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Le chemin intérieur des prêtres face à la crise des vocations
©PASCAL PAVANI / AFP

Bonnes feuilles

Mgr Eric de Moulins-Beaufort publie "L’Eglise face à ses défis" (© CLD/NRT éditions). Le nouveau président de la Conférence des évêques de France scrute la situation de l'Eglise de France aujourd'hui pour mieux esquisser des chemins d'avenir. Extrait 2/2.

Mgr Eric de Moulins-Beaufort

Mgr Eric de Moulins-Beaufort

Archevêque de Reims, Eric de Moulins-Beaufort est le nouveau président de la Conférence des évêques de France.

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La question m’est posée, à moi qui suis prêtre et évêque. La question m’est posée ici, au Grand Séminaire de Lille. Pourquoi devenir prêtre ? Je suppose que la question veut dire : pourquoi un homme décide-t-il de devenir prêtre ? Elle est sans doute plus précise : pourquoi un homme le déciderait-il, aujourd’hui en ce début du XXIe siècle ? Cette question, beaucoup se la posent, de l’intérieur de l’Église ou de l’extérieur, parce que nous constatons la chute du nombre des vocations sacerdotales dans notre pays. Elle mérite encore plus d’être posée parce que – ce fait surprend certains observateurs et nous réjouit beaucoup –, si peu nombreux soient-ils, des jeunes hommes, en ce début du XXIe siècle, se présentent pour devenir prêtres de Jésus-Christ. Qu’est-ce qui peut attirer, qu’est-ce qui peut donner envie de devenir prêtre aujourd’hui ?

La réponse à la question ainsi formulée est le secret de chacun. Tout prêtre, tout candidat au sacerdoce, a reçu à sa manière l’appel de Dieu, il l’a identifié, il a résolu d’y répondre, selon un chemin intérieur et extérieur qui lui est propre et qui ne gagne pas beaucoup à être exposé à tous les regards. Pour ma part, l’événement décisif a eu lieu lorsque j’avais onze ans, aux alentours de la célébration de la profession de foi. Mon parcours personnel ne me permet pas d’expliquer totalement pourquoi des hommes demandent à devenir prêtres. Mais bien sûr, il vaut la peine de réfléchir au contenu du sacerdoce ministériel pour vérifier ce qu’il peut porter de promesses d’accomplissement et d’épanouissement pour un homme.

Une autre manière d’entendre la question initiale s’impose. Pour quoi, en vue de quoi, pour quoi faire, devenir prêtre aujourd’hui ? La forte diminution du nombre des prêtres dans notre pays transforme et transformera encore la manière concrète dont les prêtres vivent et organisent leur activité. Je préfère annoncer sans attendre que je ne peux pas décrire les contours concrets du travail des prêtres ou d’une journée de prêtre dans les vingt ans à venir. Je le peux encore moins pour ce qui concerne le diocèse de Lille, Paris étant dans une situation différente, celle d’une ville sans campagne, par exemple.

Alors, que puis-je vous dire ? La question : « Pourquoi devenir prêtre aujourd’hui ? » est une question essentielle et urgente, pas seulement à cause des bouleversements qu’entraîne ce que l’on appelle depuis des décennies la « crise des vocations », mais pour des raisons proprement théologiques, qui tiennent à la vie propre de l’Église. Je dirai d’abord que l’Église catholique, avec ses évêques, ses théologiens, ses pasteurs, a, d’une certaine manière, scié la branche sur laquelle elle était assise depuis des siècles. Il y a eu de bonnes raisons à cela et il n’y a pas à rêver de retrouver la même branche, mais il est utile de reconnaître ce fait pour l’assumer en paix. Ensuite, je vous proposerai une manière de comprendre le ministère sacerdotal selon la volonté de Jésus. J’ai choisi de m’appuyer sur l’image du pasteur, parce que le Seigneur s’est présenté ainsi et a lui-même préparé ses disciples au rôle qu’il voulait leur laisser en s’aidant de cette image. À partir de là, nous pourrons, je l’espère, comprendre les actes propres des prêtres, les pouvoirs propres aux prêtres. Enfin, je voudrais dire quelque chose de la joie du prêtre.

