Le drame des sacs plastiques jetables ou quand l’écologie marche sur la tête <!-- --> | Atlantico.fr
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Les sacs plastiques mettent des centaines d'années à se décomposer.
Les sacs plastiques mettent des centaines d'années à se décomposer.
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Echec

3 ans après avoir banni les sacs plastiques à usage unique, la ville d'Austin aux Etats-Unis déchante. Selon une étude, la municipalité a constaté que les habitants jetaient tout aussi bien les sacs à usage durable que les autres.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Atlantico :  Comment expliquer cette régression écologique selon vous ?

Myriam Maestroni : Il est intéressant de constater combien ce qui pourrait passer pour un fait divers peut se convertir en une base d’analyse de notre rapport à la consommation, à la valeur des choses, aux autres et à notre planète. A cette situation constatée à Austin, je pourrais opposer une anecdote qui m’a beaucoup marquée lorsque j’ai vécu aux Pays Bas (un pays dont le sens de l’économie n’est sans doute plus à vanter), il y a déjà plus de 10 ans. La première fois que je me suis retrouvée à faire mes courses et que j’ai demandé un sac, on m’a regardé bizarrement en me disant ça coûte « sixteen cents »... ayant compris « sixty » je donne 1€  en disant « it’s ok » (genre « gardez la monnaie »...  avec à ma décharge mon anglais approximatif d’alors et mon sens approximatif de la valeur de cette nouvelle monnaie). Et là, je vois la dame s’insurger en me disant que c’était bien trop et de reprendre ma monnaie (sur 16 et non sur 60 cents, by the way…) et de penser à venir avec mon panier à ma prochaine visite.  Le plus étonnant c’est qu’à ma troisième visite, toujours sans panier, la même dame, totalement excédée m’a fait une leçon de morale, devant la file des gens qui attendaient pour payer… J’aimais bien les produits du magasin, qui était le plus près de l’endroit où je vivais… Que croyez vous que je fis la fois suivante ?... Je revins et avec « mon petit panier sous mon bras » comme le dit la chanson (de Gilles Vigneault). Je n’ai pas tenté la même expérience à Singapour ou dans d’autres villes du monde, mais l’indice « sac de courses » pourrait être presqu’aussi intéressant à suivre que l’indice Big Mac qui nous apprend en 2015 qu’un Big Mac  acheté aux Etats Unis nous coûtera 4.79$ tandis qu’en Norvège –qui occupe la première place- il nous en coutera 7.76 $ soit près de 3 fois plus qu’en Chine à 2.77$… Une idée sans doute à creuser.

De fait l’étude souligne que ce qui est vrai à Austin l’est sans doute ailleurs, et qu’ainsi en Afrique du Sud les sacs plastique sont considérés comme des « fleurs nationales » tant on dénombre sur les branches des arbres, ou qu’à Dubaï les chameaux meurent fréquemment d’ingérer ces sacs de plastique qui trainent dans le désert.

Cette même « étude » ne mentionne absolument pas le rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) sur les plastiques –notamment les sacs en plastique et les bouteilles en PET- considérés comme les déchets marins les plus répandus dans le monde (jusqu’à 80% des déchets dans plusieurs mers régionales). Ce rapport signale que les débris de plastique qui s’accumulent se décomposent lentement en petits morceaux toxiques, qui peuvent être consommées par les poissons, les mammifères marins, les oiseaux et les tortues de mer. Une enquête de 5 ans sur les fulmars (oiseaux marins) a montré que 95% avaient du plastique dans leur estomac.

Selon le World Watch Institute, juste aux Etats-Unis on utilise près de 100 milliards de sacs plastiques. A l’échelle du globe ce sont des centaines de milliards. La nocivité d’un produit pour l’environnement prend en compte son bilan carbone (de sa production à son recyclage), mais également sa durée de vie dans la nature. Or pour les sacs plastique, en général en polyéthylène lui conférant ses propriétés de légèreté, imperméabilité, résistance… on l’estime entre 100 à 400 ans. Au-delà du véritable problème de propagation tout au long de la chaîne alimentaire, on voit apparaître d’immenses décharges flottantes comme celle appelée le GPGP (pour Great Pacific Garbage Patch, ou également « soupe de plastique » ou encore « 8ème continent »), découverte par l’océanographe et skipper américain Charles J. Moore, généré par les courants marins entre Hawaï et le Pacifique Nord.

