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Les présidents chinois et turc sont deux exemples de leaders nationalistes-capitalistes autoritaires.
Les présidents chinois et turc sont deux exemples de leaders nationalistes-capitalistes autoritaires.
©WANG ZHAO / AFP

Danger

Le national-capitalisme autoritaire, qui associe l'autoritarisme politique, une logique économique capitaliste et un système de légitimation par l'invocation de valeurs partagées, a bénéficié de l’affaiblissement du modèle occidental de capitalisme démocratique. Il le menace désormais frontalement.

Ahmet Insel

Ahmet Insel

 

Ahmet Insel est un économiste et politologue turc, enseignant en France et à l'Université de Galatasaray.

 

 

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Pierre-Yves Hénin

Pierre-Yves Hénin

Pierre-Yves Hénin est un économiste. Reconnu pour ses travaux et l'animation de groupes de recherche en macroéconomie, il a présidé l'université Paris I Panthéon-Sorbonne de 2004 à 2009. Depuis, il a élargi ses champs de recherche, notamment à l'histoire militaire. 

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Atlantico : Vous venez de publier "Le national-capitalisme autoritaire : une menace pour la démocratie" (éditions Bleu Autour). Qu'est ce que le national-capitalisme autoritaire ? 

Pierre-Yves Hénin et Ahmet Insel :Le national-capitalisme autoritaire -ou NaCA- est un système d’organisation politico-économique qui associe :

-une forme d’autoritarisme politique, allant des « démocraties illibérales » de l’Europe Centrale et orientale à la dictature « orwellienne » chinoise, avec une caractéristique commune : la dissolution de la séparation des pouvoirs et surtout la suppression de l’indépendance de la justice, le muselage des médias et des ONG indépendants, et le maintien tronqué des élections, voire leur suppression de fait.

-une logique économique capitaliste, avec des frontières floues entre public et privé, favorisant un « capitalisme de connivence » dans lequel la corruption au sens large est une composante inhérente au système renforcée par une logique néopatrimoniale qui permet de tisser des alliances et des mécanismes de contrôle;

-un système de légitimation par l’invocation d’un socle de valeurs partagées, en général définies par l’appartenance à une communauté ethno-nationale et le rejet des valeurs universelles et de la légitimité des institutions supranationales.

Ces trois grandes caractéristiques sont partagées par la plupart des régimes autoritaires contemporains, qu’ils relèvent d’une logique de « NaCA institués », comme la Chine, la Russie ou sans doute aujourd’hui la Turquie, ou de formes moins marquées, en transition ou en hybridation, comme la Hongrie de Viktor Orban.

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Cette capacité à appréhender une grande variété d’expériences nationales spécifiques dans un concept englobant est -à notre avis- un apport essentiel de notre ouvrage.

La notion de national-capitalisme autoritaire semble avoir surgi après l’élection de Trump comme un pendant du nationalisme-socialisme au XXIème siècle. Ce mode d’organisation politique et sociétal a-t-il encore un avenir après la présidence Trump ? L’ancien président américain a-t-il réussi à exporter le concept ? 

C’est dans une perspective particulière que Christian Saint-Etienne qualifie le national-capitalisme de Trump de pendant du national-socialisme du 20ème siècle. Dans notre analyse, le Trumpisme représente un cas limite de conservatisme occidental « contaminé » par la logique des NaCA.

L’enjeu de l’après-Trump porte sur la survivance au sein du parti républicain d’un courant populiste partageant cette logique autoritaire et nationaliste.

