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Le principe de précaution : le dangereux super-pouvoir des lanceurs d’alerte
©Reuters

Arme fatale

La forte médiatisation ces derniers temps des lanceurs d'alerte n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes, notamment en ce qui concerne le principe de précaution.

Jean-Paul Oury

Jean-Paul Oury, Docteur en histoire des sciences et technologies, auteur de La querelle des OGM (PUF)

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Alors que le Conseil d’Etat vient d’annuler l’interdiction du maïs OGM de Monsanto, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll s’est empressé de rédiger un communiqué pour dire que ce jugement ne sera pas suivi d’effets, et qu’il ne faut pas croire que cela "a pour conséquence de permettre le retour des mises en culture de maïs transgénique en France". En 2014, le même ministre avait invoqué "le principe de précaution" pour motiver l’interdiction, alors que celle-ci avait déjà été suspendue en 2011 et 2013, toujours par le Conseil d’Etat. Une valse-hésitation qui se poursuit depuis 1997, année durant laquelle Alain Juppé, alors Premier ministre, annonça le premier l’interdiction de la mise en culture de semences de maïs transgénique.

Dans un tout autre registre mais sur un mode tout à fait comparable, en 2013, le Conseil d’Etat rejette quatre recours dirigés contre l’arrêté du 4 janvier 2012 généralisant les compteurs intelligents de type Linky, formés par l’association Robin des Toits, l'UFC-Que choisir, ainsi que deux syndicats intercommunaux. A l’époque, comme principal argument, les associations en question avaient dénoncé "une méconnaissance du principe de précaution". Mais pour autant, la polémique contre le compteur intelligent ne s’arrête pas là. Au contraire, elle s’amplifie et malgré cette décision ce sont les communes qui ont repris en main le flambeau de la lutte "anti-Linky". A la tête de ce combat, on trouve Stéphane Lhomme qui affirme dans une interview au journal 20 Minutes : "N’étant pas blindés, ils vont générer des rayonnements nocifs dans toutes les pièces de l’habitation, y compris les chambres des enfants. C’est inacceptable et nous ne l’accepterons pas".  Dans les argumentaires des opposants, on retrouve également le principe de précaution. En effet, la commune de Varennes-sur- Seine, refuse de "déployer Linky sur la commune au nom du principe de précaution face aux effets du courant porteur en ligne (CPL) et des ondes électromagnétiques émises par l’appareil…"

Distincts, ces deux exemples montrent pourtant la même chose : les dégâts de l’introduction du principe de précaution dans la Constitution. En effet, dans La querelle des OGM (PUF, 2006) nous démontrions que la question posée par ce dernier n’était pas de nature scientifique ; et ce car elle interrogeait la science sur la non-prédictibilité de certains événements, faisant sortir celle-ci de son champ d’application pour l’emmener sur le terrain de l’irrationnel en lui réclamant de démontrer l’existence d’un ensemble vide, "le risque zéro". Avec la transposition du principe de précaution dans la Constitution, la société civile dispose désormais d’un outil redoutable pour interroger et mettre en demeure la communauté scientifique en lui posant des questions auxquelles elle ne peut pas répondre, puisqu’elles ne sont pas de son domaine de compétence. Ainsi, n’importe quel quidam peut s’emparer d’un dossier et faire que ses arguments aient autant de poids que ceux d’un laboratoire de recherche de l’INRA ou du CNRS. Et cela marche d’autant mieux que les causes des risques invoqués sont des concepts abstraits dans l’esprit de l’opinion : des gènes, des ondes… Ainsi, lesdits lanceurs d’alerte peuvent à l’infini réclamer aux promoteurs de la technologie des preuves d’innocuité qui - forcément - ne satisferont jamais leurs exigences. De l’impossibilité de démontrer le risque zéro à la diabolisation de la technologie, il n’y a qu’un pas qu’ils franchissent allègrement.

Le principe de précaution n’est-il pas alors devenu le nouveau super-pouvoir du lanceur d’alerte ? Grâce à lui, il peut faire basculer le débat scientifique qui est de l’ordre du rationnel dans l’irrationnel devant des spectateurs médusés, qui observent et ne peuvent qu’acquiescer, convaincus a priori que sa cause est juste. Un super-pouvoir très efficace, puisqu’il a derrière lui la force de la Constitution. Et comme l’État a décidé d’écouter davantage ses lanceurs d’alerte que ses scientifiques, le débat devient de plus en plus déséquilibré. De ce fait, nous venons donc de sombrer dans le pire des relativismes. Celui d’un pseudo-débat où certains affirment être dotés d’un super-pouvoir avec lequel ils peuvent annihiler d’un claquement de doigts des années de recherches et faire s’évaporer des milliards investis dans le développement d’une technologie. Le secteur des biotechs françaises a été la première victime de ce renversement des valeurs. Doit-on attendre désormais que le même scénario se reproduise pour un compteur dont les experts disent qu’il est un vecteur formidable de la transition énergétique ?

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