Le parentage (partage obsessionnel des photos de leurs enfants par les parents) est beaucoup plus dangereux qu’ils l’imaginent<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon une étude, 53% des parents ont partagé des contenus sur leurs enfants
Selon une étude, 53% des parents ont partagé des contenus sur leurs enfants
©AFP - NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS

Danger réel

Selon une étude de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, 53% des parents ont partagé des contenus sur leur enfant et le cas échéant, 91% de ces parents l'ont fait avant que leur progéniture ait atteint l'âge de cinq ans.

Jean-Paul Pinte

Jean-Paul Pinte

Jean-Paul Pinte est docteur en information scientifique et technique. Maître de conférences à l'Université Catholique de Lille et expert  en cybercriminalité, il intervient en tant qu'expert au Collège Européen de la Police (CEPOL) et dans de nombreux colloques en France et à l'International.

Titulaire d'un DEA en Veille et Intelligence Compétitive, il enseigne la veille stratégique dans plusieurs Masters depuis 2003 et est spécialiste de l'Intelligence économique.

Certifié par l'Edhec et l'Inhesj  en management des risques criminels et terroristes des entreprises en 2010, il a écrit de nombreux articles et ouvrages dans ces domaines.

Il est enfin l'auteur du blog Cybercriminalite.blog créé en 2005, Lieutenant colonel de la réserve citoyenne de la Gendarmerie Nationale et réserviste citoyen de l'Education Nationale.

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Atlantico : Une inquiétude se développe autour de la tendance des parents au "sharenting", ou "parentage". De quoi s'agit-il exactement ? 

Jean-Paul Pinte : La dimension interactive des réseaux sociaux est indéniable. Dans un monde largement conditionné par les images, où ce qui n'est pas vu ne semble pas exister, les réseaux sociaux occupent un espace énorme et irremplaçable dans la vie de nombreuses personnes. Le sharenting, terme né de l'union du partage et de la parentalité, est l'acte de divulguer sa vie privée sur les réseaux sociaux afin de montrer au monde une certaine image du quotidien de la personne qui poste le contenu et de ses enfants (qui peut inclure des photos, des vidéos, des données et/ou des déclarations sentimentales).

Alors que les préadolescents et les adolescents utilisent plus que jamais les médias sociaux, leur présence en ligne commence souvent avant même qu'ils ne puissent dire « TikTok ». De nombreux parents commencent à partager des informations sur leurs enfants dès qu'ils ont pris leur première photo d'échographie, et cela ne s'arrête pas là. Au moment où les enfants ont 18 ans, une moyenne de 70 000 informations à leur sujet sont disponibles en ligne.

L'implication des parents est indéniable à cet égard, car ce sont souvent eux qui finissent par révéler des aspects de la vie personnelle de leurs enfants qu'ils ne devraient pourtant pas divulguer.

Le Sharenting est donc devenu progressivement une tendance à publier sur les réseaux sociaux des images de ses enfants a un nom : le sharenting, contraction de deux mots anglais sharing (partager) et parenting (parentalité). Pour Bruno Studer, député Renaissance du Bas-Rhin, ce phénomène constitue surtout un des principaux risques d’atteinte à la vie privée des mineurs. Pour garantir le respect du droit à l’image des enfants, l’élu a déposé une proposition de loi, mi-janvier. Le texte sera examiné lundi 6 mars à l’Assemblée nationale, en première lecture.

« Ce sont des photos qui peuvent être l’objet de mésusages de type pédopornographique, ou donner lieu à du harcèlement dans le cadre scolaire », explique Bruno Studer. Les parents perdent alors le contrôle sur la diffusion de leurs images.  

Cependant cette pratique conduit à une énorme quantité de fraudes. C'est une bonne raison de ne pas publier d'anecdotes charmantes sur nos enfants. Mais pour de nombreux parents, le partage semble encore être le moyen le plus rapide et efficace de tenir les amis et la famille au courant…

Quels sont les risques ? A court mais surtout à long terme pour les enfants qui se retrouvent ainsi exposés ?

53% des parents ont partagé des contenus sur leur enfant et le cas échéant, 91% de ces parents l'ont fait avant que leur progéniture ait atteint l'âge de cinq ans. 

L'Assemblée Nationale s’est donc penchée tout récemment sur une proposition de loi visant à réguler le "sharenting"  tant le phénomène présente de plus en plus de risques.

Dans le même ordre d’idée, cette pratique est de plus en plus courante, a révélé l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique, dans une étude* en date du 6 février dernier.

