Le Contrat vital, une alternative pour un monde moral et durable <!-- --> | Atlantico.fr
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Gérard Mermet publie « Le Contrat vital. Pour un monde moral et durable » aux éditions Empreinte Temps présent.
Gérard Mermet publie « Le Contrat vital. Pour un monde moral et durable » aux éditions Empreinte Temps présent.
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Bonnes feuilles

Gérard Mermet publie « Le Contrat vital. Pour un monde moral et durable » aux éditions Empreinte Temps présent. Notre monde est confronté à de nombreux défis. Les institutions apparaissent toutefois, impuissantes à les relever. Il semble que les individus-citoyens aient perdu confiance. Il conviendrait donc d'agir sur le levier de la morale pour rendre le monde responsable et durable. Extrait 2/2.

Gérard Mermet

Gérard Mermet

Gérard Mermet est sociologue, directeur du cabinet d’études et de conseil Francoscopie. Dernier ouvrage paru : Francoscopie 2030 (Nous, aujourd’hui et demain), Larousse, 2018.

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Le propos du Contrat vital est de faire prendre conscience à chacun des dettes collectivement accumulées envers les composantes de l’environnement global. Leur « remboursement » implique que nous, humains, nous fixions d’urgence un certain nombre de devoirs. On peut pousser plus loin le parallèle avec ces termes comptables. La collectivité humaine doit désormais tenir son journal de comptes, établir son bilan, dans lequel les colonnes « actif » et « passif » devront s’équilibrer : d’un côté les recettes, de l’autre les dettes. Comme celle des entreprises, la vie des sociétés doit être vécue en « partie double », selon le principe qui reçoit doit.

La métaphore comptable doit cependant s’arrêter là, car il s’agit ici de la vie des humains et des autres êtres vivants (ainsi que de toutes les « choses » et entités figurant dans la liste). En ces domaines, aucun individu ne saurait tenir un compte précis de ce qu’il donne et de ce qu’il reçoit. Si un « donateur » est globalement créditeur, il se « remboursera » (largement) avec la satisfaction d’avoir contribué à rendre le monde plus responsable et durable. Si la raison s’avère nécessaire pour guider son action, l’émotion peut être aussi une bonne conseillère pour le pousser à faire le bien. Le Contrat devra jouer sur les deux registres, inséparables d’une vision humaniste.

… et holistique

Le Contrat vital a aussi pour mission de proposer une vision globale, holistique du monde et de la vie. Il devra suggérer des comportements favorables à toutes les composantes de la macrosphère, ce qui sera évidemment profitable aux humains. Les importants efforts qui devront être déployés n’auront en effet de sens et d’efficacité que s’ils sont assortis de perspectives de récompense, sous la forme d’une amélioration de la vie en général, d’une réparation de ce qui est aujourd’hui abîmé ou menacé, et d’un sentiment retrouvé de pérennité.

Le Contrat vital prône donc l’effort en sachant qu’il engendrera du confort, tant pour celui qui donne que pour celui qui reçoit. Il recommande de faire ce qui est difficile afin de rendre la vie plus facile, de chercher d’abord en soi les ressources et les réponses, plutôt que de les attendre seulement des autres. Il prône le don (de temps, d’argent, d’empathie, d’aide matérielle…) qui élève le donateur, en même temps qu’il aide le donataire. Il devra ainsi aboutir à un nouvel équilibre entre les parties prenantes. C’est le principe de tout contrat. 

Le Contrat vital, demain

Quel rôle le Contrat vital pourrait-il jouer à l’avenir ? Pour le suggérer, il faudrait d’abord savoir à quoi ressembleront les post-humains, prochaines générations façonnées par les avancées technologiques et autres mutations probables ou possibles. Il faudrait savoir si les objets dits « intelligents » seront un jour dotés d’une forme de « conscience » d’exister. Il faudrait connaître la nature des problèmes qui seront posés à l’avenir, les défis qu’il faudra relever. Mais nul ne peut le prédire aujourd’hui, même parmi les auteurs de science-fiction. Ni surtout donner des dates d’occurrence des nouvelles « ruptures » à venir et de leurs conséquences sur la vie.

On peut en tout cas imaginer que, comme ceux d’aujourd’hui, les acteurs du monde de demain (réels ou virtuels) devront bénéficier de droits, et assumer des devoirs. Ce sera le cas par exemple des robots tueurs militaires, qui auront à décider (sous le contrôle, espérons-le, d’humains responsables) qui ils peuvent éliminer et quels sont les « dommages collatéraux » acceptables. Je fais ici l’hypothèse, malheureusement probable, que l’on n’aura pas d’ici là proclamé de façon universelle l’interdiction de tuer.

