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Le magazine Time choisit son "enfant de l’année" mais réalise-t-il vraiment ce qu’il fait ?
©Rachel Murray / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

L’innocence plus forte que la sagesse ?

Le magazine américain Time a lancé sa première édition de l'"enfant de l'année", dont la lauréate est Gitanjali Rao, une inventrice américaine de 15 ans.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Pour la première fois, le célèbre magazine américain Time a nommé "l'enfant de l'année". L'heureuse élue est Gitanjali Rao, 15 ans, une inventrice américaine qui lutte contre les "problèmes du monde", comme la pollution de l'eau ou le cyber-harcèlement. Que penser de la starification d'une enfant, traitée de la même façon que la personnalité politique de l'année ou le patron de l'année ?

Bertrand Vergely : Chaque année, des télévisions, des radios, des journaux font le bilan de l’année et annoncent le patron de l’année, la femme de l’année, l’homme de l’année, le footballeur de l’année, l’athlète de l’année etc. Jusqu’à présent, on n’avait pas eu affaire à l’enfant de l’année. Désormais, ce défaut est réparé.

Il y a des enfants prodiges. Il y en a toujours eu. Quand ils apparaissent, ils ne sont pas le produit d’un jury de journalistes qui s’est réuni et qui a voté. Ils ne sont pas lancés. C’est leur propre génie qui les lance. Dans le cas de cette jeune fille, bien que celle-ci ait des qualités indéniables, elle est lancée.

En la lançant, Time lance Time. Le journal cherche à se faire remarquer et ainsi à conquérir un lectorat. Il s’agit là d’une opération commerciale. De ce fait, derrière la starisation de l’enfant il y a la commercialisation de Time. Toutefois, il n’y a pas que cela.

La jeune promue de l’année a beau être jeune, elle n’est plus tout à fait une enfant. Quand on a quinze ans, on n’est plus une enfant. On est une jeune fille. Si cette jeune fille a été choisie, ce n’est pas un hasard. Il faut qu’elle ait fait quelque chose de remarquable. À quinze ans, cela se produit davantage qu’à sept ans.

Cette jeune fille, visiblement très douée en informatique, cherche à développer des programmes de purification que ce soit dans le domaine écologique ou bien encore dans le domaine informatique. En développant des programmes comme elle le fait, elle est tout à fait dans le vent de l’époque. Elle sert de ce fait les grandes causes que l’époque s’est choisie et dans lesquelles elle se reconnaît. Il y avait Greta Thunberg, seize ans et suédoise. Il y aura désormais cette jeune fille quinze ans et américaine. Les Américains, quand ils trouvent un film à leur goût l’achètent et le refont à la sauce américaine. L’élection de cette jeune fille comme enfant de l’année ressemble à s’y méprendre à une fabrication américaine de Greta Thunberg. Les Américains, ne l’oublions pas, sont la patrie mondiale du jeunisme. Les jeunes hyperdoués, ils adorent. Greta Thunberg fascine. Manque de chance, elle est suédoise. Qu’à cela ne tienne. On va réparer cette erreur de casting et faire un remake de Greta versus USA.

Enfin, symboliquement, on assiste à un troisième déplacement. Traditionnellement l’enfant est un symbole de pureté. Avec cette jeune fille, changement de figure. Ce n’est plus la pureté, mais la purification qu’incarne l’enfant. Ce passage de la pureté à la purification n’est pas un hasard. À travers cette jeune fille qui purifie la planète tant écologique qu’informatique, la culture contemporaine est en train de fabriquer une nouvelle mythologie rédemptrice sur des bases non chrétiennes et non religieuses.

Quand, avec Rousseau, les Lumières s’emploient à repenser l’origine, celles-ci remplacent Adam par le bon sauvage. Le premier homme n’est plus l’homme créé par Dieu mais l’homme naturel. On passe du premier homme à l’homme premier. Avec le jeune qui purifie le monde, la culture contemporaine ne se donne plus un sauveur transcendant mais un sauveur immanent. Sa référence n’est plus religieuse et chrétienne, mais humaine et laïque. Alors qu’une partie de la planète se tourne vers un prophète religieux afin de sauver le monde, la culture contemporaine se tourne vers une héroïne de la technologie.

De ce fait, on peut dire que la starisation de l’enfant cache un transfert idéologique majeur. C’est toute une façon de penser le salut du monde qui vient à s’exprimer à travers cette figure à la fois juvénile et technologique.

N'y a-t-il pas un risque à exploiter l'image de l'enfant à des vues commerciales ?

