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Le paradoxe de la sécurité routière en 2016 : les Français de plus en plus prudents, mais toujours plus nombreux à mourir d’accidents
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Lever le pied ne suffit pas

A en croire le 12è baromètre AXA Prévention, alors que les Français sont de plus en plus prudents et abandonnent progressivement leurs mauvais comportements, le nombre de morts sur les routes a augmenté de 14% en 2016.

Philippe Vénère

Philippe Vénère

Philippe Vénère a été policier pendant 40 ans. Ce grand spécialiste français du doit des automobilistes a été notamment commissaire divisionnaire et officier du ministère public du tribunal de police de Paris de 1992 à 1996. Il a également enseigné à Paris 8 où il a effectué plusieurs travaux de recherche sur la délinquance des mineurs.

Il a publié Manuel de résistance contre l'impôt policier (J'ai lu / mars 2011) et Les flics sont-ils devenus incompétents ? (Max Milo / septembre 2011)

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Atlantico : Le douzième baromètre AXA Prévention relatif au comportement des Français au volant en 2016 fait état d'une plus grande prudence de la part des Français (moins d'alcool, moins de téléphone..). Pourtant, le nombre de morts sur la route a augmenté de 14% le mois dernier. Comment expliquer ce paradoxe ?

Philippe Vénère : L’association 40 Millions d’automobilistes souligne aussi la meilleure conduite des automobilistes, mais tempère son propos par le fait qu’à la suite de baisses sensibles chaque année depuis plusieurs décennies, il y a des « rechutes » prévisibles, même si elles sont de faible importance. Nous sommes probablement dans cette hypothèse, mais il convient d’examiner plus en détail la circulation routière de notre territoire. L’accent a été mis sur la multiplication de radars et l’on ne peut dénier que les automobilistes veillent à ne pas tomber dans les pièges multiples  tendus par la mise en place des radars. Si conduire moins vite, veut dire meilleure conduite, c’est tirer une conclusion bien hâtive. On peut être attentif quand on conduit à 135 km/h sur autoroute et distrait ou relâché à 120. Je laisse le soin à chacun de tirer sa conclusion.  Et c’est bien à cause de comportements dangereux que l’on doit cette augmentation de la mortalité, mais ils ne sont pas détectés par les radars. Et c’est surtout cette certitude qui est cause du sentiment que l’on ne sera pas pris. Il n’y a pas de forces de l’ordre au bord des routes ou très peu, alors la voie est libre à de nombreuses incivilités, souvent dangereuses. Je roule  encore beaucoup et j’ai privilégié l’autoroute, car notre réseau autoroutier est le plus sûr d’Europe et pourtant, que d’infractions y sont commises. Disons que l’on a plus de temps pour réagir, alors que sur le réseau routier normal c’est le « carton » assuré. Et là, ni radars, ni forces de l’ordre. Je rappelle que c’est ce réseau routier qui est le plus accidentogène, mais le plus délaissé.

A qui incombe la responsabilité de ce triste résultat ? Faut-il y voir les fruits d'une concentration sur la lutte contre les excès de vitesse au détriment d'autres comportements à risque ? Que dire des mesures prises pendant ce quinquennat ?

La responsabilité en incombe aux pouvoirs publics certes, sans oublier aux automobilistes, bien sûr. L’erreur fondamentale  est que le gouvernement ne voit que par les radars, au détriment de toutes les autres infractions qui au final, sont cause de 75% du reste de la mortalité routière. Le gouvernement empile des mesures tel un mille-feuille, mais sans grand résultat. Trop de technocrates sont aux manettes et réglementent dans le calme de leurs bureaux, sans connaître la réalité de la route. Ils se nourrissent de statistiques, de courbes et pensent qu’ils sont en mesure d’avoir les bonnes solutions.

Et puis, il y a les questions qui fâchent parce qu’elles impliquent des dispositions financières et elles sont tout simplement occultées. Si nous avons de bons tronçons de routes, il y a un réseau routier qui exige d’être rénové et sécurisé. Trop de communes sont en charge de leurs voies, avec une baisse sensible des dotations de l’Etat. Alors on bouche des trous, on ne refait pas. J’ai trop d’exemples de ce type pour incriminer les municipalités ou des départements.

