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Le gouvernement veut « lever le nez du guidon » et redonner du sens à son action. Mais le pourra-t-il sans définir (enfin) le macronisme ?
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Définition ?

Selon le JDD du dimanche 18 mars 2018, Emmanuel Macron ne cesse d'exhorter ses ministres, à "lever la tête du guidon" et à "conserver la distance nécessaire pour ne pas se laisser embarquer dans la routine administrative des ministères".

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Selon le JDD du dimanche 18 mars 2018, Emmanuel Macron ne cesse d'exhorter ses ministres, à "lever la tête du guidon" et à "conserver la distance nécessaire pour ne pas se laisser embarquer dans la routine administrative des ministères". On comprend par là qu'il voit le danger qu’il y a à s’enfermer dans un calendrier de réformes qui paraissent plus technocratiques que véritablement de nature à changer la vie ou changer la donne (qu'il s'agisse de l’avenir de la France dans l’UE ou dans la mondialisation). Selon vous, quel est le modèle économique et social qui correspond au macronisme aujourd'hui ?

Le succès électoral d’Emmanuel Macron dans la campagne présidentielle, comme sa popularité depuis son élection (jusqu’ici plutôt soutenue), sont liés à sa promesse d’assurer le gouvernement de la France par des personnes de compétence, venues d’univers différents de la politique "professionnelle". Au printemps dernier, l’annonce d’un Exécutif composé principalement d’experts a été à ce titre massivement salué. La contrepartie, c’est une "dépolitisation" du Gouvernement : il a évacué la politique hors de son champ. C’était sa force, cela pourrait être sa fragilité.
Ces experts, souvent proches de l’administration (et aux équipes directement issues d’elle) ont pour objectif de mettre en place des réformes connues de tout le monde, qui se retrouvent dans tous les rapports technocratiques produits par les comités, commissions et groupes d’experts depuis des années. C’est le cas de la réforme du marché du travail, de celle de la SNCF, etc. 
Leur projet c’est une modernisation de la France, sur la base d’un consensus social-démocrate (ou social-libéral, qu’importe le nom) qui a dirigé la vision des élites administratives françaises depuis des années : un modèle d’Etat-Providence rafraichi, plus souple, mais qui préserve ses base profondes de redistribution, de régulation économique et social et de pilotage technocratique. Le macronisme, d’une certaine façon, incarne la mobilisation des élites d’Etat pour moderniser ce système.

Concrètement, cela signifie de tenir quel discours ? On comprend que cela contraint le macronisme à donner du sens à son action, à révéler la philosophie. Mais au fond, quelle est-elle ?

Le défi du gouvernement c’est, au contraire, la grande difficulté de son discours à incarner un sens politique. Le projet existe bien, mais il est d’inspiration "a-politique" (en théorie) : il ne réforme pas en pratique pour transformer la société, ni pour porter une révolution politique ; il réforme pour amender le modèle économique et social existant, parce que c’est « nécessaire » pour le préserver, parce que la rationalité d’experts recommande de le faire. 
Pour réformer, il faut incarner un sens : on ne demande aux gens des efforts considérables pour suivre les recommandations d’une ligne stratégique portée par Bercy. Pendant sa campagne, Emmanuel Macron a souhaité que ce sens soit celui d’une « révolution » (le titre de son livre »), d’une profonde rénovation de la société et surtout du monde politique. Cela a séduit une partie de l’électorat. Mais en pratique, aujourd’hui, sa politique n’est pas celle d’une « transformation » ; c’est la mise en œuvre technique d’amendements au modèle d’Etat Providence existant. Ils sont certainement bienvenus, mais n’induisent pas un bouleversement.
Cette politique séduit une partie de l’opinion (notamment à droite) qui est ravie de voir le pays se moderniser sans heurts majeurs ni sans déstabilisation de ses repères ; mais cela peine à convaincre le reste visiblement. Pour maintenir son soutien électoral, le Gouvernement doit accentuer le sens politique de son action. Sa difficulté est, comme souligné précédemment, qu’il n’est pas politique et qu’il doit sa popularité au fait qu’il revendiquait ne pas l’être.

Pendant la campagne présidentielle, tout a été vague. Emmanuel Macron a surtout misé sur l’effondrement des autres tout en vendant son nouveau monde et sa révolution, voir même, sa transformation. Comment son gouvernement peut-il maintenant donner une vision qui éclaire l’avenir ?

Il faut garder une certaine modestie en matière de recommandations. Le Président a certainement des idées précises sur ce qu’il souhaite mettre en œuvre comme stratégie et visiblement, il sait que son Gouvernement doit faire plus de politique (ce qui est en contradiction avec ce qui a motivé sa composition) : le Premier ministre a exhorté ce weekend ses ministres à faire plus de politique !
Jusqu’à maintenant, le discours du Gouvernement a été celui de l’évidence technique (il faut faire les réformes parce que les experts le recommandent), mais on perçoit que cela s’essouffle un peu. Pour « donner du sens à l’action », il pourrait probablement travailler à expliquer encore et toujours son projet, pour faire en sorte que celui-ci soit mobilisateur. Ce n’est pas évident, car un discours d’amendements modérés ne soulève pas les foules enthousiastes ; et parce que l’opposition, qui n’a pas à se soucier de mettre en œuvre ce qu’elle clame, peut de son côté proposer le Grand soir ou la révolution. 
Le Gouvernement pourrait ensuite peut-être investir un champ politique dont il est absent : celui qui porte sur le « collectif », sur ce qui fait la cohésion nationale. Cela peut s’aborder par divers discours politiques : sur la solidarité, sur la laïcité, sur le service public aussi. Aujourd’hui, il n’en dit rien.

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