Le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies : une farce tragique <!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue générale d'une session du Conseil des droits de l'Homme à Genève, en 2013.
Une vue générale d'une session du Conseil des droits de l'Homme à Genève, en 2013.
©AFP / Fabrice Coffrini

ONU

L’avocat Hillel Neur a raconté sur les réseaux sociaux son expérience au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies. Il a notamment témoigné de la dérive dans laquelle s’est enfoncée l’institution.

simone rodan

Simone Rodan-Benzaquen

Simone Rodan-Benzaquen est Directrice Générale d'AJC Europe.

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Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Atlantico : L’avocat Hillel NEUR a raconté sur Twitter son expérience au Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies. A quel point est-ce un récit juste de la dérive dans laquelle s’est enfoncée l’institution ?

Simone Rodan-Benzaquen : Oui, cette description est malheureusement juste et parfaitement révélatrice du problème auquel nous faisons face. Dans un tel contexte, tous ceux qui soutiennent un ordre international fondé sur le respect du droit, peuvent légitimement se poser des questions alors que ces mêmes principes ne sont pas respectés par l’institution supposée les représenter. L’un de ces principes est celui de l’égalité souveraine entre tous les membres or on voit souvent qu’un traitement particulier est appliqué envers Israël dans le but de le condamner. Au-delà d’être injuste, cela mobilise des ressources et du temps au détriment du règlement de crises internationales urgentes. 

Dov Zerah : Ce n’est pas la première fois que des critiques sont adressées au conseil, que sont mises en exergue les dérives de cette instance onusienne. Effectué par un avocat, ce récit a une force importante.

En 2008, la LICRA a reproché, dans un texte collectif signé par Elisabeth BADINTER et Élie WIESEL, au conseil d’être « devenue une machine de guerre idéologique contre ses principes fondateurs ». Mais, elle n’a pas été la seule à condamner cette instance ; sans que la liste soit exhaustive, il y a The Century foundation, Feedom House… et bien d’autres.

Le conseil focalise l’affrontement entre deux conceptions de la liberté et des droits de l’homme. D’un côté l’Occident qui considère que ces droits sont universels, comme le précise cet adjectif qualificatif présent dans la déclaration universelle des droits de l’homme. De l’autre, les opposants à cet universalisme qui contestent fondamentalement cette approche occidentale. Ils mettent en avant leur philosophie, comme les Chinois avec le confucianisme, ou leur tradition nationale. Quel que soit le prétexte, l’objectif est de faire prévaloir le principe « chacun est maître chez soi » !

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Cette situation est un des signes caractéristiques du déclin de l’Occident, de la remise en cause de ses valeurs et de l’organisation internationale mise en place au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Quels sont les principaux biais actuels de l’institution ?

Simone Rodan-Benzaquen :  Le Conseil a avant tout un parti pris anti-israélien et plus généralement anti-occidental.

Le CDH a, depuis sa création en 2006, émis 99 résolutions condamnant Israël, une démocratie robuste classée "libre" par la très respectée Freedom House, est à peu près le même que le nombre total de résolutions condamnant tous les autres pays. La partialité à l'encontre d'Israël est démontrée, par exemple, par l'existence d'un point de l'ordre du jour (#7) consacré uniquement à Israël alors que toutes les situations des autres pays sont normalement examinées ensemble dans le cadre d'un point général de l'ordre du jour (#4) ; par l'autorisation du mandat d'un Rapporteur spécial sur les "territoires palestiniens occupés" qui se poursuit "jusqu'à la fin du conflit" - alors que tous les autres Rapporteurs spéciaux sont nommés pour un an ou un terme fixe similaire ; par la nomination d'une Commission d'enquête également sans terme fixe et avec une autorité vaguement définie et étendue (par ex, examiner les causes profondes du conflit...) ; par l'adoption de cinq résolutions ou plus critiquant Israël chaque année, alors que les autres pays font normalement l'objet d'une seule résolution. 

Il se trouve aussi que Miloon Kothari, l'un des trois membres de la commission d'enquête de la CDH sur le conflit israélo-palestinien, a récemment dans une interview dénoncé un  "lobby juif".  Les États-Unis, l'Union européenne et plus d'une douzaine d'autres pays ont condamné les remarques de Kothari.

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Mais les commentaires de Kothari n'étaient malheureusement pas surprenants. Lui, Navi Pillay (la présidente de la commission) et leur collègue commissaire,

Chris Sidoti, ont tous des antécédents bien documentés de déclarations préjudiciables à l'égard d'Israël et bien plus.