I. La branche sciée

Pendant des siècles, lorsqu’on se demandait : « pourquoi faut-il des prêtres ? », on répondait : « pour faire l’Eucharistie », ce qui voulait dire : « pour fabriquer le Corps du Christ ». L’Eucharistie était comprise, depuis les commencements du christianisme, comme la nourriture dont les hommes ont besoin pour vivre dans le Christ. Elle était ressentie par les fidèles comme une chose sainte et très sainte. À partir du Moyen Âge, l’accès à l’Eucharistie était rare pour le commun des fidèles mais il était important qu’il soit assuré au moins une fois par an pour Pâques, de sorte que chacun soit bien certain de pouvoir être pris par le Christ et ramené dans le Christ jusque dans la vie éternelle. Le prêtre, alors, était perçu pour/comme l’homme de cette chose très sainte, celui qui était apte à la procurer au nom de Dieu, à la garder, à en maintenir en quelque sorte l’accès pour tous les autres.

1. L’HOMME DE L’EUCHARISTIE

L’Église savait, les fidèles ont toujours compris, que cette chose très sainte n’était pas un objet que l’on manipule à sa guise, qu’elle n’était pas semblable à ces objets sacrés qu’on trouve dans toutes sortes de religions, qui fascinent et qui inquiètent à la fois. On y reconnaissait le signe du Seigneur lui-même, du Ressuscité venant à son peuple et venant même à chacun de ses amis. Il était clair que cette chose sainte était à regarder et à recevoir à l’intérieur d’une parole de promesse, de commandements et de consolations, d’alliance. Le prêtre par conséquent, homme de l’Eucharistie, était non moins compris comme l’homme de la parole, l’homme qui savait lire et écrire. Dans un tel contexte, le prêtre tenait un rôle indispensable dans une société humaine. Ce rôle exigeait des compétences qui n’étaient pas accessibles à tous – savoir lire, savoir écrire, savoir célébrer dignement les rites prescrits. Il en découlait que le prêtre, ayant accès à ce à quoi la plupart des autres ne pouvaient ordinairement prétendre, devait mener une vie d’une qualité particulière. Un effort considérable de réflexion et de formation, d’organisation de l’Église et de relations sociales a été fait pendant des siècles après le concile de Trente, pour que les prêtres se tiennent à cette hauteur que tous attendaient d’eux. Ainsi, devenir prêtre était une possibilité d’accomplissement humain, hautement désirable, valorisante pour celui qui en montrait les aptitudes, une possibilité parmi d’autres sans doute, mais certes pas la moins glorieuse.

2. L’HOMME DE LA COMMUNION

Seulement, il faut le reconnaître, cette représentation-là était une manière de se faciliter la tâche. Rien n’était faux dans cette conception de l’Eucharistie et du sacerdoce, mais elle n’embrassait pas vraiment la réalité surprenante de l’Eucharistie. La mentalité générale jouait, si l’on peut dire, avec une ambiguïté commode, le sacrement du Christ étant compris à partir de la fonction religieuse qui habite les hommes « de toutes races, langues, peuples et nations », à tout le moins jusqu’à l’homme contemporain. À travers un chemin que je ne retracerai pas ici, l’Église catholique s’est efforcée de mieux dire l’Eucharistie et le rôle du prêtre. Ainsi – je simplifie l’histoire pour les besoins de mon propos – en est-on arrivé à définir le prêtre comme l’homme de l’unité de la communauté. Il n’est pas seulement l’homme du culte, l’homme des gestes mystérieux et impressionnants. On voyait mieux que l’Eucharistie, Corps du Christ, n’est pas seulement une nourriture, elle fait l’Église, elle édifie l’Église, unifiant et unissant les hommes dans le Christ. De là vient que celui qui célèbre l’Eucharistie porte aussi la responsabilité de guider cette assemblée afin qu’elle soit unie dans le Christ.

