Le faux débat : la réalité du pouvoir d’achat ne correspond pas à l’impression très négative des Français   <!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme retire de l'argent à un guichet automatique à Lille, dans le nord de la France, le 4 janvier 2017.
Un homme retire de l'argent à un guichet automatique à Lille, dans le nord de la France, le 4 janvier 2017.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Atlantico Business

La classe politique cherche à occuper le terrain avec un faux problème du pouvoir d’achat, pour ne pas avoir à statuer les problèmes régaliens autrement plus importants de la sécurité, de l’immigration ou de la faillite des administrations publiques.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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François Bayrou n’a pas échappé à ce vieux travers de la classe politique qui est d’enfourcher des revendications populaires fondées sur des impressions qui ne correspondent pas à la réalité, afin surtout d’éviter de se mouiller sur des questions où la quasi-totalité des responsables politiques ont lamentablement échoué depuis des décennies.

C’est vrai que c’est plus facile de crier contre l’augmentation du prix de l’essence plutôt que de reconnaitre que les services administratifs de l’Etat sont pléthoriques et inefficaces, que la vie quotidienne de beaucoup de Français est pourrie par l’insécurité ou que les communautés immigrées essaient d’imposer leurs lois et coutumes aux autres habitants dont le seul défaut est d’être né blanc.

Il n’y a pas de problème général de pouvoir d’achat en France. En tout cas, la majorité des Français ne souffre pas de ce mal. Les Français ont d’autres difficultés mais actuellement, pas celles qui proviendraient de leur niveau de vie matériel.

On ne peut donc pas dire qu‘il n’existe pas de problème de pouvoir d’achat, parce que ce ne serait politiquement pas correct, et pourtant, on n’est pas loin de la vérité.

Le sentiment d’une perte de pouvoir d’achat assez largement partagée ou relayée mais il ne correspond pas à la réalité des chiffres.

Que l’on prenne l’Insee ou Bercy, que l'on se réfère aux analyses économiques, y compris celles qui sortent des cabinets plutôt classés à gauche comme l'OFCE, ou d'autres venant de l’OCDE ou de Bruxelles, le pouvoir d’achat n’a pas baissé en France depuis 4 ans.

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Il a augmenté de 1% par an en moyenne. Ce qui n’était pas le cas sous Nicolas Sarkozy, dont le quinquennat a été abimé par la crise financière mondiale, ou même sous François Hollande.

Les prix ont moins augmenté au cours des dix dernières années que lors des dix dernières années précédentes.

Cela étant, les chiffres ont beau être têtus, l’écrasante majorité des Français sont convaincus du contraire. Ils ont le sentiment que les dépenses de leur vie quotidienne ont augmenté, et même asphyxié leur pouvoir d’achat, à commencer par les dépenses courantes au supermarché. Cette impression n’est pas corroborée par les relevés de prix.

Pour en avoir le cœur net, l’Insee a même calculé les prix, non pas en euros, mais en temps de travail. En prenant la valeur du SMIC horaire et en convertissant le prix de vente des produits alimentaires de base en heures, on sait calculer le temps de travail qu’il faut effectuer pour payer la note.

Et bien, sur dix ans, le prix du pain a baissé de 7%, le prix du sucre de 38%, de l’huile de 15%, des pommes de terre de 10% et du jambon de porc de 4%. Il n’y a guère que le bifteck qui a augmenté de 7% dans les bons morceaux, la bavette ou le filet.

On ne mange pas pour plus cher et on s’habille aussi moins cher aujourd’hui qu’avant. Les articles de confection et les chaussures ont baissé de 10 à 15%. En partie grâce aux importations.

On retrouve le même phénomène pour les dépenses de logement, mais le calcul de l’Insee n’a porté que sur les locataires et révèle que les prix sont restés stables lors des dix dernières années, à l’exception des centres-villes dans les grandes métropoles qui sont devenus inaccessibles et ont repoussé les jeunes et les classes moyennes à la périphérie.

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Alors globalement, s’il existe un décalage, cela peut s’expliquer par plusieurs raisons.