Certaines de ces déclarations ont précédé leur nomination à la commission. Par exemple, en 2020, Pillay a publiquement exhorté les gouvernements à "Sanctionner l'apartheid israélien !" Les commentaires antisémites de Kothari ne sont pas les seules remarques préjudiciables faites après l'entrée en fonction des commissaires. En juin, au cours d'une séance officielle du CDH, la commissaire Sidoti a accusé les Juifs de lancer des accusations d'antisémitisme "comme du riz à un mariage", et de "salir ainsi la mémoire des 6 millions de victimes de l'[Holocauste]"

La nomination de ces trois commissaires ouvertement partiaux a violé les règles du CDH57, qui stipulent que ces fonctionnaires "devraient, dans tous les cas, avoir fait la preuve de leur indépendance et de leur impartialité."  

La réalité, et vous le comprenez bien, est que le problème au sein  du Conseil des droits de l'homme est profond et systémique. 

Dov Zerah : Le principal biais concerne Israël ; la seule démocratie proche-orientale, est régulièrement condamnée ; les résolutions concernant Jérusalem sont plus nombreuses que celles relatives à l’Iran, la Syrie et la Corée du Nord, sans oublier que la très grande majorité des dictatures des Amériques centrale et latines, des Afriques, d’Asie ou des pays arabes passent au travers des filets du conseil.

Les États-Unis ont également été épinglés et condamnés en 2018 pour leur politique « …inadmissible…et cruelle… » de leur politique de séparation des enfants et des parents à la frontière avec le Mexique. L’Oncle Sam en a pris ombrage et s’est retiré du Conseil.

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Pratiquer la politique de la chaise vide ou arrêter de financer une institution onusienne comme l’UNESCO ne constitue probablement pas la bonne réponse, surtout lorsqu’on a porté « un coup de canif » à la Charte des Nations-Unies en envahissant l’Irak sans l’accord du Conseil de sécurité.

Mais, n’oublions pas que la Chine a aussi été condamnée pour ses violations des droits de l’homme au Tibet. Par ailleurs, la Russie a été suspendue du conseil à cause de son invasion de l’Ukraine et des massacres commis.

Quelles que soient les attaques des régimes autoritaires contre les démocraties libérales, l’Occident doit se servir du conseil pour en faire une tribune de promotion de la liberté et de la démocratie. La défense de ces valeurs n’est jamais acquise, c’est un combat.

À quel point les régimes autoritaires, et non respectueux des droits de l’homme ont-ils pignon sur rue dans le Conseil ?

Simone Rodan-Benzaquen : L'attention disproportionnée que les Nations Unies accordent à Israël sert surtout à détourner l'attention des abus systémiques commis par certains des membres de la CDH , qui comprennent actuellement les pays suivants, classés " non libres " par Freedom House : Cameroun, Chine, Cuba, Érythrée, Gabon, Kazakhstan, Libye, Qatar, Somalie, Soudan, Ouzbékistan et Venezuela.

Ce double standard est littéralement contraire à la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies qui a créé la CDH, laquelle soulignait l'importance d'éliminer " le double standard et la politisation " dont souffrait son prédécesseur, la Commission des droits de l'homme des Nations unies. Elle est aussi clairement en contradiction avec la résolution de l'Assemblée générale qui a créé le poste de Haut-Commissaire aux droits de l'homme, qui souligne "la nécessité que la promotion et la protection de tous les droits de l'homme soient guidées par les principes d'impartialité, d'objectivité et de non-sélectivité".

Le CDH a également montré qu'il n'était pas disposé à faire face aux abus de la Chine. Depuis sa création en 2006, le Conseil n'a jamais créé de commission d'enquête, ni même adopté une seule résolution critiquant la Chine. Et ce, malgré le bilan global de la Chine en matière de droits de l'homme qui ne cesse de s'aggraver. Ce bilan comprend une réduction drastique des droits de l'homme à Hong Kong, et les agissements au Xinjiang que plusieurs pays ont qualifiées de "génocide contre les Ouïghours.

Cela étant dit, malgré leur élection au Conseil, les États autoritaires n'ont  pas réussi à faire échouer la résolution créant le poste de rapporteur spécial sur l'Iran (un enquêteur indépendant autorisé par les membres du CDH depuis 2011 qui rend compte des violations des droits de l'homme en République islamique d'Iran). De même, ces régimes violateurs des droits n'ont pas réussi à éliminer la " Commission d'enquête sur la Syrie ", approuvée par le CDH, qui est également en place depuis 2011. Ou le Rapporteur spécial sur la Corée du Nord (RPDC) en place depuis 2004. (Et aucun de ces 3 pays n'est membre du Conseil).

Oui, la Chine est membre du Conseil, mais plus tôt cette année, mais au moins l'Assemblée générale a voté pour mettre fin à l'adhésion de la Russie - et maintenant la Russie pourrait devenir le sujet d'une résolution établissant un enquêteur indépendant (rapporteur spécial) sur la Russie, car l'UE a indiqué son intention de poursuivre une telle résolution. Celle-ci ne sera approuvée que si elle devient une priorité diplomatique pour de nombreux pays membres (dont la France et les États-Unis).