Lors de la 1ère Assemblée des Nations Unies pour l’Environnement (UNEA), qui a eu lieu à Nairobi le 29 mai 2014, le PNUE a signalé que le coût des déchets plastiques en mer pourrait supposer 13 milliards de $/an a minima. Il a également souligné dans son rapport « Valuing Plastic » (Valoriser le Plastique) produit par le Plastic Disclosure Project (PDP) que le coût global en capital naturel de l'utilisation du  plastique dans le secteur des biens de consommation est de 75 milliards de dollars  - fonction de l’impact financier négatif tels que la pollution de l'environnement marin et la pollution de l'air causée par l'incinération du plastique. Le rapport affirme que plus de 30 % des coûts en capital naturel sont dus aux émissions de gaz à effet de serre  provenant de l'extraction  et du traitement des matières premières. Toutefois, il note que la pollution marine est le coût en aval le plus important,  et que le chiffre de 13 milliards est probablement sous-estimé.

Bref, on voit que le sujet est d’une grande importance à tous les points de vue du développement durable, tant les aspects sociétaux, environnementaux et économiques sont transcendants.

Il ne reste plus qu’à expliquer pourquoi face à une telle nécessité, la logique de réutiliser ses sacs de course au lieu de les jeter ne s’impose pas comme une évidence… en tous cas en dehors des politiques qui votent des lois pour interdire les sacs plastique à usage unique pour imposer les sacs plus solides, plus chers et en principe réutilisables.

Il faut croire que les Américains moyens n’ont sans doute pas lu tous les rapports du PNUE… à vrai dire, je pense qu’ils ne sont pas les seuls. A titre comparatif, en France, on distribue 17 milliards de sacs : 12 milliards dits « fruits et légumes » et 5 milliards de sacs de caisse à usage unique, soit 539 sacs plastique/seconde. Néanmoins, il est à noter que s’il s’agit encore de quantités élevées, ce chiffre a été divisé par 15 dans les grandes surfaces alimentaires, passant ainsi de 10.5 milliards en 2002 à 700 millions en 2011… probablement, le résultat du prix à payer désormais pour obtenir son sac. Cela reste supérieur à des pays comme au Danemark ou en Finlande (et, si j’en crois ma propre expérience, sans doute les Pays Bas), mais avec 80 sacs plastique à usage unique par personne utilisés en 2013, le France est en meilleure position que le Portugal, avec 460, ou la Pologne avec 198 (selon l’Association France Nature Environnement). C’est sans doute ce qui a conduit au vote, le 6 mai dernier, de la Directive européenne relative à la réduction de la consommation des sacs plastique. Les Etats membres devront trouver les solutions pour faire en sorte que le niveau de la consommation annuelle ne dépasse pas 90 sacs plastiques légers par personne d’ici le 31 décembre 2019 et 40 sacs d’ici le 31 décembre 2025. Ils devront également rendre payants les sacs plastiques au 31 décembre 2018. En France, les sacs plastiques non réutilisables seront interdits au 1er janvier 2016, sachant que les sacs non biodégradables (en général grâce à l’introduction de 40% d’une matière végétale telle que l’amidon de maïs ou de pomme de terre) le sont d’ores et déjà.

On le voit, rien ne peut se faire sans conjuguer 4 facteurs : la force de la réglementation, la dimension économique en donnant une valeur à ce qui était gratuit et qui devient payant (et potentiellement de plus en plus cher), la sensibilisation et la prise de conscience des individus et enfin le temps (et l’application effective de la réglementation, c’est à dire de possibles sanctions). Imaginer que l’un de ses facteurs pris indépendamment des autres peut fonctionner relève de la pure utopie.

Quels enseignements doit-on tirer pour la mise en place de politiques publiques sur les questions environnementales ? 

Comme on le voit, rien ne peut se faire sans conjuguer 5 facteurs : la force de la réglementation, la dimension économique, en donnant une valeur à ce qui était gratuit et qui devient payant (et potentiellement de plus en plus cher), la sensibilisation et la prise de conscience des individus et, enfin, le temps et l’application effective de la réglementation, c’est-à-dire de possibles sanctions. Changer des habitudes de consommation ancrées depuis de nombreuses années requiert beaucoup d’intelligence, de bon sens, d’éducation et de patience.

Si je prends la question des économies d’énergie, qui me tient très à cœur, et qui constitue à la veille de la COP 21 un autre excellent exemple pour illustrer mon propos sur la mise en place de politiques publiques en matière de questions environnementales, le processus est le même. Avant toute chose, il faut promouvoir et permettre la prise de conscience. Quel est aujourd’hui le pourcentage de ménages ayant connaissance de l’efficacité énergétique de leur logement ? Presque 10 ans après l’apparition de la fameuse petite étiquette énergétique obligatoire en cas de vente ou de location de logements, peu de gens sait qu’un logement en catégorie G va consommer 9 fois plus qu’un logement construit neuf en catégorie A…. et pourtant en France, ce sont 15 millions de logements soit 1 sur 2 concernés et qui vont consommer 6 à 9 fois plus que nécessaire. Cela étant, une fois le sujet connu, encore faut-il savoir quoi faire et ensuite se décider à entreprendre des travaux de rénovation énergétique. C’est là que commencent les vraies questions : comment financer ? quel matériel choisir ? etc. L’innovation et les nouvelles technologies jouent un rôle clé dans l’ensemble de ce processus. En 4 ans, on a vu se développer de nombreuses plateformes de sensibilisation et d’accompagnement.  Désormais, des dizaines de milliers de travaux sont traités au travers de ces dispositifs innovants. La loi seule n’aurait jamais suffi à imposer quoi que ce soit, car l’idée d’imposer des travaux, du moins avant une certaine échéance, serait trop difficile à faire accepter et à mettre en œuvre. A contrario, des outils innovants sans réglementation favorable ne peuvent pas non plus fonctionner.

Je crois qu’il est très important de privilégier l’éducation et la sensibilisation à la sanction, qui doit intervenir dans un deuxième temps le cas échéant. Je crois aussi qu’il est important de réhabiliter la confiance en utilisant des effets de « buzz » dans la vie réelle, c’est-à-dire en favorisant le dialogue et l’effet d’entrainement entre voisins ou autres groupes de pairs.

Les entreprises ont également leur rôle à jouer dans cette dynamique. C’est  la fameuse logique de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Des programmes destinés aux employés-consomm’acteurs prennent tout leur sens dans cette évolution des mentalités et de nos comportements. Cela commence d’ailleurs à être bien compris par certains grands groupes qui favorisent le transfert de bonnes pratiques de l’entreprise vers les familles.

Il faut aussi bien sûr sensibiliser et former les enfants dès leur plus jeune âge. D’ailleurs, je constate tous les jours, en dirigeant une entreprise avec beaucoup de jeunes âgés de moins de 30 ans, combien leur connaissance et leur compréhension de la planète est meilleure que celle des plus âgés (j’exclus ma grand mère centenaire qui est sans doute la personne qui m’a le plus appris en matière de développement durable et à qui je rends hommage, comme à toutes les personnes de sa génération habituées à vivre avec beaucoup moins de confort !

Au regard de cet échec, n'est-il pas plus efficace d'aller dans le sens de la prévention ? 

Il est certain que notre niveau de conscience et notre intelligence émotionnelle –et non juste logique- constituent les meilleures garanties de transformation durable de nos comportements. Cette dimension est un pré-requis pour, d’une façon générale, améliorer les interactions multiples et de plus en plus complexes entre chaque individu d’une part (ou les groupes d’individus -affichant souvent des comportements différents pour le meilleur ou pour le pire que les comportements individuels-) et son environnement. La dimension psychologique est très importante car elle prend en compte nos émotions et ce sont ces dernières qui nous permettent individuellement ou collectivement d’évoluer, de nous transformer. La peur ou la culpabilité ne sont peut être pas autant de nature à nous faire changer que l’envie de faire partie d’un projet auquel nous contribuons à notre niveau. C’est ce qu’avait si bien compris Saint Exupéry quand il affirmait que « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants »… nous conférant ainsi cette idée de responsabilité individuelle et collective sur un avenir qui dépend de nos ressentis, de nos choix et de nos décisions. Alors, nul doute qu’il vaut mieux prévenir que guérir… sachant que nous devons nous attaquer aux deux chantiers. Aujourd’hui, celui de guérir se comprend avec la logique de l’action et des chiffres. Celui de prévenir engage notre intelligence du cœur et, c’est celle-ci qu’il faut redécouvrir et muscler.

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