agit d’une administration lourde. Il s’agit d’une des conséquences de la construction démocratique de l’Allemagne fédérale. La culture administrative allemande ne constitue pas un vecteur d’agilité et de transformation. Un parallèle peut être fait avec l’industrie automobile allemande qui a tout fait pour reporter la date de 2035 pour la fin des moteurs thermiques.

Contrairement à ce que l’on peut percevoir depuis la France, si l’Allemagne est effectivement très puissante économiquement, elle est très complexe administrativement. Cela constitue un frein pour la modernisation des forces armées allemandes comme le démontre le rapport.   

A l’aune de ce cri d’alerte du Bundestag, le pouvoir allemand va-t-il pouvoir résoudre cette difficulté et endiguer ces dérives et ces menaces au sein des forces armées allemandes ?

La première priorité de l’Allemagne est la défense de l’industrie allemande, y compris militaire, de toute façon. La priorité sera toujours donnée à la dimension industrielle au détriment de la dimension opérationnelle. Pour les Allemands, il est plus important de vendre des sous-marins ou des chars Leopard à l’export que de permettre à la Bundeswehr de mettre en œuvre et de déployer la totalité de ses Leopard ou de ses sous-marins. La priorité en Allemagne est donc donnée à l’industrie et à l’économie au détriment du volet opérationnel. Les évolutions seront donc extrêmement lentes.

La grande question qui se pose et qui sera très politique concerne la coopération industrielle dans le domaine de la défense avec l’Allemagne dans le cadre du Scaf, un accord obtenu entre les industriels sur le projet de Système de combat aérien du futur, et du MGCS, un système de combat pour le char du futur. De très fortes tensions risquent également de se poser avec l’Allemagne sur la question de l’avenir du spatial européen. Les rendez-vous à venir seront extrêmement compliqués.   

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