Le déficit 2015 bien inférieur aux prévisions : une réduction des dépenses en trompe l’oeil qui masque surtout le sacrifice de l’avenir effectué par le gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le déficit 2015 bien inférieur aux prévisions : une réduction des dépenses en trompe l’oeil qui masque surtout le sacrifice de l’avenir effectué par le gouvernement
©

Le déficit de la honte

La réduction des déficits de l'année 2015 a finalement été plus forte que prévu. Une nouvelle que le gouvernement a évidemment accueillie positivement et mise en avant. Mais un détail devrait inquiéter : la contraction de l'investissement public, qui risque d'être néfaste à long terme.

Mathieu Plane

Mathieu Plane

Directeur adjoint du Département analyse et prévision à l'OFCE

Voir la bio »

Atlantico : Selon les chiffres publiés par l'INSEE, le déficit public de la France est passé de -4,0% du PIB en 2014 à -3,5%, contre -3,8% attendu. Cette baisse serait principalement due à la baisse des taux d'intérêt et à la chute des investissements publics. Comment juger d'un tel résultat ? 

Mathieu Plane : Il y a plusieurs facteurs qui jouent. Il y a d'abord effectivement la baisse des taux d'intérêt que vous évoquez. Mais elle était déjà anticipée et intégrée dans le projet de loi de finance. En effet, la charge d'intérêt correspond à peu près à ce qui avait été prévu. Pas vraiment de surprise de ce côté-là donc. En revanche, l'investissement public a baissé plus que prévu. Le gouvernement anticipait une réduction de l'ordre de 0,1 point de PIB, alors qu'il a plutôt baissé de 0,3 point. On peut également penser que la réduction des dotations aux collectivités locales a pu impacter l'investissement public plus que prévu. Les collectivités locales ont finalement préféré réduire leurs investissements, alors que le Gouvernement attendait plutôt un ralentissement au niveau de la masse salariale. Cela a contribué à la réduction du déficit. On peut également mentionner deux autres effets. D'abord, la croissance a été un peu plus forte que prévu (le Gouvernement attendait une croissance de 1%). Ensuite, le prix du PIB a été plus élevé que dans la prévision du gouvernement. Pour finir, les recettes se sont bien tenues et ont même été supérieures à ce qui était anticipé. Voilà ce qui explique un résultat significativement meilleur que ce que laissaient entendre les prévisions.

La baisse des investissements ne risquerait-elle pas d'être néfaste à l'économie à long terme ?

Oui, bien sûr. Les collectivités locales sont à l'origine de 70% de l'investissement public en France. On voit que la réduction des dépenses publiques et l'objectif de baisse de 50 milliards sur la période 2015-2017, dont une partie se fait par les baisses de dotations, se sont traduits par le gel d'un certain nombre d'investissements. Parce que finalement, pour les collectivités locales, qui sont contraintes d'un point de vue budgétaire, il est plus simple de geler un projet d'investissement que de réduire rapidement la masse salariale. On voit que cette diminution de l'investissement a des conséquences sur l'activité économique et la croissance. On le constate dans certains secteurs, comme le BTP qui est en difficultés. A long terme, moins d'infrastructures c'est aussi une croissance potentielle moins dynamique. Le projet d'investissement participe à l'attractivité et à la compétitivité. C'est donc efficace en termes de finance publique, mais pas au niveau économique. 

Selon le communiqué de Michel Sapin "Les prélèvements obligatoires ont baissé, de 44,8% du PIB en 2014 à 44,5% grâce au CICE, au Pacte de responsabilité et de solidarité et aux baisses d’impôt sur le revenu pour les ménages." Pourtant, selon les chiffres de l'INSEE, les impôts ont progressé de 2.9% au cours de la dernière année, alors que le total des recettes progresse de 2.1%. Que penser de tels résultats ? Les déclarations du ministre sont-elles conformes à la réalité des chiffres ?