Dov Zerah : L’affaiblissement relatif des États-Unis qui ont entamé leur retrait du Proche-Orient, d’Afghanistan…, tout comme la succession des échecs en Somalie, en Irak et dernièrement en Afghanistan ont remis en cause l’interventionnisme de la République impériale américaine… ce qui laisse libre champ aux autocrates !

Il n’y a plus beaucoup d’avocats en Occident pour défendre le droit d’ingérence ; en conséquence, les dictateurs peuvent continuer d’agir en toute impunité d’autant que les succès limités de la Cour pénale internationale ne découragent personne.

Comment expliquer ces dérives ?

Simone Rodan-Benzaquen : Les membres du Conseil, composé de 47 pays, sont élus pour un mandat de trois ans par l'Assemblée générale des Nations unies et sont choisis selon des critères géographiques : L'Afrique et l'Asie obtiennent chacune 13 sièges ; l'Amérique latine et les Caraïbes en obtiennent huit ; l'Europe occidentale et autres, qui comprend les États-Unis, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, en obtiennent sept ; et l'Europe orientale en obtient six.

Bien que ce système de quotas géographiques remédie aux disparités de la représentation mondiale, il constitue également le plus grave défaut du Conseil.

À quelques exceptions près, l'écrasante majorité des pays qui ne font pas partie du groupe de l'Europe occidentale et des autres groupes ont des politiques et un bilan en matière de droits de l'homme qui vont de défectueux à catastrophiques. Beaucoup ne sont pas des démocraties. Peu d'entre eux ont des gouvernements représentatifs. Ils sont encore moins nombreux à être incités à poursuivre et à s'engager en faveur des droits de l'homme universels. Le fait que ce soient ces pays qui critiquent Israël, la seule démocratie du Moyen-Orient, est déjà assez grave ; le fait qu'ils le fassent tout en poursuivant leurs propres politiques draconiennes rend leur adhésion risible.

Dov Zerah : Trois phénomènes concourent à accroître les marges de manœuvre des régimes autoritaires et à décrédibiliser le conseil des droits de l’homme :

- L’affirmation de la puissance de Pékin qui cherche à empêcher tout regard étranger sur les situations des Ouigours, des Tibétains et autres minorités, sur les violations des libertés, notamment à Hong Kong…

- Tous les dictateurs colombien, iranien nord-coréen, russe, syrien ou turc sont dans des stratégies impérialistes, conquérantes alors que, dans le même temps, l’Occident doute sur son message d’humanisme et le devoir d’ingérence.

- Le problème est systémique dès lors que la règle de la majorité prévaut et que les démocraties sont minoritaires.

Est-il possible de réformer le Conseil ?

Simone Rodan-Benzaquen : Oui, la réforme est possible. Les États-Unis ont expliqué qu'ils ont réintégré le Conseil pour être en mesure de s'attaquer à ses défauts et de rechercher des réformes mais il faudrait que ce soit également une priorité pour tous les pays démocratiques, et notamment européens. Trop souvent, les pays démocratiques se focalisent sur des petits progrès de langages dans des résolutions plutôt que d'admettre le problème systémique que traverse cette institution. 

Nombreux sont ceux, tels que l’AJC,  qui alertent depuis longtemps sur les dérives de l’institution. Déjà en 2015, nous avions appelé les dirigeants mondiaux à mettre fin au traitement injuste et endémique d’Israël à l’ONU et notamment au Conseil des droits de l’Homme, dans une tribune publiée dans le Wall Street Journal.

De la même manière, l’année dernière, plus de 300 législateurs américains et européens, de tous les partis, ont appelé les membres de l’Union européenne et toutes les démocraties à aider à mettre fin à la discrimination systématique d’Israël à l’ONU. 

Ces voix se font entendre mais l’expérience montre que la réforme nécessite une énorme mobilisation et de la volonté politique - et jusqu'à présent, cela n'a pas été une priorité pour les pays respectueux des droits de l'homme. Ces pays - dont  la France - devront pourtant faire de ces réformes une priorité diplomatique s'ils ne veulent pas voir la lutte pour les droits de l'homme être entièrement décrédibilisée.

Dov Zerah : De la même façon qu’il est difficile de faire évoluer le système onusien et d’intégrer les évolutions survenues depuis 1944, il est peu probable de corriger les dysfonctionnements du Conseil. Dès lors que la règle de la majorité ne peut être remise en cause, les régimes autoritaires ne vont pas prendre le risque de laisser le conseil fonctionner normalement et se transformer en tribunal de leurs atteintes aux libertés.

Au-delà du verrou du vote majoritaire, du principe « un État, une voix » qui favorise automatiquement les autocrates, il est impossible de prévoir une « paix idéologique » entre les tenants de l’universalisme et les adeptes du « chacun chez soi ». Les coups de boutoir des nationalistes déstabilisent les héraults de l’universalisme.

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