Trump a certes encouragé l’autoritarisme et apporté son soutien à des régimes populistes, en Pologne, en Hongrie et au Brésil, mais il n’était pas un exportateur du modèle qu’il n’a pas pu faire prévaloir aux Etats-Unis. La capacité de résilience des institutions démocratiques et l’ancrage des valeurs démocratiques dans la société sont des facteurs susceptibles de faire échouer l’institutionnalisation du projet national-autoritaire, comme l’a montré les évolutions aux Etats-Unis même après les élections du 6 novembre 2020. Ailleurs, même si une certaine résistance de la société civile perdure, l’héritage autoritaire, la fragilité des institutions démocratiques, une culture politique rejetant la pluralité des opinions et des valeurs, ont facilité le glissement vers une forme de NaCA. Mais il n’existe pas de dynamique spécifique d’exportation du modèle de NaCA. Sa diffusion procède surtout par imitation, par inspiration dans des conditions locales propices.

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Le modèle libéral et démocratique occidental a-t-il atteint ses limites en laissant apparaître le national-capitalisme autoritaire ? 

Le développement des NaCA a certes bénéficié de l’affaiblissement du modèle occidental de capitalisme démocratique. L’apparition de ce modèle tient cependant à des facteurs spécifiques, en particulier dans des pays ex-communistes.

En Chine en particulier, la brutale répression de Tienanmen a bloqué l’expérience de libéralisation, bien avant que s’esquisse un véritable processus de démocratisation. Le régime a alors changé son discours de légitimation, de l’idéologie marxiste d’une libération de l’exploitation capitaliste à un discours nationaliste de restauration d’un statut historique de puissance hégémonique avec en son centre le parti communiste chinois.

En Russie, une même évolution est intervenue après la phase mal maitrisée de libéralisation rapide dans la période Eltsine. La reprise en main opérée par Poutine a fait basculer le pays dans un régime national-capitaliste autoritaire.

Dans d’autres PECO de l’ancien bloc de l’Est, la transition a été à la fois plus tardive et plus partielle.

Une expérience antérieure, anticipant le NaCA, a été constituée par le modèle de développement de Singapour, lui-même inspiré du Japon, et repris comme modèle par la Chine sous Deng Xiaoping.

La Turquie d’Erdogan est un autre exemple de NaCA qui ne procède pas de l’échec de la transition post-communiste, mais de l’échec du processus d’adhésion à l’UE et sa dérive autoritaire s’alimente d’une sorte de Kulturkampf qui perdure depuis un siècle et s’accélère avec l’épuisement de la croissance.

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Face à la confrontation de l’Occident avec la Chine actuelle, le national-capitalisme autoritaire est-il une dérive occidentale ou une réponse ?

Dans la confrontation actuelle de l’Occident avec la Chine, le national-capitalisme autoritaire est un atout pour la Chine. Exemple type du succès de ce modèle, la Chine est vue avec faveur par divers régimes autoritaires. Ces dernières années, le dispositif dit 17+1 avait permis à la Chine d’associer 17 pays européens, dont 12 membres de l’UE à un programme de coopération. Certes depuis deux ans, un nombre important de pays signataires de ce dispositif ont commencé à remettre en cause leur coopération avec la Chine mais le duo Hongrie, Serbie et dans une moindre mesure la Grèce, continue à fournir une base opérationnelle pour la Chine au cœur de l’Europe. Le national-capitalisme autoritaire est une dynamique avant tout endogène aux pays et se présente sous une variété relativement large.

La confrontation avec la Chine va donc se doubler d’une rivalité des modèles, exigeant du modèle occidental qu’il soit capable de renforcer son attractivité sur le plan politique comme sur le plan économique. Dans le même temps, les limites des NaCA peuvent apparaître, par exemple dans leur capacité à maintenir les incitations à entreprendre et à investir dans des pays qui deviendraient plus dirigistes et antidémocratiques. Par ailleurs la plupart des NaCA, à part la Chine, en procédant par la désinstitutionalisation, affaiblissent considérablement leur capacité de gestion interne. La question de la stabilité à long terme de ces régimes reste ouverte.

Pierre-Yves Hénin et Ahmet Insel ont publié "Le national-capitalisme autoritaire : une menace pour la démocratie" (éditions Bleu Autour)

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