Dans un registre différent, les véhicules autonomes auront à faire face à toutes sortes de situations dangereuses et à prendre les « moins mauvaises » décisions : qui devront-ils épargner en priorité en cas d’accident inévitable ? De leur côté, les robots[1]médecins auront-il une responsabilité pénale en cas d’analyse erronée ou d’opération manquée ? Les programmes informatiques et les algorithmes devront-ils être conçus pour agir ou réagir selon une logique humaine ? Si oui, laquelle ?

Le domaine de l’« édition génétique » (une expression qui semble avoir été inventée pour éviter le terme « manipulation ») sera particulièrement concerné. Faudra-t-il interdire le choix des caractéristiques (physiques, intellectuelles) des enfants à naître ? Sera-t-il acceptable de prévenir leurs maladies potentielles par une analyse in utero systématique de leur génome et une intervention en cas de risque ? Faudra-t-il interdire toute modification génétique d’une espèce animale, végétale, minérale ? Que décider à propos d’innovations qui permettront de prévenir ou de guérir des maladies, de sauver des vies, mais qui accroîtront les inégalités entre ceux qui peuvent en bénéficier et ceux qui ne le peuvent pas ? Quid du clonage humain ?

Autant de questions auxquelles bien sûr un seul individu ne peut répondre. Seuls pourront le faire des comités d’éthique dont les membres seront sélectionnés parmi les experts et les citoyens. Selon des critères et des procédures à définir préalablement par d’autres experts et si possible l’ensemble des citoyens. Il parait probable que la morale sera de plus en plus nécessaire. Mais le monde sera-t-il à l’unisson, en adoptant une morale universelle, ou certains pays choisiront-ils d’expérimenter de nouvelles voies pour se doter d’un avantage concurrentiel ? Il est permis (et même recommandé) de rêver d’un progrès en la matière. Et de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour qu’il se produise.

Sur les épaules de Rousseau et de Serres

Le Contrat vital ici proposé intègre la thématique centrale du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, qui concerne l’équilibre nécessaire des relations entre les citoyens au sein d’une même société. Il ne reprend pas pour autant à son compte les présupposés sur la nature humaine, qui serait bonne et pure, et sur la société, qui la corromprait. Ma conviction est au contraire que la société est en mesure de mettre en valeur les meilleurs côtés de la nature humaine. Elle l’a démontré, notamment dans les pires moments de l’Histoire (les guerres), en permettant finalement à la solidarité de l’emporter sur la violence, la haine, l’égoïsme.

Le Contrat vital intègre aussi la proposition majeure du Contrat naturel de Michel Serres (qui constitue la suite nécessaire du Contrat social rousseauiste) : le rééquilibrage des relations entre les humains et leur environnement, mêlant culture et nature dans un même système symbiotique. Je suis en revanche très réservé sur la nécessité (mais aussi à la possibilité) de donner au Contrat vital une identité juridique obligatoire, telle que la propose Michel Serres. Cette contrainte légale supprimerait la dimension émotionnelle indispensable dans notre rapport à la macrosphère. De plus, la loi n’est pas toujours le reflet fidèle de la morale. Il me paraît bien préférable que l’adoption du Contrat vital soit souhaitée par les citoyens (démarche horizontale) plutôt qu’imposée par la réglementation (démarche verticale).

Si le Contrat vital s’efforce de s’inscrire dans les pas de ces deux grands inspirateurs, c’est plutôt en cheminant sur leur dos jusqu’au point où ils sont parvenus. Cela permet d’abord d’y arriver sans avoir à dépenser d’autre énergie que celle nécessaire pour comprendre ce qu’ils proposent. Cela n’est d’ailleurs pas toujours simple, comme en témoignent les interprétations souvent différentes de ces textes fondateurs. Le fait d’être placé « sur leurs épaules » permet aussi d’avoir sous les yeux un panorama plus large, avant de poursuivre le chemin qu’ils ont déjà défriché, après s’être eux-mêmes juchés sur les épaules de leurs prédécesseurs.

Des points de convergence

Le Contrat vital partage ainsi certaines ambitions et caractéristiques communes avec le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau et le Contrat naturel de Michel Serres :

• Il n’est pas une simple déclaration, mais un engagement de chaque individu vis-à-vis de la société, une adhésion à des principes et à des comportements qu’il devra s’efforcer de défendre et d’appliquer au quotidien.

• Il fait appel en priorité à la responsabilité personnelle, plutôt qu’à des obligations imposées de l’extérieur.

• Il part d’un constat plutôt pessimiste sur l’état de la planète et définit les moyens de l’améliorer.

