Le PNR devant le Parlement européen : ces raisons pour lesquelles l'Europe ne parvient pas à s'accorder sur les données des dossiers passagers<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Le PNR devant le Parlement européen : ces raisons pour lesquelles l'Europe ne parvient pas à s'accorder sur les données des dossiers passagers
©Reuters

Dissensions

Ce lundi, le Parlement européen se réunit en session plénière, notamment pour voter la directive PNR (Passenger Name Record). Approuvée dès juillet 2007 par les ministres européens des Affaires étrangères, elle vise à stocker les données des passagers aériens permettant leur traçabilité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Or, cette directive est encore loin de faire l'unanimité, aussi bien entre les députés européens qu'entre les Etats membres de l'UE.

Jérôme Pigné

Jérôme Pigné

Jérôme Pigné est chercheur associé à l’Institut Thomas More et président du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s).

Voir la bio »

Atlantico : Après une année d'attentats en Europe, le fichier PNR européen n'est toujours pas adopté. Pour quelles raisons ?

Jérôme PignéEn réalité la question du fichier PNR ne date pas d'aujourd'hui. La France comme d'autres pays ont émis le souhait d'une directive sur le sujet depuis quatre ou cinq ans déjà. C'est un sujet sensible à Bruxelles car il met le doigt sur un aspect important: le rapport entre sécurité et libertés individuelles. Il ne faut pas se figer sur le temps court car l’Europe a été victime de tragiques attentats depuis plus d’un an. Au contraire, analyser cette situation dans une perspective temporelle plus large nous permet de comprendre que 1) l’Europe n’a jamais été immunisée contre ce type de violences politiques. 2) Les actions politiques émanant de Bruxelles n’ont jamais été choses simples, prennent du temps et sont souvent le fruit de politiques de réaction plutôt que de préemption, malheureusement…

Depuis décembre, le vote de la directive PNR ne cesse d'être retardé au Parlement européen, et notamment par les députés européens de gauche (socialistes, écologistes, etc. ) au nom du respect de la vie privée. Y-a-t-il vraiment une inquiétude à avoir ce sujet au regard de la directive PNR ? 

Il ne doit pas y avoir d'inquiétude outre mesure. Même si le vote de la directive est acté, cela ne résoudra pas tous les problèmes liés à la prévention des risques de terrorisme sur le vieux continent.

C'est une mesure parmi d'autres qui doit faire avancer le débat, mais elle n'est qu'une composante d'un système plus large. Je ne pense pas que la question du PNR soit un risque pour les libertés individuelles. Encore une fois, c'est un outil que nous (nous les citoyens) devons envisager comme renforçant l'architecture de coopération en Europe et non pas comme une mesure liberticide. Par ailleurs, il est vrai que la sensibilité du sujet est également liée à son caractère politique, dans une arène où s’affrontent la droite et la gauche. Il faut moins s’inquiéter du projet PNR que de l’incapacité de la classe politique à être unie face aux menaces sécuritaires.

A l'heure actuelle, seuls 16 Etats européens collectent au niveau national des données PNR, parmi lesquels notamment la France et le Royaume-Uni. Qu'est-ce qui distingue les Etats acceptant ce type de mesure sans (trop de) difficultés et ceux qui y sont réticents ? 

La différence entre les pays qui acceptent le recours au PNR et les autres réside dans le rapport de chaque acteur (en l'occurrence ici des Etats) à la problématique sécuritaire. La France a toujours été en première ligne et pousse pour que la directive soit adoptée car Paris se sent concernée au premier chef par le terrorisme international. Comme d'autres pays, la France a connu le terrorisme sous d'autres formes, par le passé, ce qui explique en partie pourquoi elle considère que c'est un sujet de haute importance. C'est tout d'abord, à mon avis, un problème de perception et de ressenti pour les Etats qui doivent faire accepter à leur opinion publique des mesures parfois mal comprises.

Quelles sont les raisons généralement invoquées par les Etats qui s'opposent à cette mesure (aussi bien à l'échelle nationale qu'européenne) ? Certaines raisons historiques, comme le souvenir de la surveillance de masse sous un régime autoritaire, ne pourraient-elles pas être avancées (notamment pour les pays d'Europe de l'Est intégrés à l'URSS) ? 

Je crois qu'il serait intéressant de sonder, au-delà des gouvernants, les populations des différents pays européens pour comprendre davantage leurs réticences sur le sujet. Evidemment, pour certains c'est lié à l'histoire moderne (contexte de la Guerre froide, régimes autoritaires) et à un sentiment de peur (retour en arrière sur la question de la démocratie). Chaque acteur agit et réfléchit en fonction de son vécu, de son histoire, de ses valeurs, de ses intérêts. Cela conditionne le débat politique européen! Toutefois, cette réticence ne doit pas éclipser le véritable problème de la sécurité aujourd’hui en Europe, qui est de construire une architecture de paix et de stabilité à l’intérieur et au-delà des frontières du continent. Autre élément important, c’est le continuum entre sécurité et défense. Enfin, la façon dont l’Europe s’est emparée du débat sur l’immigration est un enjeu considérable qui crispe les populations, surtout en Afrique et au Moyen-Orient. L’un des problèmes de l’Europe et de ses Etats-membres c’est de se laisser submerger par l’émotion, d’agir dans la précipitation, tomber dans le piège de la surmédiatisation et de la surpolitisation du débat. 

Ces dissensions ne révèlent-elles pas, une nouvelle fois, le morcellement de l'Europe (en raison des divergences culturelles, politiques, historiques, etc. entre les Etats membres) ? Quels dangers cela représente-t-il à terme, notamment en ce qui concerne la sécurité de nos pays ? 

Je ne sais pas si l'on doit parler de "morcellement" de l'Europe mais une chose est sûre, comme indiqué précédemment, il y a des divergences entre acteurs européens et ceci est lié à la nature et à l'évolution des pays qui composent aujourd'hui l'Union européenne. L'enjeu réside, selon moi, dans notre capacité, en tant qu'européens, à développer un sens commun des menaces qui nous entourent et à appliquer, en conséquence, des mesures sécuritaires qui garantissent à la fois notre sécurité et préservent nos libertés.

Rappelons tout de même que rien n’est simple à 28. Pour autant, la construction européenne, notamment dans sa dimension politique, est un travail de longue haleine. Il est vrai que la situation que nous vivons aujourd'hui rappelle les fragilités propres de l’Union mais elle crée également des opportunités pour faire avancer ladite construction. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !