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Le nouveau rêve américain, ou pourquoi le mythe du super-héros blanc est révolu aux États-Unis
©Reuters

Bonnes feuilles

Une enquête sur les mutations économiques et sociales que traversent la démocratie et la population américaine en 2014. L'auteur pointe la crise économique, l'explosion des minorités, l'importance des femmes qui gagnent en droits, en statut et en autonomie, et le recul de la domination du "mâle blanc". Extrait de "Un nouveau rêve américain", de Sylvain Cypel, aux éditions Autrement (1/2).

Sylvain  Cypel

Sylvain Cypel

Sylvain Cypel est journaliste, spécialiste des Etats-Unis. Après avoir été rédacteur en chef de Courrier International, il a été le correspondant du Monde à New-York. Aujourd'hui, il collabore à l'hebdomadaire le 1 et au site d'information Orient XXI. Il a notamment publié Les emmurés (La Découverte, 2004).

 

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Alors que des différences notoires traversent les rangs de ses partisans sur les enjeux internationaux – le Tea Party réunit des protectionnistes comme des partisans de la mondialisation économique, des « impérialistes » comme des isolationnistes –, ils apparaissent beaucoup plus unis sur les enjeux économiques et sociaux américains. L’« homme blanc en colère », que le Tea Party va incarner (l’humoriste médiatique Jon Stewart l’appellera « un festival de Blancs »), focalise son animosité, et même sa rage, sur « Washington », la capitale fédérale perçue comme le coeur de la décadence, de la gabegie et des restrictions imposées à sa propre liberté. Il est aussi favorable à une réduction drastique de la dette publique et prône l’abolition massive des soutiens publics aux plus défavorisés, ces paresseux qui n’ont au fond que ce qu’ils méritent. Bien entendu, il soutient la peine de mort, récuse toute limitation des ventes libres d’armes à feu, s’oppose au mariage homosexuel et il est le plus climato-sceptique de tous les Américains.

Caractéristique supplémentaire de ce Blanc disposé à « laisser mourir » ceux avec qui il refuse de « partager » : il vénère la Constitution américaine de 1787, celle des pères fondateurs, qu’il brandit à tout propos. On ne s’en étonnera pas forcément, vu que cette Constitution, par ailleurs très progressiste pour l’époque sur bien des plans, validait l’esclavage, rendait les Indiens invisibles et garantissait aux seuls hommes blancs un libre accès à la propriété sans restriction. Mais cette même Constitution a aussi évolué, ce que les partisans du Tea Party feignent d’ignorer. Ainsi, certains d’entre eux appellent à refuser la nationalité aux enfants des illégaux nés sur le territoire américain, autrement dit à abolir le droit du sol, l’un des fondements de l’Amérique contemporaine, garanti par le 14e amendement adopté en 1868. D’autres exigent que les extraits de naissance soient refusés à quiconque ne peut justifier d’une résidence légale aux États-Unis. Bref, la vénération de la Constitution, comme il en est du rapport à toute bible, ne sert ici qu’à conforter ses propres présupposés. Car les partisans du Tea Party estiment aussi que l’immigration « change en mal la culture américaine3 »

« Peu importe le degré de progrès réalisé depuis, l’adhésion aux maux des premiers jours de l’Amérique n’est jamais loin sous la surface. Il y a toujours trop de visages basanés au goût d’une majorité de Blancs4 », écrivait Margaret Kimberley, éditrice du Black Agenda Report, dès le lancement du Tea Party. Elle avait tort sur un point : une majorité de Blancs n’adhère pas à ces idées-là. Mais elle avait raison sur un autre : ainsi va l’état d’esprit du membre du Tea Party. Qui est-il ? Celui-ci vit beaucoup plus dans les petites bourgades blanches que les grandes métropoles, il est très réactionnaire et se perçoit d’abord comme une victime. Le prisme par lequel passe son regard sur son environnement est celui de la menace. Il serait, lui, la principale cible d’un changement qu’il n’a pas souhaité, qui a dégradé l’American Way of Life, la manière de vivre qu’il a bâtie, et qui dévalorise son statut. On pourrait s’en gausser, tant la réalité est contraire. Durant la crise, les non-Blancs ont été beaucoup plus touchés que les Blancs. En juillet 2011, le centre Pew publiait une vaste étude sur l’impact de la crise sur les revenus et le patrimoine des Américains5. Il en ressortait qu’en termes de patrimoine médian – soit les avoirs (logement, véhicule, épargne…) amputés des dettes –, entre 2005 et 2009, celui d’un Blanc avait chuté de 16 %. Sur la même période, le patrimoine d’un Hispano-Américain avait chuté de 66 %, celui d’un Asiatique d’origine de 54 %, celui d’un Afro- Américain de 53 %. Bref, tous les autres ont vu leur richesse se réduire trois à quatre fois plus que celle des « Blancs seulement ». Mais rien n’y fait : l’homme blanc en colère se perçoit comme la seule vraie victime. Tous les autres sont des « profiteurs » avec lesquels il refuse de « partager ».

Extrait de "Un nouveau rêve américain", de Sylvain Cypel, 2015, publié aux éditions Autrement. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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