Selon la Federal Communications Commission (FCC), plus de 95 000 personnes ont signalé environ 770 millions de dollars de pertes dues à des cas de fraude liés aux médias sociaux rien qu'en 2021. Les experts en sécurité de Barclays affirment que les deux tiers des cas d'usurpation d'identité affectant les personnes de plus de 18 ans ne résulteront pas de leur propre utilisation des médias sociaux, mais de ce que leurs parents ont partagé à leur sujet.

Les publications sur les réseaux sociaux donnent des informations aux criminels et aux personnes malhonnêtes et deviennent des données intelligentes pour les cybercriminels.

Ainsi on peut apprendre beaucoup sur l'école où étudient les enfants, sur leurs habitudes comportementales, sur les lieux et les moments où on est en congés (ce qui peut encourager les criminels ou les cambrioleurs à cambrioler la maison familiale étant au courant qu'il n'y a personne), etc.

Les enfants n'ont que très peu conscience aussi de ce que cela implique et, dans la plupart des cas, ne sont pas informés ou consultés sur les conséquences de cette pratique. Ce n’est que plus tard, quand ils découvriront leur ADN numérique et qu’ils sauront comment le cartographier ou retrouver toutes leurs traces qu’ils mesureront mais trop tard les véritables risques et répercussions sur leur recherche d’emploi, leur vie sentimentale et encore bien d’autres traces devenues indélébiles ou presque…

Dès le très jeune âge ils n’ont pas conscience de la notion de consentement qui est aujourd’hui importante dans la protection de leurs données personnelles et des risques de cyberharcèlement qui trouvent dans cette pratique un terreau sans précédent !

Notons ici pour conclure quelques principaux risques autour du Sharenting :

  • Disparition de la confidentialité et de la vie privée. En partageant la vie de nos enfants, nous exposons une vie privée qui, en réalité, leur appartient.
  • Cyberbullying. Avec le sharenting, nous pourrions favoriser -sans le vouloir- le harcèlement ou l’intimidation par internet car nous facilitons l’accès à nos informations et à celles de nos enfants.
  • Grooming. Une pratique de harcèlement pourrait se mettre en place à travers les réseaux sociaux.
  • Utilisation du contenu à des fins sexuelles. Des messages sexuels pourraient être envoyés à travers les réseaux et inclure le contenu que nous avons publié sur nos enfants.

Certaines applications essaient de trouver des solutions à ces problématiques. Une solution technique est-elle possible ?

On peut citer en France aussi un certain nombre d’applications qui permettent de réduire la propagation involontaire et méconnue de données et d’images sur les réseaux comme Family album où il est possible d’administrer et de modérer les acteurs autour d’un cercle familial.

Ces exemples se révèlent payantes dans le temps, c'est ce que l'on peut vérifier à l'usage et c'est parfois la perte de photos ou autres désagréments qui entrent en ligne de compte pour la famille...

Dans tous les cas si  vous décidez de publier des images de votre enfant, il y aura toujours quelques principes à suivre pour protéger votre enfant sur le Web.

  • Informez-vous sur les paramètres de confidentialité des contenus publiés : qui a accès aux partages, qui en est le propriétaire, etc. 
  • Ne partagez pas des photos de votre enfant dénudé. 
  • Ne renseignez pas le lieu des photos. 
  • Sélectionnez qui a accès à vos publications : vous pouvez mettre vos comptes en privé pour que seules les personnes sélectionnées voient ces photos.
  • Au fur et à mesure que votre enfant grandit, intégrez-le dans le processus de diffusion de son image : demandez-lui s’il est d’accord pour que cette photo soit publiée, etc. 

Qu'en dit le droit ?

En droit, selon la Cour de cassation, « toute personne a sur son image et sur l’utilisation qui en est faite, un droit exclusif et peut s’opposer à sa diffusion sans son autorisation ». L’utilisation ou la diffusion de l’image d’autrui suppose donc son consentement. Lorsque la personne qui apparaît sur l’image est mineure, il est nécessaire de recueillir l’autorisation des titulaires de l’autorité parentale. Ainsi, ce sont normalement les parents qui vont autoriser la publication de photographies ou d’informations intimes concernant leur enfant, voire son inscription sur un réseau social. Quand il s’agit de s’opposer à une atteinte, l’exercice des actions judiciaires appartient aux représentants légaux.

Nous avons connu des procès « people », dans lesquels les parents ont engagé la responsabilité de ceux qui avaient violé l’intimité de leurs enfants mineurs, sur le fondement du droit à l’image et du droit au respect de la vie privée et familiale.

L’atteinte est sanctionnée par l’attribution de dommages et intérêts et/ou par la prescription par le juge de toutes mesures visant à faire cesser l’atteinte.

Toute la difficulté du « Sharenting » est qu’ici, ce sont les parents, qui sont censés assurer la protection de l’enfant, qui sont à la source de la violation du droit à l’image et du respect de la vie privée de l’enfant.