Ce n’est pas la première fois que l’on exploite l’enfant à des fins commerciales. Par le passé, cela s’est fait maintes fois. WC Fileds, un grand comique américain, a expliqué un jour qu’un homme qui n’aime ni les chiens ni les enfants ne peut pas être totalement méchant. Les enfants et les chiens volant la vedette à tout acteur dès qu’ils apparaissent, un acteur rejette les enfants et les chiens n’est pas méchant. Il défend son image.

On ne recourt pas impunément à un enfant ainsi qu’à l’image de l’enfant. Aux Etats-Unis, l’usage de l’enfant et de l’adolescent est un passage obligé. Il faut passer par cette image. En France, le phénomène est plus complexe. Les Français sont vite agacés par l’adolescent qui monopolise l’attention. Cela n’empêche pas un pays comme la France d’être guetté par un phénomène d’infantilisation collective. Ce phénomène repose sur un paradoxe singulier. En général, c’est l’adulte qui gronde l’enfant et non l’enfant qui gronde l’adulte. De ce fait, c’est l’adulte qui infantilise l’enfant et non l’enfant qui infantilise l’adulte. C’est par là même l’adulte qui vieillit et l’enfant qui rajeunit. Avec l’infantilisation, on assiste à l’inverse. L’enfant devenant celui qui gronde l’adulte, par exemple pour non assistance à planète en danger, c’est l’enfant qui vieillit et l’adulte qui rajeunit en étant infantilisé.

Le monde technologique qui se met en place est terriblement infantilisant. En faisant tout pour faciliter la vie et éviter toute peine, il traite les adultes comme des enfants pour qui on fait tout parce que l’on a décidé qu’ils sont incapables de rien faire. Sur un plan écologique, l’infantilisation est encore plus manifeste, l’adulte étant grondé par l’écologie qui n’a aucun complexe pour être répressive et punitive. La jeune américaine qui va être l’enfant de l’année va être primée pour ses engagements dans l’écologie et dans la technologie. Ce n’est pas un hasard. Elle va permettre au nouveau pouvoir infantilisant de prendre encore pus de pouvoir.

L'enfant risque-t-il de faire l'objet d'une récupération politique ? Puisqu'il est un enfant, ce qu'il dit est forcément pur et il ne saurait donc être critiqué...

L’enfant est aujourd’hui au cœur d’âpres discussions politiques du fait des intérêts idéologiques et politiques qu’il y a derrière lui. Aux États-unis, nation jeune incarnant le nouveau monde, l’enfant porte avec lui les valeurs de la nouveauté qui sont à la base du mythe américain. De ce fait l’avortement passe mal parce que l’enfant qui gêne passe mal. En revanche, l’homoparentalité passe mieux, parce qu’elle veut l’enfant. En France, nous assistons à l’inverse. Pour la France qui a le culte de la liberté, l’enfant qui dérange ne dérange pas. En revanche, la France étant attachée à la famille dite traditionnelle, la question de l’enfant orphelin de père et de mère du fait de l’homoparentalité passe moins bien. Les Français étant attachés au droit, le fait de spolier un enfant de son père et de sa mère gêne aux entournures. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse des États-Unis comme de la France, il y a beaucoup de culpabilité derrière la question de l’enfant, ce dernier restant le grand malmené de la société contemporaine. Pour asseoir sa domination, le pouvoir politique ne cesse d’infantiliser les populations. L’infantilisation s’étant accélérée avec la pandémie, pour se faire pardonner le monde occidental fait de l’enfant l’ange purificateur qui va venir régénérer le système écologique et le système informatique par sa moralité et par son ingéniosité. En devenant un ange purificateur, l’enfant devient désormais celui qui a le droit et même le devoir de sermonner les adultes et de gronder le monde. Ce qui est sans conteste le phénomène vraiment nouveau de notre monde. Pendant cinquante ans, le monde occidental a été éduqué avec l’idée qu’il n’y avait pas plus immoral que la morale. Il a ainsi appris qu’il ne fallait pas gronder, punir et interdire. Aujourd’hui, via l’enfant, on assiste au retour de la morale, du sermon et de la punition. Ce que l’on n’accepte pas d’un adulte, on l’accepte de l’enfant. Un jeune portugais de douze ans est en train de faire un tabac en assignant l’Europe en justice pour manque de combativité écologique. Les médias adorent. Le politique aussi. En grondant les adultes, l’enfant est en train de dessiner le nouveau visage du pouvoir.

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