Si vous additionnez une conduite dangereuse et un mauvais réseau routier vous avez le résultat que nous connaissons aujourd'hui.

Pour la première fois, le baromètre AXA Prévention mesure également le sentiment de sécurité "relatif" au réseau routier emprunté et au lieu dans lequel on circule. Dans quelle mesure s'agit-il d'une véritable avancée en matière de prévention et de sécurité routière ?

Sur le sentiment de sécurité « relatif » que ressentent les automobilistes sur le réseau routier, je dirais qu’il se manifeste sur les autoroutes, sans conteste, mais sur le reste du réseau je suis convaincu du contraire. Il n’y a pas d’avancée, selon moi, en matière de prévention et de sécurité routière. Sur les autoroutes il y a un service permanent d’entretien et de surveillance qui n’a rien à voir avec les pouvoirs publics. Il en va tout autre pour le reste du réseau, comme je viens de l’expliquer. Qu’il y ait un renforcement significatif du réseau routier (séparation des pistes cyclables des chaussées utilisées par les voitures, ponts et passages protégés pour les piétons en zones suburbaines, doublement des voies à deux chaussées à grande circulation, mise place d’une signalisation routière qui ne puisse pas être occultée, retrait des obstacles fixes aux bord des routes [présents dans  35% des accidents mortels], etc.). Le sentiment de sécurité est aussi la conséquence d’une amélioration sensible de la technologie automobile telle que la détection des obstacles, la correction de trajectoire, etc. Je ne vois pas l’influence des pouvoirs publics dans ces avancées. Toutefois, je reconnais qu’il y a des avancées sensibles… mais privées.

Comment faire baisser le nombre de morts sur la route aujourd'hui ? En dépit d'un arsenal pourtant conséquent, la France peine à y parvenir… Que faudrait-il revoir dans notre approche ?

Nous avons un Code de la route tellement complet et multiple que mêmes les forces de l’ordre ne sont plus en mesure de le connaître entièrement, mais si je cite ce point pour l’anecdote, je suis convaincu que c’est une présence renforcée de forces de l’ordre au bord des routes qui peut avoir une influence sensible sur les mauvais comportements routiers. Et si l’on dédiait des bien plus de patrouilles mobiles, là il y aurait un  vrai résultat. La conduite sous l’empire de l’alcool et des stupéfiants est à l’origine de près de 50% des accidents mortels. Il me semble qu’il y a matière à agir. Simplement on ne peut demander à nos effectifs policiers actuels d’en faire encore plus. Il faut une police routière digne de ce nom, suffisamment étoffée, à l’instar d’autres pays européens et qui n’a pas d’autres missions à accomplir. Alors qu’aujourd’hui ce n’est pas ce qui existe.

Quant à l’ineptie de confier la gestion des radars mobiles à des sociétés privées, l’Etat ne va sûrement pas dans le bon sens. Il veut gagner de l’argent, pas en dépenser. Il y aura encore moins de policiers ayant compétence pour intervenir sur nos routes, mais plus d’employés privés chargés de piéger les automobilistes en photographiant des plaques minéralogiques. Affligeant !

Sans compter la disqualification de conduite sans permis du délit en contravention. Ceux qui n’ont pas de permis de conduire sont, par essence, dangereux et ceux à qui on l’a retiré, c’est parce qu’ils ont prouvé leur dangerosité. Là où la sévérité doit être accentuée, on préfère une amende. Plus facile à recouvrer, donc plus rentable qu’une comparution en correctionnelle. Cherchez l’erreur !

Il y a bien sûr une vaste entreprise de formation et de prévention à mettre en œuvre auprès des jeunes, même des très jeunes, pas seulement pour leur faire connaître le code de la route, mais les convaincre des comportements routiers qu’il faut bannir, alcoolémie et toxicomanie  principalement. 

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