Le clash qui arrivait au pire moment : pourquoi ce début de semaine plombera non seulement Montebourg mais aussi Hollande et la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Arnaud Montebourg a annoncé qu'il ne ferait plus parti du gouvernement
Arnaud Montebourg a annoncé qu'il ne ferait plus parti du gouvernement
©Reuters/Charles Platiau

Et maintenant ?

Le départ d'Arnaud Montebourg de Bercy, lundi 25 août, laisse de nombreuses interrogations en suspens, notamment sur les questions européennes.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Alors que la France doit présenter son budget lors du sommet européen en cette fin de semaine, Arnaud Montebourg a-t-il choisi le pire moment pour se faire renvoyer du gouvernement ? N'aurait-il pas dû présenter un front uni avec ce dernier au moins jusqu'à samedi ou dimanche ? Dans quelle mesure la crédibilité du pays en est-elle affectée ?

Vincent Tournier : Je ne suis pas sûr qu’Arnaud Montebourg ait calculé le moment de son départ. Je pense même qu’il a été surpris par cette décision plutôt radicale, comme tout le monde d’ailleurs, car personne ne s’attendait à une telle annonce de la part de l’exécutif. Peut-on croire Arnaud Montebourg lorsqu’il laisse entendre qu’il a lui-même pris la décision de partir ? Sa conférence de presse est très dramatisée, mais il en rajoute dans la grandiloquence (en citant Saint Augustin et en se comparant au général romain Cincinnatus) et il ne dit pas pourquoi il part maintenant. Surtout, s’il avait vraiment l’intention de partir de son plein gré, pourquoi le gouvernement devrait-il démissionner ?

Que le gouvernement tout entier démissionne pour le simple fait qu’Arnaud Montebourg émet des critiques est tout de même très étonnant. Certes, Montebourg est sans doute allé un peu loin (encore que, quand on lit sa déclaration au Monde, on voit qu’il reste assez modéré : il ne dit nullement qu’il est opposé aux économies). Mais en faisant ses critiques, il est dans son rôle de trublion, de contestataire puisqu’il est de notoriété publique qu’il ne situe pas sur la même ligne que Manuel Valls. C’est même pour cela qu’il est au gouvernement, auquel il apporte une fibre plus interventionniste dans les équilibres entre les sensibilités socialistes. Mais surtout, il ne faut pas oublier que ses attributions ont été sévèrement rognées puisque, pour la première fois sous la Ve République, le ministre de l’Économie ne contrôle pas les finances, cette compétence ayant été confiée à Michel Sapin. Or, Michel Sapin est exactement sur la ligne Hollande/Valls. Le 6 juillet dernier, celui-ci a même lancé un message très clair en déclarant que « la bonne finance » est « l’amie » du gouvernement, ce qui est évidemment un pied de nez à la fameuse formule de François Hollande sur la finance. Bref, si Manuel Valls s’est évidemment servi de l’occasion pour se débarrasser des concurrents qui pouvaient brouiller son message et prendre la tête d’une fronde interne (rappelons que Montebourg l’avait nettement battu lors de la primaire socialiste), il agit surtout pour des raisons beaucoup plus cruciales qui concernent le soutien du gouvernement par le Parlement.

Mario Draghi soutenait vendredi 22 août que la politique budgétaire devait être assouplie, ce qui correspondait aux vœux d'Arnaud Montebourg. Là aussi, alors qu'il trouvait enfin un allié en la personne du président de la BCE, peut-on parler d'occasion manquée ?

Dire que Mario Draghi est devenu l’allié d’Arnaud Montebourg est une vue de l’esprit qui est certes amusante, mais qui ne correspond pas à la réalité. Ou alors, il faudrait plutôt dire que Montebourg est devenu l’allié de la BCE dès lors qu’il a accepté d’être dans un gouvernement qui, de fait, a accepté d’entrer dans les clous de l’Union européenne. C’est d’ailleurs une question que l’on pourrait poser à Arnaud Montebourg : peut-on réellement être contestataire lorsqu’on est ministre de l’Économie d’un pays membre de l’Union européenne et de la zone euro ? 

Plus sérieusement, si on regarde les dernières déclarations de Mario Draghi, on découvre surtout que celui-ci a appelé les États membres à engager des réformes structurelles ("aucun accommodement budgétaire ou monétaire ne peut compenser les réformes structurelles nécessaires dans la zone euro", a-t-il déclaré). Or, c’est bien là qu’est le cœur du débat pour les mois qui viennent : jusqu’à présent, les mesures d’austérité sont restées relativement superficielles, elles n’ont pas encore affecté le cœur des États-providence. Mais désormais, étant donné que la crise dure et que la BCE ne peut plus utiliser le levier des taux d’intérêt, qui sont déjà très faibles, il va falloir attaquer le gras du morceau. Les décisions que vont devoir prendre les États européens vont donc être très douloureuses. À mon avis, c’est plutôt cela qui motive la décision de Manuel Valls : au-delà du cas Montebourg, il lui faut ressouder son camp pour affronter des échéances qui s’annoncent à haut risque.

Comment François Hollande peut-il demander une réorganisation du fonctionnement de la zone euro s'il ne peut plus s'appuyer sur le ministre qui soutenait cette orientation ? Le gouvernement se retrouve-t-il encore plus pieds et poings liés ?

Si le gouvernement est pieds et poings liés, cela n’a rien à voir avec le départ d’Arnaud Montebourg. En réalité, tout s’est joué dès l’élection de François Hollande, lorsque ce dernier a renoncé à renégocier les engagements qui avaient été pris par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. À partir de là, les jeux étaient faits, le gouvernement français n’ayant plus de marges de manœuvre pour mener une autre politique budgétaire et économique. Il est vrai que l’alternative impliquait de déclencher une grave crise en Europe, ce qui aurait obligé à tout remettre à plat, y compris la question de la monnaie unique. Or, François Hollande et les socialistes n’étaient pas prêts à entrer dans une telle logique de crise, sans doute parce qu’ils ne sont pas disposés à remettre en cause leurs idéaux européens, mais aussi parce qu’ils ne veulent pas toucher à l’héritage mitterrandien. Et puis je ne suis pas sûr qu’ils aient un projet alternatif.

Le nouveau gouvernement sera soumis au vote de confiance du Parlement. Si ce dernier ne l'accorde pas, le spectre de la dissolution pourrait-il devenir soudainement bien réel ? Un raz-de-marée bleu pourrait-il aller jusqu'à contraindre le président de la République à la démission ?

Cette question de l’investiture par le Parlement me semble en effet être l’enjeu décisif de la démission du gouvernement : c’est la clef de tout. Car la question est la suivante : pourquoi le Président et le Premier ministre ne se sont-ils pas contentés d’un simple remaniement ? Pourquoi faire démissionner tout un gouvernement alors qu’un changement de quelques têtes suffisait, comme cela a été fait en juillet 2013 avec Delphine Batho ? Bien sûr, Montebourg et Hamon ne sont pas de la même pointure, mais la vraie raison est surtout parce qu’une démission implique que le nouveau gouvernement va aller se présenter devant les parlementaires pour obtenir un vote de confiance. Le but est ainsi de tuer dans l’œuf toute velléité de contestation. Car ceux que l’on appelle "les frondeurs" représentent un réel danger pour le gouvernement.Ce mouvement compte potentiellement une petite centaine de députés (ceux qui ont signé un appel dans le Journal du dimanche en avril dernier). Jusqu’à présent, ces parlementaires n’ont pas osé franchir le pas : seulement 11 d’entre eux se sont abstenus lors du vote de confiance du gouvernement Valls et, quelques semaines plus tard, 41 se sont abstenus sur le vote du pacte de stabilité. Mais que se passera-t-il s’ils se radicalisent ? Les socialistes ont une majorité relativement faible à l’Assemblée : rappelons que, lors du vote de confiance le 8 avril dernier, Manuel Valls a obtenu 307 voix pour et 237 contre (et 26 abstentions). Son assise n’est donc pas très forte. Il suffirait que 70 députés choisissent de s’abstenir ou qu’une quarantaine de députés votent contre pour que ses projets soient rejetés. Or, compte tenu de la dégradation de la situation économique, le gouvernement va très vraisemblablement devoir faire des réformes douloureuses, dans un contexte de fortes tensions sociales.

Pour les mener à bien, il doit avoir une majorité solide. Le renvoi des trublions du gouvernement est donc l’occasion de jouer sur ces deux tableaux. D’un côté, il peut se débarrasser de l’opposition interne pour éviter les voix discordantes ; de l’autre, il peut forcer les parlementaires récalcitrants à rentrer dans le rang en leur lançant un ultimatum : soit vous êtes avec le gouvernement, ce qui vous impose d’approuver les projets à venir ; soit vous passez franchement dans l’opposition, avec tout ce que cela implique. Peu de parlementaires oseront vraisemblablement aller jusque-là, car personne n’a intérêt à une dissolution, même la droite. Donc, au terme de cette opération, le gouvernement aura les coudées franches pour engager ses réformes. Il restera alors à savoir comment l’opinion publique réagira.

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