• Il pourra servir de guide ou de repère pour les comportements individuels, en rappelant les références communes, sans pour autant se substituer aux principes et croyances à caractère religieux, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas contraires à la « morale » universelle à laquelle il se réfère.

Des points de différence

Le Contrat vital se différencie aussi, sur de nombreux points, de ses deux prédécesseurs, ainsi d’ailleurs que des diverses Déclarations des droits de l’Homme et du Citoyen existantes :

• Il est fondé sur les devoirs plutôt que sur les droits, car c’est aujourd’hui le levier sur lequel on doit s’appuyer pour relever les nombreux, graves et urgents défis contemporains. On peut par ailleurs considérer que si chacun remplit les devoirs qu’il se reconnaît vis-à-vis des autres, chacun verra ses droits reconnus.

• Il actualise les réflexions existantes, en intégrant les problèmes les plus contemporains, à l’échelle nationale et planétaire : destruction en cours de l’environnement global ; absence de système de valeurs communes et partagées ; absence de perspectives personnelles et collectives ; risques d’explosion sociale…

• Il a vocation à être élaboré à partir des apports des citoyens, dans le cadre d’un débat national. Celui-ci devra être apaisé, bienveillant et constructif, organisé sur la base de travaux préparatoires dirigés par un comité indépendant aux compétences diversifiées (scientifiques, philosophes, sociologues, économistes, juristes…) et de citoyens représentant l’ensemble des groupes sociaux.

• Il a pour but de formaliser clairement des propositions (devoirs) afin de leur donner le maximum de de notoriété et d’efficacité. Il insiste pour cela sur la nécessité de son élaboration collective, à laquelle tous les citoyens qui le souhaitent pourront participer, condition que chacun puisse s’approprier le Contrat et contribuer ainsi à sa mise en œuvre.

• Il pourra, si cela paraît souhaitable (à un comité spécifique chargé de sa mise en œuvre), être soumis à l’ensemble de la population par référendum, afin d’obtenir son assentiment. Cela lui donnerait une légitimité pour être utilisé comme fondement de la vie collective et d’aide à la vie personnelle.

• Il devra être régulièrement revu et actualisé, lorsque la situation du pays et du monde évoluera et justifiera des aménagements.

• Par les principes et valeurs qu’il met en avant, il apportera des réponses crédibles aux interrogations récurrentes sur l’identité nationale, ainsi que sur l’appartenance à une civilisation globale, « planétaire ».

• Il élargit le champ de ce que l’on appelait la nature, aujourd’hui l’environnement, à l’ensemble des humains (non seulement concitoyens d’une même société, mais cohabitants de la même planète), ainsi qu’à l’ensemble des créations humaines, matérielles ou immatérielles. Le tout formant ce que nous appelons la macrosphère.

• Il ajoute plusieurs dimensions (globale, comportementale et temporelle) à celle, principalement politique, du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, ou juridique du Contrat naturel de Michel Serres.

• Il ne délégue pas à l’État ou au législateur l’entière responsabilité de « dire la morale » et de la faire respecter. Il confie une part de cette responsabilité au peuple, après l’avoir informé des enjeux et consulté sur les valeurs qu’il souhaite défendre et les comportements qu’il entend privilégier. Un pari démocratique qui suppose que le peuple ainsi « éclairé » sera capable de se réconcilier autour de quelques repères fondamentaux. Certains jugeront ce pari risqué, mais il est difficilement séparable de l’esprit du projet.

• À la différence du Contrat social, le Contrat vital ne part pas du principe que les humains naissent bons et sont corrompus par la société, mais qu’ils sont capables de faire le bien plutôt que le mal s’ils disposent d’un guide pratique et commun pour distinguer l’un de l’autre. Et s’ils ont un intérêt à titre personnel à privilégier le bien.

• À la différence du Contrat social, le Contrat vital ne prône pas la création d’une « religion civile », mais d’une association morale entre les humains. Il est d’essence laïque, et n’a donc pas vocation à se substituer aux religions.

• À la différence du Contrat naturel, le Contrat vital ne se concentre pas sur une dimension juridique (donner une identité légale aux êtres vivants), mais sur la dimension relationnelle, c’est-à-dire sur les attitudes et comportements que les humains doivent adopter pour vivre ensemble en harmonie avec ce qui les entoure, réfléchir et trouver des réponses communes aux grands problèmes de l’époque.

• À la différence du Contrat naturel, le Contrat vital ne considère pas que le fait de transformer les objets (en particulier la nature) en sujets, au moyen de la loi, suffirait à modifier le comportement des humains à leur égard.

Gérard Mermet publie « Le Contrat vital. Pour un monde moral et durable » aux éditions Empreinte Temps présent.

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