Même séparés, les parents continuent d’exercer conjointement l’autorité parentale sur leurs enfants mineurs. Ils se doivent de les protéger dans leur sécurité, leur santé et leur moralité.

Pour garantir le respect du droit à l’image des mineurs, le député Renaissance Bruno Studer a déposé une proposition de loi. Est-ce la bonne manière de procéder ? 

Des députés de la majorité, dirigés par Bruno Studer, ont déposé une proposition de loi, le 19 janvier 2023, qui entend « garantir le respect du droit à l'image des enfants » et sanctionner les parents abusifs. 

Dans son texte, Bruno Studer indique qu'en moyenne un enfant « apparaît sur 1300 photographies publiées en ligne avant l'âge de 13 ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches ». Si ce nombre varie selon la notoriété des principaux intéressés, le phénomène comporte de nombreux risques, rappelle le député. D'abord, celui de la diffusion de ces images dans des cercles pédophiles, ensuite, celui de nuire à leur santé mentale. «L'exposition excessive des enfants au jugement de tiers sur internet, la course aux likes et autres appréciations peuvent générer des problèmes psychologiques, notamment dans l'acceptation de soi et de son image. Le cyberharcèlement y trouve un terreau fécond», lit-on dans la proposition de loi, qui sera examinée en mars.

Le texte alerte aussi sur le phénomène du « sharenting », la contraction des deux termes « sharing » (partager) et « parenting » (parentalité), qui consiste pour les parents à publier sur leurs comptes des contenus relatifs à leurs enfants. Le procédé a été démocratisé lors du confinement avec de jeunes parents influenceurs. Une tendance constituant «l'un des principaux risques d'atteinte à la vie privée des mineurs». Le texte indique notamment que, selon un rapport du National Center for Missing and Exploited Children datant de 2020, «50 % des photographies échangées sur les forums pédopornographiques (cette année 2020, NDLR) avaient été initialement publiées par les parents sur leurs réseaux sociaux ».

« Certaines images, notamment les photographies de bébés dénudés ou de jeunes filles en tenue de gymnastique intéressent tout particulièrement les cercles pédophiles », lit-on plus loin. Outre cela, les députés de la majorité présidentielle pointent « l'existence de pratiques humiliantes ou dégradantes filmées par les parents eux-mêmes ». En guise d'exemple, celui du cheese challenge, consistant à lancer une tranche de fromage à fondre sur un bébé ou un animal de compagnie. « Titulaires de l'autorité parentale et à ce titre, du droit à l'image de l'enfant, les parents en sont à la fois les protecteurs et les gestionnaires », martèle Bruno Studer. Le député dénonce également la capitalisation de certains parents sur l'image de leur(s) enfant(s), due à « l'avènement d'une économie de l'influence ».

Par ailleurs, quatre adolescents sur dix (1) estiment que leurs parents les exposent trop sur internet, détaille le texte. « De nombreux témoignages concordants, recueillis sur le terrain par des associations, font état de la dissonance cognitive dans laquelle sont placés les enfants, qui préféreraient souvent ne pas être ainsi mis en valeur par leurs parents ».

La proposition de loi, si elle est acceptée, consistera à « introduire la notion de vie privée dans la définition de l'autorité parentale » et à préciser que l'exercice de ce droit devra être exercé en commun par les deux parents. Le texte poursuit un travail entamé deux ans auparavant avec la loi de 2020 sur les « enfants influenceurs ». Celle-ci avait déjà pour vocation de combler le vide juridique qui entourait « l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne ».

Toutes ces préconisations ne sont pas les seules à mettre en place car ce qui manque depuis longtemps c’est le manque de culture à savoir représenter sa propre identité numérique sure la toile et une éducation des parents à l’impact des réseaux sociaux et de leur utilisation abusive à propos de leur progéniture dès leur plus jeune âge.

Il suffit de taper "enfant" ou même " #MumTok " sur des applications de médias sociaux telles que TikTok pour trouver des posts de parents partageant des vidéos et des photos de leurs enfants. 

L'un de ses articles qui pourrait être utile vise à rendre les parents responsables du respect de la vie privée de leurs enfants en ligne et, dans les cas les plus extrêmes, un juge des affaires familiales pourrait même retirer à un parent le droit de partager des images de son enfant, s'il le juge excessif ou préjudiciable.

"Les parents doivent être conscients des risques potentiels qui peuvent survenir si d'autres personnes utilisent des photos ou des vidéos de leurs enfants,explique Anja Stevic,  chercheuse en communication à l'université de Vienne. Et bien sûr, les risques concernent surtout l'éthique ou le vol d'images à des fins très malveillantes en ligne".

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