Le rôle du prêtre s’est trouvé élargi par là. Le modèle en a été le curé de paroisse, la paroisse étant comprise comme une unité nouée sacramentellement. Mais, s’étant élargi, le rôle du prêtre a aussi été fragilisé. Que veut dire : faire l’unité de la communauté ? Il était clair qu’un homme ne pouvait célébrer l’Eucharistie qu’en étant habilité pour cela par « en haut ». Un don sacré était nécessaire et suffisant. En revanche, guider vers l’unité telle communauté suppose des qualités que les hommes peuvent mesurer. Certains tempéraments, certains ensembles de qualités y rendent plus aptes que d’autres.

Tout prêtre arrivant dans une paroisse n’est pas forcément apte à assumer l’histoire de cette paroisse, à faire face aux tensions qui peuvent traverser telle communauté villageoise ou paroissiale. Avouons-le : certains prêtres ont un tempérament qui diviserait plutôt ; cela du moins peut arriver. Que faire alors ? De plus, assurer l’unité lorsqu’on en avait reçu la charge était relativement facile dans un monde fortement hiérarchique où l’autorité de la fonction suffisait à susciter l’obéissance de tous. Mais dans un monde où tous savent lire et écrire, où tous ont accès aux informations, où les baptisés peuvent vérifier à leur guise ce que dit l’évêque ou, mieux encore, le pape, le prêtre chargé de l’unité concrète se trouve mesuré, évalué, mis en cause. Nous devons être conscients des grandes souffrances portées par des prêtres ne pouvant exercer leur charge qu’en affrontant les jugements des fidèles, que ces jugements soient d’adhésion ou de refus. Le petit nombre des vocations aujourd’hui vient pour une part peut-être de cela : qui a envie de se trouver « pesé, mesuré, découpé », tous les dimanches au déjeuner des « bonnes familles » d’une paroisse ?

3. PROGRÈS ET BROUILLAGE

Le déplacement dans la compréhension du rôle du prêtre a donc été un progrès théologique, c’est indéniable, mais il s’est traduit, paradoxalement, par un brouillage quant à l’être du prêtre et à une fragilisation de son statut social. Un autre facteur, non moins théologique, a agi pour que la branche sur laquelle le sacerdoce catholique avait été solidement posé soit sciée. Pendant des siècles, il a paru clair que, pour être saint, pour répondre vraiment à l’appel du Christ, les seules voies sûres étaient la vie religieuse ou le sacerdoce ministériel. Les laïcs, occupés aux affaires de ce monde et mariés, paraissaient, plus ou moins consciemment, mener des vies mêlées, fatalement imprégnées de péché, sauvées seulement par la surabondance des mérites du Seigneur Jésus et de ses saints. Le concile Vatican II a rendu clair que tous les états de vie permettent d’avancer sur le chemin de la sainteté, dans la mouvance de l’Esprit Saint. Mais alors, vaut-il la peine de renoncer aux richesses, à la liberté d’agir, à la joie de fonder un couple et une famille, si sur de tels chemins peut aussi grandir la sainteté reçue au baptême ?

De nombreuses explications sociologiques ou culturelles ou historiques peuvent être données à la baisse du nombre des candidats au sacerdoce, et les facteurs qui jouent sont multiples. Si nous voulons aller au fond des choses, nous devons ne pas négliger les facteurs proprement théologiques. L’Église elle-même sait-elle dire aujourd’hui « à quoi sert » un prêtre ? Sait-elle faire ressortir le besoin vital où elle est qu’il y ait des prêtres ? Peut-elle exprimer en quoi la vie d’un prêtre peut être une vie vraiment humaine, ce qui veut dire aussi une vie humanisante, qui rende davantage homme, qui fasse s’affronter au réel et donne d’y tenir un rôle qui compte vraiment, pour le devenir de quelques hommes ou femmes et même, à travers ces quelques-uns, de l’humanité entière ?

Extrait du livre de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, "L’Eglise face à ses défis", publié aux éditions CLD

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