D’abord, parce que les prix sont comparés à qualité constante. Très souvent, nous achetons d’une année sur l’autre des produits qui ont pris de la valeur parce qu’ils sont de meilleure qualité et rendent plus de services. Sans parler de l’obsolescence programmée existe qui nous oblige souvent à acheter un produit neuf en remplacement du précèdent qui n’a pourtant pas terminé sa vie. Ajoutons à cela que psychologiquement, on ressentira beaucoup plus fortement une hausse de prix qu’une baisse. C’est le cas de l’essence, du gaz  ou d’un loyer.

Ensuite, certaines dépenses n’entrent pas dans l’indice de calcul, mais pèsent sur le pouvoir d’achat. C’est le cas des dettes par exemple. Les taux d’intérêt sont très bas, mais les services bancaires, les assurances sont alourdies. Et parce que les taux sont bas, on s’endette davantage, donc le coût du financement est plus lourd. Le pouvoir d’achat du revenu disponible, une fois ces charges payées, est donc plus bas.

Enfin, l’indice des prix à la consommation reflète un panier de biens et services représentatif de la structure moyenne de consommation de l’ensemble des ménages. Mais le résultat varie d’un ménage à l’autre, en fonction de la composition des niveaux de revenu. Les loyers ne pèsent que 6% dans le panier de l’Insee puisque l’Insee ne comptabilise que les seuls loyers des locataires, qui représentent moins de la moitié des ménages et on ne compte rien pour les propriétaires. En réalité, le service de logement représente plutôt de 15 à 20% du revenu. Minimum.

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Ajoutons à cela que nous sommes tous victimes quotidiennes d’un effet d’optique très trompeur entre le pouvoir d’achat et le pouvoir de dépenser. Ça n’est pas parce que le pouvoir d’achat a augmenté que le pouvoir de dépenser et plus grand. Il existe (ce qui est nouveau) un paquet de dépenses contraintes qui s’imposent chaque mois sur lesquelles nous sommes engagés par contrat : les abonnements internet, mobile et télévision, les abonnements énergie, les assurances, les remboursements d’emprunts…

Cette réalité ne doit pas exonérer le gouvernement de s’occuper des populations qui ont du mal à boucler leur fin de mois. C’est ce que l’exécutif a fait pendant la pandémie en ouvrant le robinet des prestations et des aides de toute sorte. La mise sous perfusion de la plupart des acteurs a permis de préserver le système économique qui était à l’arrêt.

Normal, qu’une fois les risques de pandémie écartés, le, gouvernement cherche à débrancher les perfusions, mais normal aussi qu’il se préoccupe des populations à risque. C’est particulièrement vrai face au dérèglement violent des prix de l‘énergie, diesel, essence, gaz, électricité.

Dès que les prix se sont mis à augmenter, le gouvernement a annoncé la décision de geler les prix de l‘électricité et de verser un nouveau chèque énergie de 100 euros au bénéfice de quelques 6 millions d’abonnés au gaz qui n’avaient pas de contrat garanti sur le long terme, soit la moitié des Français qui se chauffent au gaz.

Pour l’essence et le diesel, qui ont progressé de 30 à 40 centimes en quelques semaines, le gouvernement devra répondre à la grogne des automobilistes qui ont du mal à payer leur plein alors que leur voiture leur est indispensable. D‘où le projet de leur verser un chèque carburant, à condition de le verser aux bonnes personnes, ceux qui en ont vraiment besoin et ça va être très difficile à opérer. Le gouvernement peut difficilement céder aux injonctions de l’opposition politique qui demande une baisse des taxes sur les carburants.

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La mesure serait extrêmement dangereuse pour le gouvernement et donnerait un très mauvais signal à tous ceux qui sont préoccupés par la lutte contre le réchauffement climatique. Ce qui est très pervers dans ce débat, c’est de voir la plupart des responsables politiques se livrer à de telles propositions démagogiques.

A moins que tout le monde en profite pour éviter d’ouvrir d’autres dossiers. On parle prix de l’essence pour éviter d’alimenter le débat sur l'immigration, ou d’avoir à se prononcer sur le disfonctionnement de l’Etat régalien. Parler du prix de l’essence revient à ne pas parler de la gestion de l’Etat administratif, dont il faudra pourtant, pendant la campagne présidentielle, aborder sous l’angle des dépenses de l’Etat du nombre pléthorique de fonctionnaires, de l’inefficacité de l’Education nationale ou du système de santé.

Le débat sur le pouvoir d’achat alimente les discours et nous dispense de parler du rôle de l’Etat qu’il faudra bien réformer.

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