Le ministre des finances allemand se félicite de la résilience avec laquelle son pays a amorti le choc en énergétique. Faut-il le croire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre des Finances allemand Christian Lindner
Le ministre des Finances allemand Christian Lindner
©THOMAS KIENZLE / AFP

Economie allemande

En Allemagne, le ministre des Finances Christian Lindner s'est félicité de la résilience avec laquelle son pays a amorti le choc énergétique.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Le ministre des finances allemand s’est félicité il y a quelques jours de la résilience avec laquelle son pays a amorti le choc énergétique. Comment comprendre cette déclaration ? Quelles ont été les mesures prises jusqu’alors par le gouvernement pour lutter contre l’inflation ? Est-ce suffisant pour parler de résilience ?

Rémi Bourgeot : Face à la flambée des coûts énergétiques, le ralentissement économique est pour l’instant moins prononcé que prévu et les économistes allemands se mettent à espérer une simple stagnation cette année. La résilience résulte d’un côté de la diversification des sources dans l’urgence (diversification géographique, prolongation dans l’urgence de centrales nucléaires, accroissement supplémentaire du recours au charbon), mais aussi de la stabilisation des marchés mondiaux de l’énergie depuis le pic de l’été dernier. La baisse de la consommation énergétique constitue un autre facteur important. Cette baisse est à la fois le fait des ménages et des entreprises, avec une baisse de production industrielle encore limitée à 1% environ depuis début 2022. 

En chef de file de la tradition ordolibérale, Christian Lindner insiste moins sur une vision des forces industrielles que sur les effets vertueux des modalités techniques du programme de subventions de 200 milliards d’euros, censées éviter les distorsions d’incitation sur le marché de l’énergie. En évoquant les distorsions il conviendrait naturellement d’évoquer aussi celles entre pays du point de vue de la compétitivité, les pays se retrouvant dans des situations très inégales en ce qui concerne les moyens de soutien à leurs entreprises.

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Quelle est la part de communication et de vœux pieux dans cette déclaration ?

La crise énergétique entraîne un bouleversement du modèle économique européen et allemand en particulier. La révolution de compétitivité mise en place dans les années 2000 a reposé autant sur l’abaissement des coûts salariaux par l’Allemagne – suivi par les pays les plus touchés par la suite par la crise de l’euro – que sur la compression des coûts énergétiques au moyen de la dépendance aux hydrocarbures russes. Le chômage allemand a été résorbé au moyen d’un modèle déséquilibré, produisant un excédent massif de la balance courante, de plus de 7% du PIB pendant quasiment toute la décennie 2010-2020. L’explosion des coûts de production, avec le doublement des coûts énergétiques, remet en cause ce modèle, quels que soient les effets atténuants liés aux programmes de soutien à court terme. Ce bouleversement intervient alors même que l’Allemagne et l’Europe en général se retrouvent à la traîne sur d’importants fronts technologiques. Ce retard est critique en particulier dans l’électronique au sens le plus large, jusqu’au cœur du modèle industriel allemand, avec le changement radical de modèle de l’industrie automobile en faveur de l’électrique et la dépendance dans la production de batteries.

Quel est le prix de cette "résilience" allemande ? L’Allemagne a-t-elle pris conscience des limites de son modèle énergétique ? Et des choix nécessaires pour le corriger ?

Il est déjà complexe de caractériser cette résilience précisément au regard de l’explosion des sites de production, au gré de chaînes logistiques tentaculaires, dont les limites ont été révélées par les pénuries nées de la pandémie. Il est encore tôt pour évaluer précisément l’impact de la crise énergétique sur ces chaînes planétaires, dans lesquels l’Allemagne s’est insérée de façon démesurée. 

Sur le pan énergétique, la question de la dépendance a évidemment été au cœur des débats allemands depuis l’invasion de l’Ukraine, avec la remise en cause de la dépendance démesurée à la Russie et des choix politico-industriels qui y ont conduit. Au-delà de programmes de soutien de court terme se pose pourtant surtout celle de l’orientation industrielle de long terme et des compétences qui doivent la sous-tendre. L’ultra-dépendance aux chaînes mondiales, l’intégration industrielle de l’Europe centrale (où se concentre désormais le cœur des compétences industrielles et mathématiques européennes) posent la question concrète du maintien des compétences au sein du tissu économique allemand. Derrière l’invocation de l’excellence du Mittelstand familial, on a plutôt pu voir ces dernières deux décennies une évolution humaine centrée sur des fonctions managériales, une vision d’optimisation de flux dans laquelle la définition même du travail technique s’est progressivement érodée. La crise éducative européenne est au moins aussi palpable en Allemagne qu’en France, au-delà des statistiques d’exportations.

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