Cela montre bien que les prélèvements obligatoires peuvent baisser sans que les impôts ne se réduisent. Il faut distinguer ménages et entreprises. On constate que les diminutions de prélèvements se font du côté des entreprises, notamment par le biais du CICE ou du Pacte de responsabilité, avec une politique de l'offre et une recherche de compétitivité. En revanche, du côté des ménages c'est beaucoup plus ambigu. Effectivement, il y a eu une baisse de l'impôt sur le revenu, mais elle a largement été compensée par de nouvelles taxes (fiscalité écologique, la fiscalité locale etc.). Le résultat est que les prélèvements sur les ménages ne se sont pas contractés en 2015, mais au contraire ont augmenté. Cela signifie que le CICE et le pacte de responsabilité ont participé à la réduction, mais certaines composantes ont augmenté. Le CICE, le Pacte de responsabilité et la baisse de l'impôt sur le revenu des ménages, représentent plus qu'une baisse des prélèvements de 0,3 point de PIB, ce qui équivaut au passage de 44,8 % à 44,5 % évoqué par Sapin, soit 6 milliards d'euros. Le Pacte de responsabilité en 2015 représente 4,5 milliards d'euros, le CICE fait plus 6 milliards d'euros et la baisse d'impôt sur le revenu équivaut à 2 milliards d'euros. Les trois ensembles font donc 13 milliards d'euros de réduction. C'est qu'il y a eu des hausses par ailleurs. Les prélèvements diminuent pour les entreprises, mais ce n'est pas le cas pour les ménages.

Plus largement, que penser de la stratégie du gouvernement de vouloir réduire son déficit ? Comment juger des moyens d'action mis en place par le gouvernement pour parvenir à son objectif ? 

Il y a deux choses. Nous sommes extrêmement cadenassés par le Pacte de stabilité européen. Il contraint la France à réduire de manière extrêmement rapide les déficits, ce qui peut avoir des conséquences économiques négatives. En période de crise, la réduction rapide des déficits étouffe la croissance. La France a fait le choix de jouer sur les dépenses publiques. Le problème, c'est que c'est avant tout l'investissement public qui trinque. Or, c'est un élément de compétitivité de la France. Du coup, on a dû réduire beaucoup la dépense publique pour financer le CICE et le Pacte de responsabilité, qui représentent 41 milliards à horizon 2017 de baisses pour les entreprises, afin de soutenir leur compétitivité. Mais un certain nombre de ciblages n'ont pas atteint leurs objectifs. En conséquence, ces 41 milliards auraient pu être utilisés différemment. Il faut d'un côté créer des emplois et de l'autre mieux soutenir la compétitivité et le secteur exposé à la concurrence internationale, c'est-à-dire l'industrie. Une double politique aurait dans ce cas été plus efficace. Il aurait fallu mener d'un côté une politique de réduction des coûts du travail plus ciblée vers les bas-salaires pour soutenir l'emploi, et dans le même temps, il faudrait prendre des mesures propres aux secteurs exportateurs, notamment l'industrie, avec du soutien à l'investissement et à l'innovation, de façon à améliorer la compétitivité.  

Est-ce que le gouvernement ne ferait pas preuve d'un immobilisme nuisible à notre avenir ?

Je ne jetterais pas la pierre au Gouvernement directement. On a un carcan lié au Pacte de stabilité extrêmement dur. Cette contrainte pèse sur le redressement de l'économie européenne. Ce n'est pas qu'il ne faut pas réduire les déficits, c'est qu'il  faut savoir le faire au bon moment. On n'a pas su renégocier les traités et l'investissement est considéré comme une dépense comme une autre. Le résultat est qu'on sacrifie l'avenir. En Europe, il y a un sous-investissement, qui renvoie à un problème de règle budgétaire mal adaptée à la situation économique actuelle. Cela a participé au risque déflationniste que l'on connaît. La BCE ne peut pas tout faire et en appelle à un relai des Etats.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !